» Rien n’est mis en place à la hauteur de ce fléau: au niveau de la police, de la justice, de l’éducation nationale… Il suffit de regarder les chiffres: les féminicides ne baissent pas. » Muriel Dotta brosse rageusement ce constat. Cette Grassoise est la mère de Salomé Garnesson, la jeune femme de 21 ans tuée par son conjoint il y a six ans exactement ce dimanche. Massacrée parce qu’elle avait voulu le quitter. Son corps avait été découvert sous un tas d’immondices près de la gare de Cagnes-sur-Mer au petit matin du 31 août 2019 (1). C’était le 100e féminicide intervenu cette année-là en France.
Les statistiques, cette maman déterminée ne les connaît que trop bien. Elle récite avec colère: « Un féminicide tous les deux jours et demi, un viol ou tentative de viol toutes les 2 minutes 30. C’est un échec. L’État ne fait pas ce qu’il faut. » Alors, inlassablement, elle raconte, pour sensibiliser, pour alerter. Et martèle: « Salomé, c’est un féminicide, pas un fait divers. Elle est devenue le symbole de ce combat. »
« Si on n’agit pas auprès des jeunes, rien ne changera »
Muriel Dotta est engagée au sein de l’association NousToutes06 et participe à de nombreux événements visant à lutter contre les violences faites aux femmes. « Il faut informer. Et commencer tôt. L’éducation, c’est la base. Si on n’agit pas auprès des jeunes, rien ne changera. On est dans une société basée sur la violence dans laquelle on éduque les garçons à être les plus forts, à cacher leurs émotions. Ça ne fonctionne pas, il faut tout reprendre à la base. Montrer aux enfants qu’il y a une égalité entre tous, quel que soit le sexe. Ensuite, la justice est trop laxiste. Les statistiques montrent par exemple qu’il faut neuf victimes pour qu’un violeur soit inquiété… »
La maman de Salomé multiplie les prises de parole pour alerter sur le phénomène de l’emprise. « Il faut pouvoir le repérer et agir. C’est très difficile car l’auteur va tout faire pour que la victime se renferme sur elle-même, s’éloigne de son cercle amical et familial. Ma fille, par exemple, avait changé de style vestimentaire: elle cachait son corps, elle avait pris de la distance avec nous. Ce n’est qu’après que j’ai compris tout cela. Et c’est pour ça que je veux sensibiliser. Lorsqu’on sent qu’une personne est sous emprise, il faut rester à l’écoute, même si elle vous repousse, il faut rester près d’elle, lui tendre la main, lui dire qu’on l’écoute et qu’on la croit car elle, elle est dans la peur, elle n’est plus dans la réflexion. Ça peut aller très vite ». Ainsi qu’elle l’écrit dans son livre, « J’ai mis neuf mois pour la faire naître, il a mis neuf mois pour la tuer », soit la durée de la relation de Salomé avec son meurtrier.
Ne pas se taire
Le 7 septembre 2019, une marche blanche en mémoire de Salomé avait été organisée à Cagnes-sur-Mer. Photo Sébastien Botella Sébastien Botella.
Muriel Dotta exhorte aussi « les voisins, ceux qui entendent des disputes, à prévenir la police, à frapper aux autres portes pour qu’il y ait des témoins et à intervenir. Lorsqu’on a un doute, on y va. »
Elle soutient aussi toutes les initiatives: « A Grasse a été mis en place un réseau de prévention des violences incluant les élus, le social, la police et la justice. Ce type de dispositif devrait être dupliqué partout. »
(1) L’auteur, Amin Mimouni, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec vingt-deux ans de sûreté le 9 mars 2023. Il n’a pas interjeté appel.
Muriel Dotta (à gauche) et Sandra Mathieu ont publié en mai aux éditions Télémaque le livre » Elle s’appelle Salomé. Dialogue autour d’un féminicide « . DR
Un « dialogue autour d’un féminicide »
Muriel Dotta a coécrit uun livre avec Sandra Mathieu, Elle s’appelle Salomé (éd. Télémaque) sorti le 22 mai 2025 (2). Sous-titré Dialogue autour d’un féminicide, ce témoignage est le fruit de longs mois d’échanges avec son amie, enseignante et autrice. « Le livre a été bien accueilli. Nous avons reçu beaucoup de messages de femmes victimes ou qui l’ont été. J’ai aussi été contactée par des personnes qui me demandent des conseils pour raconter leur propre histoire, confie Sandra Mathieu. Cet ouvrage, c’est une manière de marquer les esprits en touchant les cœurs. »
Au moment de la publication, les deux femmes ont organisé deux jours de dédicace à l’atelier grassois de Muriel Dotta. « Nous avons eu 200 personnes mais parmi elles, peu d’hommes. Ils ne sont pas très mobilisés sur le sujet des féminicides. Peut-être parce que certains pensent que c’est un problème de femmes, qu’ils ne mesurent pas ce qu’il se passe, parfois par manque d’empathie, ou bien parce qu’ils ne se sentent pas légitimes… Globalement, ils semblent mal à l’aise… Et puis, il y a tous ceux qui n’ont pas réellement envie que le système change. Je pense que nous, les femmes, devons trouver comment les intégrer dans ce combat. Je mise sur l’éducation et la culture », lance l’autrice également psychopédagogue.
Sandra Mathieu a également sollicité la municipalité de Grasse, ville où Salomé a grandi et où elle a suivi sa scolarité: « J’ai proposé à Muriel que nous demandions l’installation d’une plaque mémorielle au nom de Salomé. C’est une manière de ne pas l’oublier mais aussi de rappeler que les violences peuvent toucher tout le monde. C’est aussi un prétexte à la discussion: il faut parler, il faut que les victimes sachent qu’elles ne sont pas seules, il faut agir avoir que ça ne soit trop tard. »
(2) Muriel Dotta et Sandra Mathieu seront présentes à la librairie Expressions, à Châteauneuf-Grasse, samedi 13 septembre de 10h à 12h30, au festival du livre du Rouret dimanche 28 septembre et au Salon du livre de Mouans-Sartoux, samedi 4 et dimanche 5 octobre.
Une maison des femmes en 2026
Laurence Trastour-Isnart, conseillère municipale de Cagnes-sur-Mer, était en 2019 députée de la circonscription. Elle s’était immédiatement mobilisée, avait participé à la marche blanche en mémoire de Salomé et poursuit aujourd’hui son engagement contre les violences faites aux femmes. « Lorsque j’ai appris ce qu’il s’était passé, ça avait été très violent. J’avais reçu les parents. Quand on est soi-même maman, on se projette. C’est absolument intolérable ce qu’il s’est passé. Pire, il y a eu ensuite la mort de Gigi, en 2024 [le collectif NousToutes qui répertorie les féminicides l’avait comptabilisé comme le 31e de l’année 2024]. Malgré les dispositifs, on peine à faire baisser les chiffres. »
Pour autant, l’élue Les Républicains refuse de baisser les bras: « La Ville construit une maison des femmes, qui devrait ouvrir en 2026. Ce sera un lieu où les victimes pourront trouver refuge et obtenir les informations et l’accompagnement nécessaires grâce à une équipe pluriprofessionnelle constituée de travailleurs sociaux, psychologues, etc. Lorsque j’étais parlementaire, j’étais allée en Espagne pour voir ce qui avait été mis en place. Ils ont des téléphones “grave danger » mais aussi des bracelets anti-rapprochement: lorsque l’auteur de violence s’approche d’une zone définie, un signal est envoyé à la police [lui aussi est prévenu par un appel qu’il doit s’éloigner]. En France, il n’y en a qu’un peu plus de 800 pour le moment. »
Un sentiment de malaise dans le quartier
« Cela fait quelques mois qu’il n’y a plus de fleurs. Avec les travaux de l’immeuble à côté, les lieux ont changé », observe une retraitée qui vit dans la rue où le corps de Salomé a été découvert il y a six ans. Elle « n’ (était) pas là ce jour-là » mais confie que le drame « avait remué tout le quartier ».
Et aujourd’hui? « On n’en parle plus, souffle une autre voisine. Personne n’a oublié mais c’est tellement triste… » Dans le secteur, tous les habitants croisés disent la même chose, sous couvert d’anonymat. « Je n’habitais pas encore là et quand je me suis installée, j’ai su ce qu’il s’était passé, raconte une voisine. On ne se sent pas toujours en sécurité ici. Heureusement, ils ont installé une caméra. »
Stéphane, la cinquantaine, se souvient lui aussi: « Quelle horreur ce qu’il s’est passé… » Il discute avec son collègue, Pascal, qui ne cache pas sa résignation: « J’ai l’impression que pas grand-chose n’a changé depuis. On entend toujours des histoires comme celles-là. Il y en a eu avant, il y en a encore. Ça recommence. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour que ça change. »
Une trentenaire confie son malaise: « Je sais que ça s’est passé là-bas. C’est très glauque, ça glace le sang. C’est étrange parce qu’à la fois on n’en parle pas mais en même temps on sait ce qu’il s’est passé. Je ne sais pas si ça a fait évoluer les choses mais ça devrait. Des drames pareils ne doivent plus arriver. »