Par

Celestin de Séguier

Publié le

31 août 2025 à 17h00

Nos poissons migrateurs en danger

Cet été, nous partons à la rencontre de trois espèces emblématiques. L’anguille européenne, la lamproie marine et le saumon atlantique. Les noms de ces poissons ne vous disent peut-être rien et pourtant… ils vivent près de chez vous, dans le pays de Fougères.

Menacés par la pression anthropique, la pollution et le dérèglement climatique, les poissons migrateurs amphihalins, qui passent une partie de leur vie en rivière et une partie en mer, se font rares.

Méconnus, ils vivent pourtant des vies impressionnantes et sont capables d’exploits physiques et géographiques.

C’est pour vous aider à mieux les comprendre et sensibiliser à la nécessité de leur protection que nous sommes partis à leur rencontre dans le Couesnon, la Vilaine, la Sélune et leurs affluents, en compagnie de ceux qui les protègent.

En arrivant à Poilley, dans la petite vallée sinueuse du Beuvron, à quelques kilomètres de Fougères (Ille-et-Vilaine), le rituel de terrain des équipes de la Fédération de pêche d’Ille-et-Vilaine, ne change pas. « Vous avez bien pris vos waders ? », interroge Gwenaëlle Artur, directrice, en regardant ses collègues un sourire au lèvres.

« Aujourd’hui, nous allons faire ce qu’on appelle des indices d’observation des saumons, ça ne concerne que les tacons », précise la responsable. Les tacons, ce sont ces jeunes saumons, qui après être nés dans la rivière y vivent un à deux ans, avant de partir en mer pour grandir. En Bretagne, ce protocole concerne 350 stations différentes (des portions de cours d’eau), dont 17 sont situées en Ille-et-Vilaine. « C’est la partie la plus sympa de notre travail, nous sommes en contact avec les poissons et à l’extérieur », sourient les travailleurs des rivières.

Compter les jeunes saumons

Situé sur le bassin-versant de la Sélune, fleuve côtier qui se jette dans la baie du Mont Saint-Michel, le Beuvron est une toute petite rivière. Large de moins de deux mètres, il court à travers des vallons herbacés, au bord d’anciens moulins. L’opération du jour, « c’est ce qu’on appelle un suivi de recrutement », précise Florian Guenineau, responsable du pôle milieux aquatiques de la fédération bretonne. « On s’intéresse uniquement aux jeunes saumons et cet indice nous permet de suivre annuellement les stocks de cette espèce. »

Une truite fario de 26 cm, capturée par les pêcheurs de la Fédération de pêche.
Une truite fario de 26 cm, capturée par les pêcheurs de la Fédération de pêche. ©Célestin de SéguierDe l’aval vers l’amont

Une fois équipé, le groupe se met en direction du lit du ruisseau. « On doit commencer par l’aval et remonter le courant, sinon on lève trop de particules avec nos bottes et on ne voit plus rien dans l’eau », précise Richard Pellerin, équipé d’un appareil de pêche électrique solidement arrimé sur son dos.

« Nous réalisons un total de cinq minutes de pêche électrique effective par station », détaille Gwenaëlle Artur. Une fois activé, l’appareil attire à lui les poissons via un courant électrique, ils sont ensuite capturés à l’aide d’une épuisette. Au bout d’une demi-heure, les visages sont perplexes. Beaucoup de chabots, de loches, des anguilles et des truites fario, mais aucune trace de jeunes tacons. « L’habitat est parfait pour les truites, mais c’est relativement pauvre, il n’y a pas de grosses densités », s’inquiète Florian Guenineau.

Un tacon d'une dizaine de centimètres capturés par les pêcheurs de la Fédération de pêche d'Ille-et-Vilaine.
Un tacon d’une dizaine de centimètres capturé par les pêcheurs de la Fédération de pêche d’Ille-et-Vilaine. ©Célestin de Séguier

Votre région, votre actu !

Recevez chaque jour les infos qui comptent pour vous.

S’incrire
Pêche interdite pendant cinq ans

La baisse des populations de saumons dans les rivières n’est pas nouvelle et inquiète depuis longtemps. Mesure de dernier recours afin de freiner le recul de l’espèce, les pêches du saumon atlantique et de la truite de mer ont été interdites en 2025 en Bretagne dans les cours d’eau, les estuaires et en mer. « L’interdiction va durer au moins cinq ans, c’est un minimum pour permettre à l’espèce de reprendre son souffle et de se réinstaller de manière pérenne là où elle le pourra. »

Les membres de la Fédération de pêche d'Ille-et-Vilaine agissent pour protéger les saumons sauvages.
Les membres de la Fédération de pêche d’Ille-et-Vilaine agissent pour protéger les saumons sauvages. ©Célestin de Séguier

Pour les spécialistes, bien que le problème soit « multifactoriel », c’est surtout « une pression de pêche importante en mer, notamment sur la nourriture consommée par les saumons autour du Groenland », qui est en cause dans le recul de l’espèce. Une fois en rivière, les saumons se reproduisent en effet plutôt bien, mais c’est le taux de retour des adultes, qui reviennent se reproduire là où ils sont nés, qui inquiète.

« On a vu une frayère »

« On va à Louvigné dans un autre ruisseau », lance Gwenaëlle Artur à son équipe. Le convoi se met en route et parcourt une vingtaine de kilomètres avant d’arriver dans une exploitation agricole située au bord d’une vallée abrupte.

« En bas c’est le ruisseau du moulin d’Ory, également situé sur le bassin-versant de la Sélune. On y a vu une frayère (nids où sont déposés les œufs) de saumon il y a quelques années », encourage Richard Pellerin, en enfilant le lourd dispositif de pêche électrique.

En arrivant sur place, pas le choix : il faut s'équiper.
En arrivant sur place, pas le choix : il faut s’équiper. ©Célestin de SéguierL’agriculture et l’élevage comme pression

Pour descendre au fond de la vallée, il faut traverser un champ et passer sous des barbelés. Après une descente abrupte entre les pins, le petit ruisseau apparaît, comme argenté entre les hautes herbes. « Bon, c’est une rivière qui n’est pas en super bon état », prévient Gwenaëlle Artur, en observant le fond de l’eau.

À cause de la présence de l’agriculture intensive du maïs et d’animaux d’élevage aux alentours, les particules de terres et de matière organique viennent se déposer en grande quantité dans la rivière à la moindre pluie. « C’est ça qui donne cette couleur un peu brumeuse à l’eau et ça pose problème pour les saumons. » Si les particules se déposent sur les frayères, celles-ci peuvent les boucher et causer l’asphyxie des œufs.

Gwénaëlle Artur mesure un jeune saumon que l'équipe vient de capturer. Celui-ci est âgé de près d'un an et demi.
Gwénaëlle Artur mesure un jeune saumon que l’équipe vient de capturer. Celui-ci est âgé de près d’un an et demi. ©Célestin de Séguier« Un tacon ! »

Quelques minutes après la reprise du protocole, un cri de joie fait se lever les têtes. « Dans l’épuisette, j’ai un tacon ! », lance tout sourire Florian Guenineau à ses collègues. Au fond de sa large épuisette, un petit saumon, long d’une dizaine de centimètres, frétille vigoureusement. « Pour les différencier des truites fario, il suffit de regarder la nageoire caudale qui est beaucoup plus échancrée chez les saumons. Celui-ci est né il y a quelques mois, probablement en avril. »

Après quelques instants, une deuxième trouvaille vient égailler les pêcheurs : « celui-là est très gros, c’est un saumon âgé d’un an et demi qui n’est pas encore parti en mer », explique Gwenaëlle en prenant l’animal au creux de sa main.

« La réponse de l’espèce »

Au cours du protocole de suivi des tacons sur cette « station », les pêcheurs de la fédération de pêche d’Ille-et-Vilaine ont compté huit tacons. Des chiffres « très encourageants, d’autant plus que cette portion de la rivière était fermée aux saumons depuis plus de 100 ans il y a encore trois ans ».

L’arasement des deux barrages du bassin-versant de la Sélune, effectué à la fin de l’année 2022, a en effet permis de remettre en place une continuité écologique jusqu’alors disparue. « Ce qu’on voit c’est la réponse de l’espèce aux aménagements faits. »

Le saumon : un migrateur emblématique

Pouvant mesurer jusqu’à 1,5 mètre et peser plus de 35 kg, le saumon atlantique est un migrateur amphihalin, qui effectue une partie de sa vie en rivière et l’autre en mer.

L’éclosion des œufs a lieu dans la rivière entre mars et avril. Les tacons s’installent dans des zones ou le courant est fort (radier) et où ils trouvent larves et insectes pour s’alimenter. En un à deux ans selon, les tacons sont prêts à partir. La descente a lieu au printemps et les tacons deviennent ce qu’on appelle des smolts : leur livrée devient argentée et ils mémorisent l’odeur de leur rivière.

La migration commence. Les saumons se dirigent vers le Groenland et Terre-Neuve. Après une année passée en mer, le saumon atteint les 2 kg et se redirige alors vers sa rivière natale. Arrivé sur les côtes, il reconnaît son odeur et la remonte, jusqu’à aller y frayer (se reproduire). Il peut survivre à plusieurs fraies.

Aujourd’hui, le saumon atlantique est menacé tout au long de son cycle de vie. L’eau des rivières est polluée, certaines sont coupées par des barrages. En mer, sa nourriture est surpêchée et la présence des élevages intensifs (Norvège, Écosse, Irlande), participe à modifier ses gènes et le rendre stérile. Si rien n’est fait, il risque de disparaître.

Personnalisez votre actualité en ajoutant vos villes et médias en favori avec Mon Actu.