Les langues humaines semblent
parfois chaotiques, mais elles obéissent à des règles mathématiques
étonnamment cohérentes. Parmi elles, la loi d’abréviation de Zipf,
formulée par le linguiste George Zipf dans les années 1930,
démontre que plus un mot est utilisé fréquemment, plus il tend à
être court. Cette loi, connue pour régir la structure de nos mots,
pourrait ne pas être une exclusivité humaine : de récents travaux
montrent que les oiseaux suivent eux aussi cette règle, ouvrant une
fenêtre fascinante sur les principes universels de
communication.

La loi d’abréviation de Zipf :
un ordre derrière le langage

Zipf a observé que les langues
humaines n’étaient pas seulement le produit du hasard ou de la
culture. Les mots les plus courants sont courts — comme
le, et ou à en français — tandis que les termes rares sont
souvent longs, comme anticonstitutionnellement. Cette tendance n’est pas
unique à l’anglais ou au français : elle se retrouve dans des
langues aussi diverses que le chinois, l’espagnol, le polonais, ou
encore l’indonésien.

Le principe sous-jacent est
simple mais puissant : il favorise une communication efficace. Les
mots fréquemment utilisés sont rapides à prononcer et faciles à
mémoriser, tandis que les termes rares, moins urgents à utiliser,
peuvent être plus longs. Ce mécanisme, proche du principe du
moindre effort, traduit une forme d’optimisation naturelle des
systèmes de communication.

Des chants d’oiseaux soumis à
la même règle

Une équipe de biologistes de
l’Université de Manchester et du zoo de Chester a exploré si cette
loi pouvait s’appliquer à d’autres formes de communication. Leur
surprise fut de taille : en analysant plus de 600 chants
appartenant à 11 populations d’oiseaux de sept espèces différentes,
ils ont découvert que les gazouillis les plus fréquemment utilisés
sont significativement plus courts, tandis que les notes rares
durent plus longtemps.

Pour ce faire, ils ont
développé un outil informatique open source, ZLAvian, capable de
mesurer la relation entre la fréquence et la durée des notes dans
les chants. Les résultats, même s’ils n’étaient pas toujours
évidents à l’échelle individuelle, se sont révélés nettement
lorsqu’on combinait les données au niveau des populations.

Toutes les langues humaines obéissent mystérieusement à la loi d'abréviation de Zipf. Elle s'applique aussi aux chants d'oiseaux.

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iStock

Crédits : Wouter_Marck/istockUne découverte qui dépasse
l’espèce humaine

Cette observation suggère que
la loi d’abréviation de Zipf n’est pas le fruit d’une culture
humaine spécifique, mais une règle fondamentale qui pourrait
façonner de nombreux systèmes de communication. Les similitudes
entre les structures cérébrales et les gènes impliqués dans
l’apprentissage de la communication chez les oiseaux et les humains
pourraient expliquer cette convergence.

Des études antérieures ont
montré que d’autres animaux suivent également des modèles
comparables : les baleines à bosse, par exemple,
organisent leurs chants selon des motifs qui maximisent
l’efficacité, et les manchots africains semblent
appliquer des règles similaires dans leurs vocalisations.
L’ensemble de ces observations renforce l’idée que l’optimisation
de la communication est un principe universel, inscrit dans la
nature même de la transmission d’information.

Implications et perspectives
pour la recherche

L’équipe de Manchester espère
que l’outil ZLAvian permettra de découvrir des modèles similaires
chez d’autres espèces animales, ouvrant la voie à une compréhension
plus globale des systèmes de communication. En étudiant un large
éventail d’animaux, les chercheurs pourraient identifier des règles
universelles et comprendre comment l’efficacité et la brièveté sont
sélectionnées par l’évolution.

Par ailleurs, ces découvertes
pourraient enrichir la linguistique humaine elle-même. En comparant
les langages animaux aux langues humaines, les scientifiques
peuvent mieux cerner les mécanismes cognitifs et biologiques qui
sous-tendent la parole et la transmission de l’information.

Un ordre caché dans le
chaos

En fin de compte, la loi de
Zipf et ses variantes révèlent que les systèmes de communication ne
sont pas uniquement façonnés par la culture ou le hasard. La
brièveté des mots fréquents et la longueur des mots rares
traduisent une logique d’efficacité qui se retrouve chez l’homme
comme chez l’animal. C’est une preuve supplémentaire que derrière
le tumulte apparent des sons et des mots se cache un ordre
mathématique universel, à la fois surprenant et fascinant.

L’étude publiée dans PLOS Computational Biology ouvre ainsi un champ de
recherches prometteur, qui pourrait un jour permettre de mieux
comprendre non seulement le langage humain, mais aussi les
stratégies de communication de toute la nature. Les chants
d’oiseaux, souvent perçus comme simples et agréables, pourraient
bien être le reflet d’une sophistication cognitive et mathématique
insoupçonnée.