Les naturalisations de Syriens s’accélèrent en Allemagne: « Je voulais une vie normale, j’y suis parvenue »L’Allemagne, l’eldorado européen
Comme Hussam, 98 % des réfugiés arrivés en Allemagne entre 2015 et 2019 ont pour projet d’y rester et d’obtenir la nationalité, selon des chiffres de l’institut allemand pour la recherche économique (DIW). Le pays est devenu pour beaucoup de ressortissants notamment syriens, afghans et irakiens, un eldorado comme l’explique Jochen Oltmer, professeur spécialiste des migrations à l’université d’Osnabrück. « La migration dépend dans une très large mesure de réseaux familiaux, relationnels et amicaux. Et on sait que dans ces réseaux, l’Allemagne et tout ce qu’elle représente sont vus de façon très positive », observe-t-il.
Ce que confirme Hussam : « Quand j’ai compris que je ne pourrai pas rentrer dans mon pays, j’ai choisi d’aller en Allemagne. Je ne connaissais que le nom, je ne savais pas où c’était ni ce qui m’y attendait. Mais je ne savais pas non plus quoi faire d’autre. »
Au printemps 2015, il s’est donc mis en route. Il a ainsi traversé un bras de la mer Egée en canot pneumatique pour arriver sur l’île grecque de Chios, avant de partir pour Athènes d’où il rejoindra la Macédoine du Nord, puis la Serbie. Dans ce pays, il raconte avoir été « très mal traité » par la police, avoir eu « très peur ».
Il a ensuite continué le trajet caché dans la voiture d’un passeur pour arriver en Hongrie. Là, il va acheter un vélo à 300 euros à d’autres passeurs et prendre la direction de l’Autriche, où il prendra un train pour Berlin, sa destination finale où il arrive mi-avril 2015. « J’avais choisi Berlin car c’est la capitale, c’est grand, et plutôt facile d’obtenir l’asile. »
Décision nationale, conséquences locales
Peu de temps après l’arrivée d’Hussam et au vu de la vague de réfugiés vers l’Europe, la chancelière Angela Merkel va annoncer que son pays ouvre ses frontières. En l’espace de quelques mois, près de 800 000 personnes entrent alors en Allemagne – notamment via la Bavière, dans le sud du pays.
De nombreuses petites villes se transforment en points de passage. Notamment la petite bourgade de 3000 âmes de Neuhaus am Inn, à la frontière avec l’Autriche. Si le flux de réfugiés s’est aujourd’hui tari, « il en arrivait 50 par heure » en septembre 2015, explique le maire Stephan Dorn, qui était à l’époque premier adjoint. « Nous avons géré les choses de façon pragmatique, avec une volonté constante d’aider tant que les gens venaient. Il n’y a eu ni grande euphorie ni grand rejet de la part de la population. »
Une tente prêtée par une brasserie locale avait été érigée sur le parking d’un gymnase, lui aussi réquisitionné pour l’accueil des réfugiés. Des volontaires se sont mobilisés pour apporter de l’eau et des plats chauds.
À environ 150km de là, la capitale régionale Munich ouvrait ses portes à des dizaines de milliers de personnes. Les scènes de liesse où les Allemands applaudissent les nouveaux arrivants en gare feront le tour du monde. Les mots d’Angela Merkel résonnent, l’Allemagne écrit l’histoire.
Mais sur le terrain, à Neuhaus am Inn et ailleurs, on doute déjà se souvient le maire conservateur, élu de la CSU : « Les responsables politiques nationaux ont fait de grandes déclarations, puis ont ouvert les frontières. Mais au final, c’était à nous, en tant que commune, de veiller à ce que les gens aient de quoi manger et boire. »
Dix ans après, la situation stagne
Karim a aujourd’hui 21 ans. Alors qu’il était encore mineur, il a quitté sa Syrie natale pour « aller à l’école en Turquie » où il sera victime de racisme, alors que ce pays accueille déjà près de 3 millions de Syriens. Il a donc entrepris de rejoindre l’Allemagne où vivent deux de ses oncles. Doté d’un faux passeport, il est arrivé à Berlin le 1er janvier 2024, le jour de ses vingt ans. Sa demande d’asile a été rapidement acceptée. « Aujourd’hui, sourit-il, je prends des cours d’allemand, et je suis volontaire dans une association d’aide aux plus démunis », tout en cherchant un emploi.
« Si l’on regarde les chiffres de plus près, analyse le chercheur Jochen Oltmer, on constate qu’une grande partie des personnes arrivées en 2015 ont aujourd’hui un emploi rémunéré, la plupart à temps plein ». Selon une étude de l’institut allemand du travail, 64 % des réfugiés en âge de travailler arrivés en 2015 ont en effet un emploi, un chiffre qui atteint 76 % chez les hommes.
Méfiance et peurs
Pourtant, les demandeurs d’asile font face au quotidien à une méfiance grandissante de la population allemande à leur égard, comme le rappelle le chercheur : « Depuis l’automne 2015, un lien est fait entre les politiques migratoires et de sécurité. Et on voit un rejet global de la migration. On oublie les destins individuels de ces gens pour les réduire à une masse anonyme. »
En 2024, le gouvernement de gauche d’Olaf Scholz a même réintroduit les contrôles aux frontières, toujours en place aujourd’hui. À Neuhaus am Inn en Bavière, le maire regrette désormais d’être séparé de la ville voisine autrichienne de Schärding, située simplement de l’autre côté d’un pont, avec laquelle il partage une culture, une histoire et un dialecte. Mais il soutient la politique de son gouvernement : « Toute personne ayant un motif valable doit pouvoir obtenir l’asile chez nous, comme les réfugiés de guerre. Mais pour protéger ce droit en Allemagne comme en Europe, il faut alors dire stop aux abus. »
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Hussam, qui travaille désormais à Berlin pour la société ferroviaire allemande Deutsche Bahn, voit bien que les regards sur lui ont changé dans la rue en 10 ans. « Je me sens affecté par certaines personnes criminelles qui traînent dans les rues, et font les titres des journaux. Il faut fixer des limites très strictes à ce genre de personnes. Les punir. Peut-être même les renvoyer dans leur pays », dit-il, à propos de certains exilés.
Un point de vue partagé par de très nombreux Allemands, 41 % souhaitent même un renforcement des règles d’asile selon un sondage de Statista de janvier 2025.
Quand on lui pose la question de savoir si l’Allemagne a tenu la promesse d’Angela Merkel, Jochen Oltmer hésite : « La vraie question, c’est ‘qui a réussi quoi ?’ En 2015, la chancelière faisait référence dans son discours aux Länder et aux communes. Elle ne dit donc rien sur les bénévoles et leur importance dans l’accueil. »
Il regrette surtout que jamais, la question de la réussite des demandeurs d’asile ne soit posée : « Dans la plupart des cas, les réfugiés ont accompli quelque chose, ils ont trouvé du travail, ont fondé une famille, ont obtenu la nationalité allemande. »
Ce qu’illustre Karim qui a trouvé une nouvelle patrie : » Ici, je me sens comme si j’étais en Syrie, comme dans mon pays ».