Les dirigeants de la France, de l’Allemagne et de la Pologne viennent de participer à Chisinau à la fête de l’indépendance de la Moldavie, aux côtés de la présidente pro-européenne Maia Sandu, alors que se profilent des élections législatives très disputées où le parti de Sandu, au pouvoir, sera confronté à une opposition pro-russe désireuse d’imposer au pays un chemin inverse à celui emprunté au cours de ces dernières années, qui l’ont vu obtenir le statut de candidat à l’adhésion à l’UE.

Pour la première fois depuis son indépendance en 1991, la Moldavie a accueilli, à l’occasion de sa fête nationale du 27 août 2025, les trois dirigeants européens du triangle de Weimar : Emmanuel Macron, Friedrich Merz et Donald Tusk. Cette venue remarquée ne manque pas d’être analysée comme un soutien à la trajectoire européenne du pays, mais aussi à la présidente Maia Sandu et à son parti, le Parti Action et Solidarité (PAS). À un mois des élections législatives du 28 septembre prochain, si cette marque de soutien s’avère bienvenue pour le parti au pouvoir, elle n’en comporte pas moins le risque d’attiser la polarisation politique.

En effet, la présence des leaders français, allemand et polonais lors de cette fête nationale est survenue à un moment hautement stratégique quand, plus que jamais, la Moldavie – pays de 2,6 millions d’habitants et seulement 33 000 kilomètres carrés situé entre la Roumanie et l’Ukraine, et dont une partie de près de 4 000 kilomètres carrés, la Transnistrie, est sous lourde influence de Moscou depuis plus de trente ans – oscille entre l’influence géopolitique de l’UE et celle de la Russie.

Une fête nationale sous haute tension géopolitique

Près de 100 000 personnes se sont rassemblées à Chisinau pour écouter les discours des trois dirigeants européens, tous unis dans leur condamnation des multiples ingérences de Moscou visant à discréditer Maïa Sandu et à faire perdre les prochaines élections au PAS, le Kremlin soutenant une coalition dénommée Bloc électoral patriotique.

La fête s’est ainsi transformée en meeting diplomatique, à l’heure où les incertitudes du front ukrainien sont nombreuses, et entretenues par la désinformation russe. Un exemple parmi d’autres : ce rassemblement s’est tenu le jour même de la propagation d’une fausse rumeur concernant l’envoi de 700 volontaires moldaves pour aller combattre en Ukraine, apparue dans un obscur journal turc et largement amplifiée par les réseaux russes (presse, Facebook, Telegram). De quoi apporter de l’eau au moulin d’une opposition qui accuse régulièrement, et avec véhémence, Maia Sandu, laquelle affiche volontiers son soutien à Kiev, de vouloir entraîner la Moldavie dans la guerre.

Cette journée aura souligné combien le clivage géopolitique, aux côtés des enjeux économiques (étatistes contre libéraux) et culturels (places respectives de la langue nationale et des langues minoritaires), sans que ces clivages ne se recoupent totalement, est fondamental depuis l’indépendance. Cette polarisation est si marquée qu’on a parfois qualifié les formations politiques moldaves de « partis géopolitiques ».

Lors de la campagne présidentielle de 2020, qui s’était soldée par sa première élection, avant sa réélection en 2024, Maia Sandu avait pourtant exprimé sa volonté de sortir de ce clivage politique pour se concentrer sur les réformes internes ; mais, depuis, l’approche a été complètement renversée. La présidente affirme désormais que si les partis pro-russes l’emportent à l’occasion de la prochaine élection législative, « nous perdrons la chance d’adhérer à l’UE d’ici 2030. Il existe un grand risque que la Moldavie se retrouve dans une position où elle peut être utilisée par Moscou contre l’Ukraine, ce qui créera de graves menaces pour la sécurité et la vie de nos citoyens ».

Guerre en Ukraine, paix en Alaska : un scrutin moldave sous influence globale

La guerre en Ukraine a constitué un véritable accélérateur de l’histoire pour l’intégration européenne de la Moldavie.

Dès les premiers jours du conflit, l’accueil massif de réfugiés ukrainiens a lié le destin des deux anciennes Républiques soviétiques. La détermination de l’équipe au pouvoir à Chisinau a alors permis à la Moldavie d’obtenir le statut de candidat officiel en juin 2022, chose qui aurait été jugée improbable en janvier 2022, au tout début de la présidence française de l’Union européenne.

L’ouverture des négociations en décembre 2023 a constitué une nouvelle étape cruciale de ce chemin, qui devrait amener la Moldavie à devenir un État membre à l’horizon de cinq ans. Pour l’équipe Sandu, les conditions de cette intégration passent par le soutien à l’Ukraine, le respect des sanctions contre la Russie décidées par l’UE, ainsi que par l’appel à une paix durable avec de solides garanties de sécurité pour l’Ukraine. En cela, elle n’a pas changé de ligne de conduite en dépit des vicissitudes.

Manifestation d’opposition, 12 octobre 2024. Sur la pancarte : « Maia Sandu et l’UE : pauvreté et froid dans chaque foyer ».
Daniel Mihailescu/AFP

Toutefois, derrière le pari de la continuité du soutien occidental à l’Ukraine, de nouvelles incertitudes émergent pour le pouvoir moldave avec les négociations entre Trump et Poutine, qui ont pris un tournant spectaculaire en Alaska le 15 août dernier, redessinant les perspectives régionales. Alors que Joe Biden citait la Moldavie en exemple de démocratisation, le pays a au contraire fait l’objet de critiques de la part de Donald Trump qui a affirmé, au moment de justifier la fermeture d’USAID, que l’Agence y avait dépensé de l’argent en vain.

L’opposition moldave pro-russe, elle, voit dans la ligne de Donald Trump une perspective prometteuse. Sur sa chaîne Telegram, l’ancien président et figure de l’opposition Igor Dodon (2016-2020) a ainsi déclaré à propos de la rencontre alaskienne qu’elle était « un événement historique et un exemple de responsabilité politique et de maturité des dirigeants des deux principales puissances mondiales. » À cette occasion, l’opposition ne manque pas non plus d’essayer de recentrer le débat sur les enjeux internes, marqués par un bilan socio-économique jugé bien en deçà des avancées en matière de politique étrangère.

L’Europe comme rempart, la Moldavie comme test

La visite du « trio de Weimar » ne se limite pas à un appui électoral de courte vue au PAS, mais incarne la volonté de stabiliser une région où se joue une partie de l’avenir de l’Europe.

En 2009, l’Union européenne avait mis en place une politique dite de Partenariat oriental, à destination des pays situés entre elle et la Russie. Un rapide état des lieux des six pays concernés permet de faire ressortir la singularité de la Moldavie : la Biélorussie est désormais un État sous emprise politique de la Russie ; l’Ukraine est en guerre ; la Géorgie a vu son gouvernement, contre les souhaits de son opinion publique, se détourner de l’intégration européenne ; enfin, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui se sont affrontés militairement à plusieurs reprises ces dernières années, viennent d’accepter une médiation américaine, fragilisant le rôle des Européens au Caucase du Sud.

Dans ce contexte, la Moldavie devient la vitrine des bénéfices de l’intégration européenne pour la région, tant en matière de sécurité que de développement. Avec une opinion publique très majoritairement hostile à une intégration à l’OTAN (la Moldavie étant constitutionnellement neutre) mais souhaitant néanmoins intégrer l’UE (le référendum pour inscrire dans la Constitution l’ambition européenne de la Moldavie d’octobre 2024 ayant été approuvé à une courte majorité de 50,4 %), les dirigeants moldaves se concentrent sur la mise en avant des apports européens en termes d’infrastructures, d’éducation ou de santé.

Le PAS mise sur l’argument européen pour mobiliser ses électeurs, soulignant qu’une alternance politique risquerait de compromettre la confiance des partenaires européens et de freiner le processus d’intégration à l’UE. Selon le ministre des affaires étrangères Mihai Popsoi, les élections législatives du 28 septembre seront décisives pour le pays et s’accompagneront inévitablement d’une grande polarisation. Les autorités s’attachent désormais à renforcer les institutions démocratiques et à lutter contre les ingérences extérieures, espérant ainsi préserver la stabilité et la souveraineté du pays.

En définitive, le scrutin de septembre est bien plus qu’un vote national : il constitue un test de résilience démocratique pour toute la région. Le paradoxe est saisissant : la fête d’indépendance est célébrée alors que la Moldavie se trouve déchirée entre des influences extérieures opposées. Mais ce paradoxe révèle une vérité plus profonde : la Moldavie est devenue un pivot stratégique incontournable. Dans ce nouveau contexte géopolitique, la souveraineté moldave ne se mesure plus à son isolement, mais à sa capacité à choisir ses alliances et à résister aux pressions extérieures. De fait, l’enjeu dépasse désormais largement les frontières de ce petit État : c’est la crédibilité même du projet d’élargissement européen qui se joue dans les urnes moldaves.