Selon Vladimir Poutine, l’origine du conflit entre la Russie et l’Ukraine est liée au départ de Viktor Ianoukovitch en 2014.

La rengaine est connue : Vladimir Poutine a été forcé d’envahir son voisin ukrainien. «Cette crise n’a pas été déclenchée par l’attaque de la Russie en Ukraine, elle est le résultat d’un coup d’État en Ukraine, qui a été soutenu et provoqué par l’Occident», a-t-il assuré, à nouveau, lundi lors du sommet de Tianjin, en Chine. Il se réfère à la fuite de Viktor Ianoukovitch, alors son homologue ukrainien, dans la nuit du 21 au 22 février 2014 vers la Russie. En cause : le président ukrainien a annoncé le 21 novembre 2013 refuser de signer l’accord avec l’UE qui devait l’être une semaine plus tard. Dès le lendemain, les premières manifestations apparaissent à Kiev, place Maïdan.

«Derrière son revirement, on comprenait qu’une contre-proposition d’accord de partenariat avait été faite à Kyiv par Moscou, accompagnée d’une pression considérable de Poutine sur Ianoukovitch, mais aussi d’une promesse de crédit de 15 milliards de dollars», relate Anna Colin-Lebedev, spécialiste des sociétés postsoviétiques, dans son ouvrage Jamais frères ? Ukraine et Russie : une tragédie postsoviétique. Sa décision de refuser l’accord avec l’UE, et l’étiquette «prorusse» qui lui collait déjà à la peau déclenchent les manifestations. Ianoukovitch est un vétéran de la politique ukrainienne : gouverneur de l’oblast de Donetsk (Donbass), premier ministre, puis président. Il a multiplié les faveurs à la Russie : prolongation du bail de la flotte russe en Mer noire, non-reconnaissance de l’Holodomor (une famine provoquée par l’URSS dans les années 1930 en Ukraine) comme un génocide… «Sa présidence a été considérée à Moscou comme un excellent contexte pour ramener l’Ukraine dans le giron russe», rappelle Anna Colin-Lebedev.


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Les manifestations dégénèrent

Dans la nuit du 29 au 30 novembre, le pouvoir envoie la police anti-émeutes déloger les manifestants de la place Maïdan. L’évacuation cause plusieurs blessés et change la nature des protestations. «Il n’est pas dans la culture politique ukrainienne de chasser les manifestants par la force. En le faisant, Ianoukovitch a franchi une ligne rouge l’assimilant à un modèle autoritaire comme celui de Moscou», souligne Anna Colin-Lebedev. Dès lors, les manifestations vont s’enchaîner. À Maïdan, les discours se multiplient, au contenu aussi divers que le profil des manifestants. «80% des participants n’avaient jamais participé à une manifestation politique», rappelle la spécialiste.

La place Maïdan en janvier 2014.
GENYA SAVILOV / AFP

En décembre, les sénateurs américains John McCain et Chris Murphy y prennent la parole. Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État à l’Europe et à l’Eurasie, y distribue des sandwichs, nourrissant les fantasmes d’une mainmise américaine sur les manifestants. Mi-décembre, Russes et Ukrainiens se rencontrent à Moscou pour signer un accord économique. Mais les oppositions ne désarment pas. «La Russie n’est que peu évoquée dans les discours sur la place Maïdan. La plupart parlent de l’évolution de l’Ukraine», spécifie Anna Colin-Lebedev. Le 15 janvier, le gouvernement franchit une nouvelle étape dans la répression et interdit les rassemblements publics à Kiev et fait adopter des lois antimanifestations par le Parlement. Deux morts sont relevés le 22 janvier, un tué par balle l’autre battu à mort.

Des milices d’autodéfense se constituent pour défendre le mouvement. Le 20 février, l’engrenage qui aboutira à la fuite de Viktor Ianoukovitch est enclenché. Les forces de l’ordre peuvent recourir, sur décision du ministre de l’Intérieur, à la force létale. Des snipers sont même employés. Plus de 80 morts sont décomptés. Les affrontements sont les plus violents depuis l’indépendance en 1991. Le 21 février, grâce à une médiation française, allemande, polonaise et… russe, Viktor Ianoukovitch signe un accord avec l’opposition pour former un gouvernement intérimaire et lancer des élections anticipées. Il fuit dans la soirée. Le lendemain, il est destitué par le Parlement sur la base des articles 108 et 110 de la Constitution.

«Je n’ai pas l’intention de démissionner. Je suis un président légitimement élu. Tous les médiateurs internationaux avec lesquels j’ai travaillé m’ont donné des garanties pour ma sécurité : je vais voir comment ils vont remplir ce rôle. Tout ce qui se passe aujourd’hui, c’est bien sûr du vandalisme, du banditisme, et un coup d’État», rumine-t-il dans la soirée à la télévision. Après son départ, des institutions provisoires sont mises en place et des élections sont organisées sous surveillance d’observateurs. Petro Porochenko est élu et sera battu par Volodymyr Zelensky à la fin de son mandat.

L’invasion russe

«Je pense qu’il n’a pas d’avenir politique. Je le lui ai déjà dit», déclare Vladimir Poutine début mars. En Ukraine, des séparatistes, encadrés et financés par la Russie, occupent des bâtiments administratifs locaux dans l’est du pays. Des éléments russes arrivent en Crimée et organisent sa prise de contrôle, puis son annexion, pratiquement sans effusion de sang. «Certaines élites locales se disent que l’invasion russe a commencé et que l’Ukraine n’a aucune chance. Ils se rallient alors à Moscou», explique Anna Colin-Lebedev. L’Ukraine lance une opération antiterroriste pour rétablir l’ordre sur tout le territoire mais se heurte à des groupes armés par la Russie. Le colonel Strelkov, ancien des services secrets russes, en coordonne une partie. La guerre du Donbass a commencé.


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Deux entités sont créées et activement soutenues par la Russie: la république populaire de Louhansk et la république populaire de Donetsk. En septembre 2014, Russes, Ukrainiens, Allemands et Français signent les accords de Minsk qui doivent arrêter les combats. Ceux-ci baissent en intensité mais se poursuivent. Vladimir Poutine relancera ses opérations militaires le 24 février 2022 avec une invasion à grande échelle. «Le but de cette opération est de protéger les personnes qui, depuis huit ans, sont victimes d’intimidation et de génocide de la part du régime de Kiev», justifie-t-il, se référant donc aux manifestations de Maïdan. Une rhétorique abondamment utilisée depuis.