Elle flotte sur la mer et laisse les gabians se poser sur son calcaire chaud. Face au port de Marseille, l’île d’If oriente les plaisanciers. Un mythe qui chaque année attire des milliers de visiteurs, curieux d’approcher cette légende rendue célèbre par l’un des plus grands écrivains français : Alexandre Dumas (1802-1870). C’est en 1832 que l’auteur découvre Marseille. Invité par le journaliste Joseph Méry, celui qui est déjà célèbre pour ses pièces de théâtre (Henri III et sa cour, Napoléon Bonaparte ou Trente ans de l’histoire de France), s’y rend pour la première fois. Il n’a pas encore exploré l’univers du roman.

Alexandre Dumas a braqué les projecteurs sur l'île d'If et sa prison, à une époque ou personne ou presque s'y intéressait.Alexandre Dumas a braqué les projecteurs sur l’île d’If et sa prison, à une époque ou personne ou presque s’y intéressait. / Reproduction – Exposition « Nadar et ses contemporains » au musée Angladon d’Avignon

Lors de son passage, il visite le chantier du futur palais Longchamp, ce palais hydraulique destiné à soulager la ville de ses pénuries d’eau. Mais surtout, il aperçoit sur l’île d’If, sa forteresse austère bâtie en 1525 sous François Ier pour défendre la rade.

À l’époque, l’oasis de calcaire est toujours une prison. « Il y a dans le spectacle de la force confiante de Dumas conservant toutes les illusions et toutes les témérités de la jeunesse, quelque chose de généreux et de charmant. Monte-Cristo avait dû capituler, mais Dumas, son double, avait pris le maquis et le tenait, héroïquement », affirmait le romancier André Maurois le 24 octobre 1955, dans le cadre de l’université des Annales.

Le Comte de Monte-Cristo, entre fiction et faits réels

Quatre ans après sa visite inspirante, il publie son premier roman : Le Comte de Monte-Cristo. Un chef-d’œuvre, où il enferme entre les murs épais du château d’If Edmond Dantès, accusé à tort de bonapartisme, influencé par un faisceau d’histoires vraies. Son héros, après des années en prison, s’évade, découvre un trésor sur l’île de Montecristo, en Italie, et revient métamorphosé en comte, pour se venger de ceux qui l’ont trahi.

Dans toutes ses œuvres, Alexandre Dumas puise dans la réalité. Pour Les Trois Mousquetaires, il trouve son inspiration dans Les Mémoires de Monsieur D’Artagnan. Pour Le Comte de Monte-Cristo, il s’appuie sur des archives policières et l’histoire de François Picaud, un cordonnier nîmois faussement accusé d’espionnage pour l’Angleterre. À sa sortie de prison, il change d’identité, se déguise en religieux et traque ses anciens dénonciateurs.

Les ouvertures principales de la façade du Château d'If, jamais retouchées en 500 ans, sont entre les mains des compagnons du devoir pour les solidifier.Les ouvertures principales de la façade du Château d’If, jamais retouchées en 500 ans, sont entre les mains des compagnons du devoir pour les solidifier. / We are Content, Centre des monuments nationaux

L’histoire croise également celle d’un forçat marseillais. Condamné aux galères, Gaspard-Étienne Pastorel aurait changé d’identité plusieurs fois. « Comme dans l’histoire de Picaud et comme dans celle de Monte-Cristo, et dont apparemment, on retrouverait trace dans les archives de la préfecture de police de Lyon », explique Isabelle Safa, spécialiste de Dumas, sur France Culture en 2024.

Les projecteurs sur le château d’If

Avant Le Comte de Monte-Cristo, l’île d’If suscitait peu d’intérêt. Les archives du château étaient pauvres et les analyses historiques rares. C’est Alexandre Dumas qui met en lumière l’édifice : « Ce n’est qu’après le succès du roman écrit en 1844 que les historiens ont commencé à s’intéresser au château », regrettait Jaques, un agent du patrimoine dans La Provence en 2010. Dumas transforme littéralement les lieux en un décor de cinéma avant l’heure.

Près de 180 ans plus tard, l’endroit toujours attire les passionnés du roman : les navettes reliant le Vieux-Port à l’île d’If accueillent régulièrement des visiteurs émus par la dernière adaptation cinématographique de l’œuvre, dans laquelle joue Pierre Niney. Curieusement, aucune scène n’y a jamais été tournée. Mais qu’importe. Les fans d’Edmond Dantès viennent chercher autre chose : une atmosphère, une empreinte, un parfum d’aventure et d’injustice réparée. Prendre le bateau pour s’y rendre, c’est faire un pas vers la fiction, là où elle rejoint parfois la vérité.