Pour faire face à la difficile mobilité dans l’Éducation nationale, certains professeurs, souvent coincés dans une région qui ne leur plaît pas et désireux de retrouver leurs proches, décident de réaliser des « pacs blancs », pourvoyeur de points inhérents au système de mutation. Quatre enseignants nous racontent.

« Bonjour, actuellement professeur stagiaire affecté à Reims, je recherche quelqu’un vivant en Lorraine, prêt à faire un Pacs pour me permettre de rentrer l’année prochaine ». Sur le site « Planète enseignant », crée par des enseignants pour des enseignants, ce type d’annonces visant « à rechercher un partenaire de pacs » pullule.

Une demande étrange à première vue mais qui est bien connue dans le secteur de l’Éducation nationale pour affronter le système par points qui régit les mutations. L’objectif est simple: contracter un « pacs blancs » afin d’obtenir des points et décrocher la mutation souhaitée.

Plus les académies sont demandées, comme en Bretagne ou dans le Sud-Ouest de la France, plus il faut un nombre important de points pour y accéder, la priorité revenant à celui qui en détient le plus. Se pacser permet d’obtenir 150 points, soit 7 fois plus qu’une année d’ancienneté.

« On ne peut pas quantifier cette pratique, car les collègues qui y recourent ne s’en vantent pas, mais c’est une tendance qui prend de l’ampleur », note Cécile Suel, secrétaire nationale du syndicat des enseignants Se-Unsa, contactée par BFMTV.

« Tout simplement parce qu’on a un gros problème de mobilité géographique dans l’Éducation nationale, en raison de la pénurie d’enseignants, certaines régions deviennent difficiles à quitter », explique-t-elle. « Les possibilités de changer de régions sont de plus en plus bouchées. »

Contacté par BFMTV, le ministère de l’Éducation nationale prend ses distances avec cette pratique. « Il n’appartient pas au ministère (…) de vérifier si Pacs est légal ou non. Il s’agit d’une mesure de justice et non d’administration. Le ministère (…) ne vérifie pas ce qui se passe dans la vie privée des agents », affirme le bureau de presse.

« Je lui ai reversé de l’argent en contrepartie »

Les jeunes entrants sont les premiers à payer les pots cassés du système par points. Le nombre de points dépendant en partie de l’ancienneté, il leur est difficile de rivaliser avec leurs aînés. « Faire un pacs blanc est le seul moyen », nous assure Laura*, 24 ans.

À l’issue du stage qui suit l’obtention du concours, la jeune femme – avec seulement 14 points en poche – ne peut viser que les académies de Créteil, Versailles, Mayotte ou la Guyane. Des destinations qui ne lui plaisent guère. « Je voulais travailler dans le sud, donc je me suis pacsé avec un ami non-prof qui a accepté », raconte Laura qui a pris connaissance de cette astuce aussitôt arrivée dans le métier. « Comme le pacs supprime la prime d’activité, je lui ai reversé de l’argent en contrepartie », souligne-t-elle.

Après un an passé dans l’académie de Versailles et grâce aux « points de séparation » dus à l’éloignement géographique avec son faux conjoint, la professeure de mathématiques obtient gain de cause. « Les profs de math sont tellement demandés partout, que c’était plus facile pour moi », note Laura.

Les pacs blancs, « un cercle vicieux »

Toutes les disciplines ne sont en effet pas logées à la même enseigne. Pour certaines, peu de postes sont à pourvoir comparé aux effectifs, les mutations sont ainsi plus difficiles à obtenir. Romain*, 33 ans, professeur d’EPS, en a fait le constat.

Muté en Seine-Saint-Denis après son stage, il souhaite retourner dans l’académie de Grenoble. Non pas parce qu’il rencontre des difficultés dans son travail mais parce que son cadre de vie ne lui convient pas. « En tant que professeur, on est payé pareil que l’on soit en région parisienne ou ailleurs », pointe Romain interrogé par BFMTV.com. « Puis, j’avais mes amis, ma famille vers Grenoble ».

En poste dans un collège d’éducation prioritaire depuis cinq ans, et malgré la bonification de points que cela apporte, le système ne lui permet toujours pas d’exaucer son voeu. « Je me résous donc à faire un pacs blanc », confie-t-il.

« Je connais l’astuce depuis ma première année car des collègues m’en ont parlé, mais à la base je ne voulais pas participer à ce système », assure-t-il. « C’est un cercle vicieux, cela fait exploser les points, augmenter les barèmes ». Mais « vu que tout le monde le fait… ».

Des amis sollicités

Romain ne souhaite rester sur le carreau. ll se pacse avec une amie « non-prof » qui vient de trouver un travail dans l’académie de Grenoble. « Je ne voulais pas le faire avec n’importe qui », notamment à cause de la déclaration commune de revenus, nous explique le trentenaire. Bingo, cette manoeuvre qui dure « dix minutes à la mairie » lui permet de rentrer dans le sud-est l’année d’après.

Pour Arthur*, également professeur d’EPS, le pacs blanc lui « a sauvé les meubles ». Il a pensé lui-même à cette astuce « après l’échec de sa première mutation ».

« Je ne connaissais pas très bien le système, mais j’ai compris que ce n’était pas comme pour le stage, par rapport au mérite, mais par rapport à l’expérience et à la vie privée, au pacs, au mariage », décrit-il.

« J’ai commencé à faire mes calculs, et je me suis dit ‘il va falloir faire quelque chose’. Il me restait sinon encore sept années à faire hors de la région centre que je voulais rejoindre », abonde le professeur alors muté dans les Yvelines.

« Là-bas, je ne connaissais personne. J’avais ma famille, ma copine, absolument tout, sur Tours. Puis j’avais aussi un emploi dans le foot donc cela multipliait les allers-retours, avec beaucoup de frais, de fatigue » précise Arthur qui décrit « une situation un peu invivable ».

Son pacs, il ne l’a pas fait avec sa copine: « c’était une nouvelle relation, je ne voulais pas m’engager dans un pacs et vu qu’elle n’avait pas de CDI, le rapprochement de conjoint n’aurait pas fonctionné », explique le professeur. « J’ai trouvé un ami qui m’a dit oui, et on l’a fait ».

« On nous a demandé de nous embrasser, on n’était pas très chauds »

Si pour Arthur, le pacs blanc n’a pas été source de discorde au sein de son couple, il en a été autrement pour Clément*. « Dès que j’ai eu le concours, des amis m’ont dit qu’il fallait absolument que je me pacs. Je suis allée voir ma compagne de l’époque pour le lui demander en expliquant que j’avais besoin de points », nous raconte-t-il.

« J’ai compris dans son regard que c’était trop tôt, elle a dû se dire que je débloquais complétement. Cela a créé de grosses tensions dans notre couple ».

Mais le jeune professeur, alors âgé de 20 ans, ne souhaite pas lâcher l’affaire. Il convaint son colocataire, et entraîneur de natation, de se pacser avant la fin du mois d’août, date butoir pour que les points soient pris en compte lors du prochain mouvement.

« La mairie a été une sacrée expérience. On nous a demandé de nous embrasser, on n’était pas très chauds », plaisante-t-il. Puis la secrétaire de la mairie a compris. « Elle nous a demandé si l’un de nous d’eux était dans l’Éducation nationale’, » relate Clément qui précise que sur dix personnes ayant eu le concours dans son entourage, trois ont établi des pacs par arrangement.

Si jusqu’ici, les points obtenus grâce au pacs ont permis au jeune professeur d’EPS d’éviter Paris comme il le voulait « absolument », il n’a toujours pas réussi à rejoindre sa région natale, la Bourgogne. Et pour lui, cette issue n’est pas négociable, quitte à remettre en question son poste d’enseignant.

« Je suis en train d’acheter une maison avec ma compagne. Si d’ici quatre ans, je ne suis pas retourné en Bourgogne, je prendrais une décision », affirme-t-il. Repasser le concours dans le privé et ainsi choisir son lieu de travail? Devenir professeur contractuel? Changer totalement de métier? Toutes les options sont sur la table. « Je ferais passer ma vie perso avant ma vie pro », assure Clément. « Ce système est violent psychologiquement pour les gens ».

*Les prénoms ont été modifiés.