Julius Pepperwood soupire un bon coup, pour faire redescendre la pression. Les dossiers d’importance commencent à s’empiler, et il n’a jamais fonctionné autrement qu’en date butoir de la veille au lendemain. Il fait tourner son whisky dans son verre, comme pour s’apaiser. Regardant par-delà sa fenêtre, il se dit qu’il est temps de prendre l’air. Parce qu’il y a une villa devant laquelle il passe souvent, sans jamais avoir pris le temps de connaître son histoire.

Difficile de la manquer, lorsque l’on va du Conseil des XV vers l’Orangerie. Située sur la rue de Verdun, la villa Oppenheimer accroche tout de suite le regard : non pas pour ses murs blancs, son allure sobre et son architecture du XVIIIe siècle de type classique, mais plutôt pour son drapeau français côtoyant le bleu européen. Dans le quartier des ambassades et des consulats, cela interroge.

villa oppenheimer © Nicolas Kaspar / Pokaa

Finalement, rien de très étonnant : il s’avère que la villa Oppenheimer est la demeure de la représentation permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe, et ce depuis 1966. Depuis 2023 et son passage comme ministre de l’Éducation nationale, c’est Pap Ndiaye qui occupe le poste d’ambassadeur et de représentant permanent.

Mais au-delà de sa fonction actuelle, la villa Oppenheimer a également une histoire qui lui est propre depuis sa construction entre 1912 et 1917 sur un terrain de 3 162 m2, en plein quartier des Musiciens. Une histoire qui, comme souvent à Strasbourg, oscille entre la France et l’Allemagne.


villa oppenheimer © Nicolas Kaspar / Pokaa

La villa Oppenheimer, c’est pas de la bombe (c’est plutôt du cuir)

D’emblée, douchons les enthousiasmes : la ville Oppenheimer n’a aucun rapport avec le père de la bombe atomique. Elle est nommée en référence à son maître d’ouvrage, Julius Oppenheimer, qui vient d’une famille de courtiers en cuir.

Alors que sa famille s’est implantée en 1871 en Alsace, devenue allemande, il naît en 1874 au 10 rue des Veaux, selon Archi-Wiki citant les archives de la Ville de Strasbourg. Pour la petite anecdote, c’est là que se trouve désormais l’école maternelle Louis-Pasteur.

villa oppenheimer © Nicolas Kaspar / Pokaa

Une fois devenu adulte, Julius Oppenheimer dirige une grande usine de cuir avec son cousin Carl Adler : les Établissements Adler et Oppenheimer. D’abord installée à la Montagne Verte, elle déménage par la suite à Lingolsheim, et deviendra les Tanneries de France. À la fin de la Première Guerre mondiale, l’entreprise employait 2 000 ouvriers/ères sur un terrain de 142 hectares, avec 225 bâtiments et ateliers.

Sauf que Julius Oppenheimer n’a rapidement plus été là pour superviser son activité ; car s’il ne décède qu’en 1934, il fut expulsé d’Alsace avec sa famille en 1920. Une expulsion retardée d’un an puisque les députés du Bas-Rhin et la municipalité strasbourgeoise s’opposèrent une première fois à un départ forcé en 1919. Reconnaissante de ce geste, Annelies, fille de Julius Oppenheimer née à Strasbourg, a légué 11 tableaux qui ont rejoint la collection du musée strasbourgeois des Beaux-Arts.

villa oppenheimer © Nicolas Kaspar / Pokaa

Une villa à l’architecture classique, mais à l’histoire tourmentée

Au-delà de l’histoire de la famille qui lui donne son nom, la villa Oppenheimer est un exemple typique de l’architecture classique du XVIIIe siècle. Architecture de l’Antiquité remise au goût du jour, elle se caractérise dans le cas de la villa Oppenheimer par les côtés décoratifs de ses quatre colonnes à l’entrée, mais également de sa corniche à denticules en support de la toiture mansardée. Une petite terrasse est également visible à l’arrière du bâtiment, tandis que celui-ci s’ouvre sur un grand jardin, invisible du grand public.

Si son architecture est classique et sa carcasse plutôt sobre, la villa Oppenheimer a une histoire plutôt tourmentée, signe des tourbillons qui ont agité l’Alsace pendant la période des deux guerres mondiales. Après l’expulsion de la famille Oppenheimer, le bâtiment a accueilli dès 1921 l’Office de vérification et de compensation pour l’Alsace et la Lorraine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis prennent possession de la ville et du terrain, pour y implanter une organisation de génie civil et militaire.

villa oppenheimer © Nicolas Kaspar / Pokaa

Finalement, elle sera même brièvement occupée par les Américains après la Libération, avant d’accueillir l’Office des biens et intérêts privés (OBIP). Ce dernier est un organisme créé pendant la Première Guerre mondiale, servant à recenser les biens et intérêts de particuliers/ères français(es) tombés aux mains de l’ennemi.

Et si de 1966 à aujourd’hui, elle abrite surtout la maison de l’ambassadeur et du représentant permanent de la France, la villa Oppenheimer est toujours listée comme adresse de l’établissement « Office biens intérêts privés ». Il faut croire qu’elle a encore quelques secrets.