Omega European Masters –
Une journée dans le sillage de l’homme le plus cool du monde
Miguel Angel Jimenez est un golfeur d’un autre temps, le dernier reliquat d’une époque bénie.
Publié: 30.08.2025, 18h28
À Crans-Montana comme ailleurs, Miguel Angel Jimenez promène son cigare partout sur le parcours.
GETTY IMAGES
Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.BotTalkEn bref:
- Miguel Angel Jimenez, légende du golf espagnol, fascine par son élégance décontractée.
- L’homme de 61 ans maintient ses rituels, incluant cigares et vins fins.
- Le golfeur suisse Joel Girrbach s’inspire de la présence mythique de Jimenez.
C’est une dégaine qui raconte un art de vivre. Mocassins vernis, pantalon à pinces, catogan en plumet, Miguel Angel Jimenez promène une décontraction surannée sur les greens de l’Omega European Masters.
Ici, l’Espagnol est une sorte d’icône d’un temps perdu, adulée par un public nostalgique, qui voit en lui le dernier reliquat d’une époque bénie où le golf était encore l’apanage de gentlemen flegmatiques, qui se préoccupaient moins de leur préparation physique que du moteur de la décapotable.
Voilà pour les préjugés, encore faut-il tenter de les éprouver, en jaugeant par nous-mêmes le mythe espagnol de 61 ans, vainqueur du tournoi en 2010. Alors on se décide à lui emboîter le pas, dans une filature à travers le Haut-Plateau qui ressemble à un voyage dans le temps.
Un fidèle de Crans-Montana
À Crans-Montana, où il se rend fidèlement depuis 1988, l’homme a ses habitudes. La veille au soir, alors que son premier coup est programmé à 7 h 40 samedi matin, on le croise attablé en bonne compagnie dans un restaurant italien.
Une bouteille de Tignanello plus tard, il se décide à regagner ses pénates, sans forcer le pas. Alors il nous prend comme une folle envie de le retrouver à la première heure au départ du trou numéro un, pour constater de nos yeux ébahis comment il met son art de vivre au service de son talent.
Premier constat, Miguel Angel Jimenez est là. Et le crachin du matin n’entame pas le moins du monde son enthousiasme. Enfin, on peut imaginer qu’enfiler un tristoune anorak, pour un homme de son standing, ne doit pas le ravir. Mais il l’arbore avec classe. D’ailleurs, qui peut se targuer de revêtir avec autant d’allure un imprimé «Mitsubishi Electric» sur le cœur que d’autres un crocodile?
Il paraît que l’élégance, c’est une attitude. Alors voilà une photo à marquer pour le «Larousse illustré»: le buste droit, le regard perçant, la bedaine qui pointe vers le ciel pour marquer au cordeau une cambrure fellinienne. Dans chacun de ses gestes, on ressent la force de l’âge, l’économie du mouvement, l’assurance du savoir-faire.
Et puis il y a l’odeur du cigare, comme une madeleine de Proust. Un barreau de chaise au bec de bon matin, il faut avoir l’estomac bien accroché. Même pas peur: c’est sa manière à lui de trouver la zone. Ses doigts dansent dans les volutes, dessinent des trajectoires de balles imaginaires, marquent son territoire dans les narines de ses adversaires.
Joel Girrbach a profité de son sillage enfumé
À côté de lui, Joel Girrbach mâche tranquillement une banane en se pinçant le nez. Le joueur suisse réalise un excellent tournoi: c’est peut-être la fumée passive, saine dose de nicotine, tout au long de ces 18 trous partagés avec Jimenez, qui lui donnera ce surplus d’assurance qui fait la différence. Allez savoir.
«La fumée ne me dérange pas, Miguel est une légende et pouvoir jouer avec lui est un honneur, confiera le meilleur Suisse du tournoi au sortir de son parcours. C’est une figure d’identification pour tous les golfeurs, un personnage comme on n’en fait plus.»
Avant chaque coup, Miguel Angel Jimenez caresse ses fers favoris en marmonnant dans sa barbichette quelques onomatopées que seul son caddie semble comprendre – à moins qu’il fasse semblant. Puis il lui confie son précieux cigare, juste le temps de taper la balle: dans sa prise en main si délicate, on devine qu’il a pour consigne d’en prendre encore plus soin que des clubs.
L’approche est ratée. L’Espagnol se rue sur son havane pour mieux ruminer, et très vite passer au coup suivant. Le voilà sur le green, où il fait preuve d’une souplesse insoupçonnée au moment d’évaluer la topographie des lieux. Le genou fléchi, le putter tendu droit devant lui, il ferme un œil mais le bon pour tracer la route idéale vers le trou. Une dernière taffe sur le cigare, quelques petits pas dans une routine parfaitement chorégraphiée, deux coups dans le vide, et le voilà qui tente sa chance: encore raté.
La frustration le gagne comme elle le libère. L’homme en a connu d’autres, même si ce jour nuageux ne ressemble décidément pas à un de ceux qui le porteraient aux nues, il s’en accommode assez vite en trouvant du réconfort avec quelques bouffées de sa branche. Le golf est ainsi fait qu’il ne faut jamais laisser l’insatisfaction prendre le dessus, mais toujours laisser la perspective du prochain coup révéler des rayons d’optimisme.
Un magnifique birdie qui soulève la foule
Nous voilà déjà au trou numéro 9. Miguel Angel Jimenez a retrouvé des couleurs avec un joli birdie sur le 7, en même temps que le soleil laisse poindre ses premières flèches. Sur ce par 5, il est en confiance, il tape loin et bien. Après trois coups, il est sur le green, mais à environ 6 mètres du trou. Son cigare n’est plus là, il l’a enterré en même temps que sa mauvaise veine. Le coup est crucial, s’il entend passer le cut. Alors il enclenche sa routine, fait dandiner ses mocassins jusqu’à poser sa cambrure. Silence, moteur, action, le temps s’arrête, et puis exulte, sa balle est au fond, la foule est à ses pieds.
À croire que c’est pour ce genre de moments qu’il traîne encore ses vieilles guêtres sur les parcours du monde entier. Parce qu’une fois qu’on a goûté à cette ivresse, difficile d’accommoder une existence à son absence – un peu comme avec le Tignanello. Mais le temps passe, et avec lui va, tout s’en va.
De fait, un bogey au trou numéro 12, un autre au 17, et voilà le cut qui s’envole avant même d’arriver sur son trou fétiche, le 18. C’est ici que Severiano Ballesteros, son mentor, avait réussi un des coups les plus improbables de l’histoire du tournoi. Coincé entre des arbres, derrière le mur de la piscine, il était parvenu à approcher le green, avant de signer un birdie mémorable. Une stèle marque l’endroit.
Miguel Angel Jimenez attendra encore: avec sa carte à +1, il quitte le tournoi en saluant la foule d’un signe de la main, le regard noir mais la tête haute. Très vite, il trouvera le réconfort dans un cigare et pas besoin de s’apitoyer sur son sort. Comme disait «Seve»: «Le défi du golf, c’est d’accepter d’être imparfait.»
Florian Müller est journaliste et chef de la rubrique sports de 24 Heures, de la Tribune de Genève et du Matin Dimanche. Après des études de Lettres à l’Université de Genève, il rejoint les rédactions du groupe Tamedia en 2010.Plus d’infos@FloMul
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