Entre 50 et 160
kilomètres d’altitude s’étend une zone mystérieuse de notre
atmosphère que les scientifiques surnomment
« l’ignorosphère ». Trop haute pour les avions, trop basse pour les
satellites, cette région demeure largement inexplorée malgré son
rôle crucial dans les phénomènes climatiques terrestres. Mais une
découverte récente de chercheurs de Harvard pourrait changer la
donne : des membranes ultra-légères capables de s’élever dans les
airs uniquement grâce à la lumière du Soleil.
L’ignorosphère : la frontière oubliée de notre planète
Notre planète recèle
encore des territoires inexplorés, et l’un des plus intrigants se
trouve juste au-dessus de nos têtes. L’ignorosphère englobe la
mésosphère et une partie de la thermosphère, formant une frontière
critique entre l’atmosphère terrestre et l’espace. Cette zone joue
pourtant un rôle déterminant dans de nombreux phénomènes qui
affectent directement notre quotidien.
C’est là que les éjections
de masse coronale du Soleil déposent leur énergie, déclenchant des
tempêtes géomagnétiques capables de paralyser nos réseaux
électriques. Les aurores boréales naissent dans ces altitudes, tout
comme les perturbations qui peuvent faire dévier les satellites de
leur trajectoire. Paradoxalement, c’est aussi dans cette région que
les débris spatiaux se désintègrent lors de leur retour sur Terre,
créant une pollution atmosphérique encore mal comprise.
L’absence de données
précises sur cette zone limite considérablement la fiabilité de nos
modèles climatiques globaux, créant un angle mort dans notre
compréhension du système terrestre.
La
photophorèse : quand la lumière devient moteur
La solution pourrait venir
d’un phénomène physique découvert au XIXe siècle mais longtemps
resté anecdotique : la photophorèse. Ce processus se produit
lorsqu’une membrane ultra-fine présente une différence de
température entre ses deux faces. Les molécules de gaz qui
rebondissent sur la surface la plus chaude génèrent alors une
poussée microscopique mais mesurable.
Ben Schafer et son équipe
de la Harvard John A. Paulson School of Engineering ont réussi à
transformer cette curiosité scientifique en technologie viable.
Leurs membranes, composées d’oxyde d’aluminium recouvert d’une fine
couche de chrome, mesurent à peine un centimètre de diamètre pour
quelques micromètres d’épaisseur.
L’exploit réside dans la
démonstration que ces dispositifs peuvent effectivement flotter
dans des conditions de vide poussé, similaires à celles de la haute
atmosphère. Exposées à une lumière représentant 55% de l’intensité
solaire naturelle, ces membranes se sont élevées de manière stable
et contrôlée.
Ces appareils exploitent un phénomène appelé photophorèse, qui crée
un mouvement à travers les différentes températures des deux côtés
d’une fine membrane. Crédit image : Ben Schafer et Jong-hyoung
KimUne
révolution technologique en préparation
Les applications de cette
découverte rapportée dans Nature
dépassent largement le cadre de la recherche atmosphérique. Les
chercheurs envisagent de créer des versions légèrement plus
grandes, d’environ six centimètres de diamètre, capables de
transporter des capteurs miniaturisés et des antennes de
communication.
Le concept opérationnel
est aussi élégant qu’ingénieux : ces dispositifs seraient largués
depuis des ballons stratosphériques à 50 kilomètres d’altitude. Ils
s’auto-propulseraient ensuite jusqu’à 100 kilomètres de hauteur, où
ils demeureraient en suspension pendant la journée grâce à
l’énergie solaire. La nuit, ils redescendraient naturellement, mais
leur légèreté leur permettrait de remonter automatiquement au lever
du soleil suivant.
Cette capacité de vol
autonome et répétée ouvre des perspectives fascinantes pour la
surveillance continue des phénomènes atmosphériques, impossible
avec les technologies actuelles.
Des
horizons scientifiques élargis
Au-delà de l’exploration
terrestre, cette technologie pourrait révolutionner l’étude
d’autres corps célestes. L’atmosphère ténue de Mars, par exemple,
constitue un terrain d’application idéal pour ces membranes
photophorétiques. Leur capacité à fonctionner dans des
environnements à très basse pression en fait des candidates
parfaites pour l’exploration planétaire.
Plus surprenant encore,
Schafer évoque la possibilité de concurrencer les
mégaconstellations satellitaires comme Starlink. En déployant des
réseaux de communication dans la mésosphère, ces dispositifs
pourraient offrir des débits comparables à ceux des satellites en
orbite basse, tout en étant plus accessibles et moins coûteux à
maintenir.
L’avenir
prend son envol
Schafer et sa collègue
Angela Feldhaus ont fondé Rarefied Technologies pour commercialiser
cette innovation. Leur objectif immédiat consiste à optimiser les
matériaux et la structure des membranes pour créer des versions
plus grandes et plus légères, capables d’emporter des charges
utiles plus importantes.
Cette technologie illustre
parfaitement comment une redécouverte scientifique, combinée aux
avancées modernes en science des matériaux et nanotechnologie, peut
ouvrir des voies totalement inattendues. En transformant la lumière
solaire en force de propulsion, ces membranes pourraient bien
révolutionner notre approche de l’exploration atmosphérique et
spatiale.