Le groupe hôtelier Mandarin Oriental reprend les rênes du Lutetia, seul palace de la Rive gauche. Une transition discrète qui renforce son ancrage parisien et préserve l’âme d’un lieu emblématique de l’élégance germanopratine.
«Il y a des hôtels, et il y a le Lutetia. C’est un honneur d’apposer notre nom à cette institution.» Le ton est donné par Laurent Kleitman, CEO de Mandarin Oriental. Ce jeudi 3 avril, sous un soleil printanier et dans une discrétion toute parisienne, le groupe asiatique s’installe sur la Rive gauche, au cœur du légendaire Lutetia. Une opération hautement symbolique : pour la première fois, une enseigne hôtelière internationale de luxe s’implante dans ce quartier longtemps resté à l’écart des grandes marques mondiales.
L’union de deux maisons
«Mandarin Oriental est une famille, et le Lutetia aussi», poursuit le dirigeant. À ses yeux, ce rapprochement ne relève pas d’une simple logique de marque, mais d’un geste d’affinité. «Ce lieu voit aujourd’hui le regroupement de deux familles, après avoir regroupé autant de familles après la guerre.» Une référence à l’histoire de l’hôtel, réquisitionné à la Libération pour accueillir les rescapés des camps et les familles déplacées.
Propriété de la famille Akirov depuis quinze ans, le Lutetia célèbre cette année ses 115 ans. «C’est un virage pour l’hôtel, symbole de la Rive gauche, confie Georgi Akirov, discret homme d’affaires israélien. Nous continuons à travailler autour de l’héritage de cette maison.»
Un monument de la Rive gauche
On connaissait Mandarin Oriental pour son élégance contemporaine rue Saint-Honoré. Il faudra désormais compter avec une adresse rive gauche de la Seine : le Mandarin Oriental Lutetia, Paris. Deux styles, deux histoires, un même souci du détail. L’un, cocon ciselé pour amateurs de calme feutré. L’autre, décor vibrant d’un Paris littéraire et artistique, où l’on croise encore l’ombre d’un Joyce ou d’un Gainsbourg entre deux volutes de cognac.
Ouvert en 1910 par les Boucicaut, fondateurs du Bon Marché, le Lutetia incarne dès l’origine l’esprit du quartier : intellectuel, cosmopolite, libre. Situé boulevard Raspail, entre Saint-Germain-des-Prés et Montparnasse, il devient dans les années 1930 repaire d’écrivains, de musiciens, de résistants. Jean Cocteau y laisse ses dessins, Juliette Gréco ses souvenirs. «La légende raconte que le général De Gaulle y aurait passé sa nuit de noces», glisse Laurent Kleitman. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’hôtel devient centre d’accueil pour les déportés et leurs familles. Une fonction discrète, essentielle, gravée dans la mémoire du lieu.
Une renaissance tout en nuances
Le Lutetia n’est pas devenu un Mandarin Oriental. Il est devenu un Mandarin Oriental Lutetia.
Mandarin Oriental /Photo presse
Fermé de 2014 à 2018 pour une rénovation d’un coût de 200 millions d’euros menée par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, le Lutetia a retrouvé sa place parmi les grandes adresses internationales et obtient la distinction «Palace» en 2019. Le graal. «Depuis la fin de la pandémie, le Lutetia fait de nouveau partie des grands hôtels du monde», se réjouit Jean-Pierre Trevisan, son directeur général. Le passage sous pavillon Mandarin Oriental marque un nouveau cap. «Mandarin Oriental va nous apporter une visibilité mondiale. C’est avec beaucoup d’humilité que nous nous tournons vers l’avenir.» Basé à Hongkong, le groupe compte aujourd’hui 43 hôtels à travers le monde, et vise les 80 d’ici dix ans.
Un « fan » très attendu
Avec deux établissements parisiens, deux palaces, Mandarin Oriental devient le seul acteur international à proposer une double lecture du luxe hôtelier dans la capitale. Un choix stratégique autant qu’émotionnel. Car ici, tout est affaire d’équilibre. Entre passé et avenir. Entre rigueur asiatique et légèreté rive gauche. Entre l’hôtel et la ville.
Dans le hall, à la blancheur subtilement patinée, le bar Joséphine reste fidèle à lui-même. La brasserie Lutetia conserve son marbre, ses banquettes et sa verve. Rien n’a bougé. Et c’est sans doute là la première victoire du groupe : ne pas transformer, mais sublimer. Le Lutetia n’est pas devenu un Mandarin Oriental. Il est devenu un Mandarin Oriental Lutetia. Et Laurent Kleitman de déclamer devant le parterre d’invités : «Le Lutetia n’appartient vraiment qu’à ses clients».
Saviez-vous qu’à chaque hôtel du groupe correspond un fan – un éventail symbolique, signature visuelle de la marque ? Celui du Lutetia reste à découvrir. Mais les amoureux de la maison peuvent s’attendre à une surprise : il se murmure qu’une grande maison française de haute confection pourrait en assurer la création. Réponse dans quelques semaines.
Mandarin Oriental Lutetia, 45 Bd Raspail, 75006 Paris.