Alors que le Championnat du monde débutera pour la France le 14 septembre prochain, la star du volley français s’est longuement confiée sur sa rééducation express, ses envies pour le futur, la place de son sport…
Détendu, très souriant et… en retard. Avant de s’envoler pour le Japon et Okinawa, où se déroulera le dernier stage de préparation des Bleus avant le Championnat du monde aux Philippines (12 au 28 septembre), Earvin Ngapeth est apparu fidèle à lui-même. Pendant vingt minutes, il a répondu aux questions sans langue de bois. Alors que certains de ses coéquipiers de la fameuse «Team Yavbou» s’apprêtent à tirer leur révérence, lui affirme vouloir continuer jusqu’aux Jeux de Los Angeles 2028. Avec toujours la même envie de transmettre auprès des jeunes.
Physiquement, comment vous sentez-vous à une dizaine de jours du début du Championnat du monde ? Où en est votre genou ?
Earvin Ngapeth : Au niveau du genou, ça va, je ne ressens aucune douleur. Mais c’est vrai que je viens de vivre trois mois sans faire de volley, donc je mène un peu une course contre-la-montre pour retrouver le rythme d’un match, le physique… Mais le genou va bien. Maintenant, effectivement, il reste deux semaines avant notre premier match et là, je pense être à 70%. Je dois donc aller chercher les 30% manquant d’ici là. Tout en sachant que notre poule est abordable et que j’ai peut-être une semaine de plus pour être prêt. Mais le plus important était que je sois là, car c’est un rendez-vous d’équipe et je voulais être là car pour certains, ce sera la dernière compétition en sélection.
Il se murmure qu’à l’entraînement, vous avez déjà repris le 6 contre 6 et que vous étiez déjà revenu à un bon niveau…
Oui, ça va (rires). Après, techniquement, vous savez, le ballon, c’est ma vie…
Sauf que vous n’étiez jamais resté si longtemps loin des terrains…
Oui, c’est vrai. Je n’ai jamais coupé aussi longtemps que ces trois mois. Donc quand j’ai repris, je peux vous dire que j’avais l’impression que le ballon allait très très vite(rires). Et puis vous avez un Mathis Henno qui se met le filet là (il montre son ventre) et vous vous dites : ils sautent haut quand même les jeunes. Mais après, finalement, cela revient vite. Jusqu’à la vérité du terrain et l’aspect purement physique. Pendant trois mois, l’épaule n’a pas tourné, donc forcément, cela demande du boulot. J’en ai chié avec le préparateur physique. Honnêtement, il m’a fait faire des marathons et je pense n’avoir jamais couru autant de ma vie (sourire). Mais le physique, c’est le nerf de la guerre et il y a encore du travail. J’espère que ces deux semaines suffiront.
Je me suis mis en mission
Earvin Ngapeth
Vous êtes-vous surpris de revenir aussi vite ?
Surpris, je ne sais pas. Je me suis mis en mission. Quand on m’a annoncé que j’allais aller à Capbreton, au CERS (Centre Européen de Rééducation du Sportif), pendant trois semaines, je n’étais pas prêt du tout. Et finalement, j’y suis allé, je me suis mis dans ma bulle et j’ai bossé car je voyais les mecs qui jouaient la VNL (la Ligue des Nations) et qui avançaient. Donc je savais qu’il fallait que physiquement, au moment où je reviendrais, je réponde présent. Et j’étais content de voir que, quand je suis revenu sur le terrain, je pouvais intégrer rapidement le jeu en opposition avec les gars, même s’il me reste du boulot.
On vous sent très serein. Vous ne nourrissez aucune inquiétude de ne pas être prêt à temps ?
Il n’y a pas d’inquiétude parce que je suis là avec le groupe, et que c’était déjà très important à mes yeux. Les gars m’ont fait ressentir aussi qu’ils voulaient que je sois là, et ils m’ont dit de prendre mon temps pour bien revenir. Et puis je vois la qualité du travail fourni à l’entraînement, ce qui me donne la conviction qu’on va réaliser un grand Mondial. Je ne suis pas inquiet par rapport au niveau de l’équipe, ni de l’état d’esprit des mecs. Lors du stage à Cannes, tout le monde était d’accord pour dire que le niveau qu’on affichait aux entraînements était très élevé. On a rarement bossé comme ça. Donc je suis rassuré sur le fait que j’ai le temps de revenir.
Earvin Ngapeth
Agence Nice Presse / Icon Sport
Le fait que ce soit la dernière compétition internationale pour certains implique-t-il une donnée émotionnelle différente pour ce Mondial ?
Oui, forcément. Il y a un petit truc en plus, avec une donne émotionnelle à gérer. En vrai, c’est «Totti» (Benjamin Toniutti) qui ne veut pas en parler. Mais nous, on est tous derrière lui, on a tous cela dans un petit coin de la tête. Après, il ne veut pas en parler. Même quand on va dans sa chambre et qu’on commence à l’évoquer, il nous engueule. Là, je vous en parle et je sais qu’il ne va pas être content (rires).
Et vous, cela pourrait-il être votre dernier Mondial ?
Non, pas du tout. Moi, je reste tant que le genou va bien et que physiquement, ça va. J’ai encore l’envie. Tout part de là et du mental. Cela fait 17 ans que je suis là, en sélection. Les deux derniers étés, je me suis blessé, ce qui fait que je n’ai pas pu faire les mêmes étés que les autres. Mais physiquement, je pense que je peux encore tenir trois ans, jusqu’aux Jeux de Los Angeles. Je touche du bois. Et je vais tirer avec moi les gars qui hésitent (rires). Je vais les avoir. D’ailleurs, j’en ai déjà eu un (Nicolas Le Goff). Quand je suis allé jouer avec Poitiers à Montpellier, je lui ai fait un vrai boulot (rires). Idem, là, cela fait quasiment trois semaines que je partage la chambre avec Jenia (Grebennikov) et il me dit que je suis fou, que c’est trop dur avec le temps. Je lui dis : «oui, mais vas-y !» À l’heure actuelle, Jenia est toujours le meilleur libéro du monde et l’année prochaine, ce sera toujours lui. Le seul truc, c’est qu’on arrive à un âge, 34 ou 35 ans, où l’on a des enfants et c’est ça qui est difficile. Ne pas voir ses gosses pendant les deux mois des grandes vacances, c’est dur. C’est normal qu’à un moment donné, il y est un questionnement intérieur, ou avec les proches. Certains ont pris leur décision, comme «Totti» ou Kevin Tillie, et d’autres pas encore. Et c’est là que j’interviens pour les pousser à rester (rires).
Earvin Ngapeth et Jenia Grebennikov
Agence Nice Presse / Icon Sport
Mentalement, ces trois mois vous ont-ils fait du bien ?
Oui, forcément. À Capbreton, j’étais en famille. Je trimais dur mais je n’étais pas tout seul, ce qui m’a aidé. Je me préparais mais j’étais aussi avec mes enfants, au bord de la mer, donc ce n’est pas pareil qu’une préparation normale.
Comment faites-vous pour avoir encore les crocs ?
Déjà, il y a le fait que nous sommes deux nations à avoir fait le doublé (trois en réalité avec l’URSS en 1964 et 1968, et les États-Unis en 1984 et 1988) aux Jeux. Maintenant, ce serait bien d’être les seuls à réaliser le triplé. Il me manque aussi un titre mondial. Il y a encore plein de choses qui me motivent encore. Après les Jeux à Paris, mon passage à Poitiers m’a donné énormément de force. Après Tokyo, j’étais parti à l’étranger et je n’avais rien vu alors que là, j’ai pu mesurer la portée de notre titre olympique. Cela m’a redonné beaucoup d’envie. Et puis à Poitiers, j’ai passé quatre mois chez moi, avec ma famille, ce que je n’avais pas fait depuis très longtemps. Cela m’a donné beaucoup de force pour repartir et me dire que je pouvais aller jusqu’à Los Angeles en 2028.
En plus, il y a tous ces jeunes à intégrer, un rôle qui vous tient à cœur…
Oui, c’est top de les voir arriver. J’ai l’impression de me revoir en eux, quand je découvrais l’équipe de France et tout… J’ai le sentiment que très vite, ils peuvent s’intégrer à l’équipe et ils sont heureux d’être là. Cela me tient à cœur car lorsque je suis arrivé en équipe de France, il y avait Hubert (Henno) et là, désormais, il y a Mathis (son fils). C’est ouf ! Cela me motive grave. Et puis c’est important qu’on soit resté après Paris 2024. Pour se qualifier pour Los Angeles, on sait à quel point c’est dur. Et je pense que si nous nous étions barrés comme ça, après Paris, cela aurait été un cadeau empoisonné pour les jeunes.
Aujourd’hui, je considère vraiment avoir un rôle de grand frère auprès des jeunes qui arrivent. Je veux que la belle histoire de cette équipe de France continue.
Earvin Ngapeth
Cette idée de transmission, vous n’en aviez pas bénéficié à votre arrivée en sélection…
Oui, c’est vrai que cela doit jouer aussi. Quand je suis arrivé en 2010 avec certains autres, ce n’était pas comme ça, sans vouloir remuer la m… En termes d’accueil et d’accompagnement, j’en ai souffert. Du coup, aujourd’hui, on fait en sorte qu’ils se sentent bien, heureux, comme s’ils étaient à la maison. Aujourd’hui, je considère vraiment avoir un rôle de grand frère auprès des jeunes qui arrivent. Je veux que la belle histoire de cette équipe de France continue.
Earvin Ngapeth lors de son passage à Poitiers
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Sur la place du volley en France, malgré vos deux titres olympiques, estimez-vous que votre discipline est reconnue à sa juste valeur ici ?
C’est un combat perdu (sourire las). Avant, on accusait la Fédération de ne pas bien faire son boulot mais ce n’est plus le cas aujourd’hui… Je vais vous dire, j’étais prêt à rester à Poitiers quatre ans. J’étais prêt à faire un effort financier, mais il fallait quand même que derrière, il y ait des contrats de sponsoring pour que je puisse m’y retrouver un peu. Que pouvais-je faire de plus ? Je pense qu’à un moment donné, en France, les personnes qui investissent dans le sport ne s’intéressent pas au volley. Parce que là, on a tout fait. La Fédération aussi a fait des efforts. Donc la réalité est celle-ci : le volley, en France, ne sera jamais au niveau du foot évidemment, du rugby, du basket et du hand.
Avez-vous fait le deuil de vos ambitions sur ce plan-là ?
Oui. Je pense que nous sommes arrivés au maximum de ce que nous pouvions faire en termes médiatiques. On ne peut pas faire plus sportivement, si ce n’est remporter un titre de champion du monde mais franchement, cela n’aura pas un plus grand retentissement que d’être champion olympique à la maison. On a fait le taf, la Fédération a fait les efforts et voilà, le volley n’intéresse pas en France, les gens ne veulent pas investir dedans, c’est comme ça. Nous allons continuer à gagner pour nous et pour ceux qui nous suivent, sans se faire d’illusions.