L’Europe de la défense avance souvent au rythme de ses désaccords. Malgré des ambitions partagées, les projets conjoints peinent à échapper aux logiques nationales. À mesure que les tensions géopolitiques se multiplient, l’idée d’un appareil militaire unifié devient un enjeu stratégique majeur. Le programme SCAF, censé incarner cette convergence, cristallise aujourd’hui les rivalités franco-allemandes au lieu de les dépasser.

Rafale français et aux Eurofighter allemands et espagnols. Conçu comme un “système de systèmes”, il comprend un nouvel avion piloté, des drones de combat dits “Remote Carriers” et un réseau de données en temps réel, le “Combat Cloud”. L’objectif affiché est de disposer d’un appareil furtif, interconnecté et soutenu par l’intelligence artificielle à l’horizon 2040.

Le budget dépasse les 100 milliards d’euros, ce qui en fait le plus vaste projet de défense européen de ces dernières décennies. Derrière cette ambition, l’idée est de garantir une autonomie stratégique face aux États-Unis et à leurs avions F-35 déjà déployés dans plusieurs armées européennes. Selon Aviation News, le SCAF doit aussi poser les bases d’une industrie de défense intégrée capable de rivaliser avec les grands consortiums internationaux.

Les tensions franco-allemandes freinent la coopération industrielle

Conçu comme une vitrine de la coopération européenne, le programme bute aujourd’hui sur les divergences entre Paris et Berlin. La France, portée par Dassault Aviation, réclame une part majoritaire de près de 80% des travaux. L’Allemagne dénonce un déséquilibre qui marginaliserait Airbus et compromettrait la participation de ses propres entreprises. Une lettre du ministère allemand de la Défense, révélée par Euractiv, alerte même sur les “graves conséquences” qu’un tel déséquilibre pourrait avoir sur les capacités militaires de la Bundeswehr et sur l’avenir de sa recherche technologique.

Les discussions autour du partage des tâches retardent le lancement de la deuxième phase, consacrée à la construction des prototypes. Alors que cette étape devait débuter dès la fin de l’année 2025, le calendrier est désormais repoussé. Les ministres de la Défense français, allemand et espagnol se réuniront en octobre pour tenter de relancer les négociations et sortir de l’impasse.

L’avenir de l’autonomie militaire européenne en suspens

Ces rivalités ne sont pas seulement une bataille d’industriels. Elles interrogent la capacité du continent à bâtir une défense commune. Le projet SCAF était censé illustrer la cohésion européenne, mais les blocages nourrissent les doutes sur la possibilité d’unir des intérêts nationaux parfois divergents. The National souligne qu’en cas d’échec, l’Allemagne pourrait se tourner vers le programme britannique Tempest, développé avec l’Italie et le Japon, qui avance plus vite et prévoit un premier vol dès 2027.

Au-delà des retards, c’est donc l’autonomie militaire de l’Europe qui se joue. Si les partenaires échouent à trouver un compromis, l’avenir du ciel européen pourrait dépendre de solutions venues d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. Pour l’heure, les experts restent prudents, rappelant que Paris et Berlin sont contraints de poursuivre leur coopération, malgré leurs divergences. Derrière le bras de fer sur la répartition des tâches, c’est une vision de la souveraineté européenne qui se dessine.