Vous avez sans doute entendu parler d’une baisse prochaine des pensions de retraite. Une nouvelle qui fait des remous, puisque les retraités représentent 17 millions de personnes dans notre pays. Eh oui, près d’un Français sur 4 appartient à ce groupe, qu’il ne vaut donc mieux pas brusquer si on veut avoir ses faveurs. Les politiciens le savent, d’autant que les retraités sont le segment de la population qui fait le plus valoir son droit à se rendre aux urnes. Malgré tout, le gouvernement souhaite aussi les mettre à contribution, ce qui engendre de la grogne…
L’idée est la suivante : en baissant d’un petit pourcent les pensions de retraite, on permettrait à l’état de faire des économies salutaires — pourquoi pas pour venir à la rescousse dans des secteurs un peu laissés à l’abandon, comme l’éducation ou la santé ? En plus de cela, d’autres mesures semblent annoncer la disparition de certains avantages fiscaux. Selon des estimations provisoires, tout cela pourrait correspondre à une perte moyenne de 134 € pour les retraités. Alors, modeste demande d’effort national à un segment de la population souvent perçu comme privilégié, afin d’économiser des milliards d’euros ? Ou nouvelle arnaque rigoriste pour faire encore et toujours peser le financement du budget sur les plus faibles ?
De quoi s’agit-il ?
Commençons par le commencement : non, les retraites ne vont pas baisser ! Du moins, pas à proprement parler. En revanche, l’idée est de ne pas les augmenter. Or, vous vous rappelez sans doute que les pensions de retraite sont indexées sur l’inflation. Cela permet d’assurer que les retraités ne perdent pas en pouvoir d’achat et en qualité de vie au fil des années. Si les pensions de retraite demeuraient les mêmes d’une année à l’autre, des personnes y ayant accédé il y a des années, voire des décennies pour certaines, verraient leur niveau de vie drastiquement chuter, surtout en période de forte inflation. C’est un principe assez simple et plutôt évident, qui concerne aussi de nombreux minima sociaux ou encore le Smic.
Si on décide de réaliser une année blanche (qui concernerait donc les retraités ainsi que les bénéficiaires d’autres prestations sociales) durant laquelle les pensions ne sont pas augmentées de pair avec l’inflation, l’Etat réalise donc de facto une économie. Quant aux retraités, si leurs pensions ne diminuent pas factuellement, leur pouvoir d’achat lui diminue un peu. Même avec une inflation assez faible, estimée à 1,3 % en 2025 par la Banque de France, cela correspond à peu près à une baisse de plus d’1 % des retraites rapportées au niveau de vie. Concrètement, avec une moyenne de 814 euros nets par mois, on parle d’un manque à gagner de 11,4 euros en moyenne, soit 134 euros par an.
Ça fait combien ?
Chaque année, en France, les retraites représentent environ 14 % du PIB et près d’un quart des dépenses publiques. Cela représentait un montant de 388,4 milliards d’euros en 2023. Or, si le système des retraites était initialement pensé pour s’autofinancer, les cotisations sociales ne suffisent pas pour cela. Seuls deux tiers du montant des pensions est financé par ces dernières. Le reste l’est par des recettes fiscales, comme la CSG ainsi que d’autres impôts — à hauteur d’un quart des dépenses publiques, tout de même.
Les observateurs rappellent souvent à cet égard que le système de retraite français est l’un des plus généreux d’Europe. Les cotisants sont aussi souvent exaspérés de voir des retraités se plaindre de leur niveau de vie et réclamer plus d’efforts aux travailleurs (par exemple en supportant le report de l’âge de départ à la retraite), alors que ceux-ci ont vécu à une époque où l’accession à la propriété était plus facile et ont pu partir plus tôt à la retraite. Pour faire simple, une grande partie de la population a l’impression que les boomers ont eu la belle vie, se sont gavés sans penser aux conséquences pour les générations suivantes (à commencer par le changement climatique…) et vivent désormais grassement aux frais du contribuable. Dans un tel contexte, il pourrait donc sembler légitime de demander à cette partie de la population de se serrer un tout petit peu la ceinture (et qu’est-ce qu’un pourcent, après tout…) pour redresser le budget de l’état et venir au secours de secteurs en perdition.
Pour revenir à nos petits calculs, une baisse hypothétique d’un pourcent des pensions de retraite représenterait donc 3,88 milliards d’euros à elle seule. Si l’on s’en tient à l’idée d’un gel des pensions de retraite pour une année, l’économie réalisé représenterait selon l’IPP (Institut des politiques publiques) environ 2,6 milliards d’euros.
Et c’est une bonne idée ?
La question de la légitimité de cette mesure doit être considérée sous deux aspects : le premier, c’est déjà de savoir si elle fonctionne ! Le deuxième, plus vital encore, est de déterminer si elle est juste…
En ce qui concerne les économies réalisées, celles-ci ne sont pas négligeables. 2,6 milliards d’euros représentent une part importante des 40 milliards d’euros d’économie visés par le gouvernement sur le budget 2026. En plus, cette année blanche se reporte d’une année à l’autre, en quelque sorte : si les retraites seront de nouveau indexées à l’inflation l’année suivante, elles demeureront inférieures à ce qu’elles auraient été sans cette année blanche. En bref, un retraité gagnera toujours environ 1 % de moins que ce qu’il aurait perçu sans cette année blanche jusqu’à la fin de sa vie.
Malgré cela, cette mesure est en réalité court-termiste. Les économistes pointent en effet le fait que chaque année, de nouveaux retraités accèdent à la retraite. Or, ceux-ci n’auront pas connu cette désindexation. D’une année à l’autre, les économies réalisées sont donc moindres, jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de retraités ait remplacé la précédente et que les effets d’une telle mesure aient complètement disparus.
Même court-termiste, les partisans d’une telle mesure avancent que ces économies pourraient être réinvesties dans des secteurs en tension, à commencer par le remboursement de la dette publique, qui motive ces mesures visant à réduire les dépenses et à augmenter les recettes de l’état. Le problème, c’est qu’une baisse uniforme est profondément injuste. Un peu à la manière dont une amende forfaitaire est ressentie lourdement par les plus modestes tandis qu’elle permet aux plus riches de se jouer des lois et des interdits, cette mesure impacterait proportionnellement de la même manière tous les retraités — des plus pauvres aux plus riches. Si l’on parle bien de proportionnalité et non d’une baisse forfaitaire, le principe demeure semblable dans le sens où le revenu disponible n’est pas le même que l’on soit modeste ou aisé : 12 € par mois pour qui touche 1200 € de retraite sont souvent plus vitaux que 24 € pour qui touche le double, bien que cela représente la même proportion de leur pension. Il y a une raison pour laquelle l’impôt est progressif…
Sous cette mesure en apparence égalitaire se dissimule donc un énième cadeau fait aux plus riches. Alors que ces derniers peuvent absorber sans souci une telle réduction, ce sont ceux pour lesquels chaque euro compte déjà — et Dieu sait qu’ils sont nombreux — qui seraient le plus fortement impactés par cette mesure. On rappelle que, selon l’économiste Thomas Piketty, une taxe exceptionnelle de 10 % sur les 500 plus grandes fortunes de France rapporterait à elle seule 100 milliards d’euros, et que la taxe Zucman de 2% sur les patrimoines dépassant 100 millions d’euros rapporterait 20 milliards d’euros par an…