Vivian Maier, photographe si libre, révélée, l’expo de 2021

Anne Morin qui assurait le commissariat à Paris s’est chargée aussi (avec Tessa Demichel) de l’expo Vivian Maier au Delta à Namur, en collaboration avec l’Intime festival. Vivian Maier qui saisissait la vie partout (titre de cette expo) s’intéressait à l’intime. Une expo certes plus réduite qu’à Paris avec une cinquantaine de tirages, des planches contact et des films Super-8, mais qui reflètent les différents aspects de son œuvre.

Vivian Maier : East 108th Street New York 1959Vivian Maier : East 108th Street New York 1959 ©Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Rappelons son destin si singulier. Pour le reste du monde, il ne commença que fin 2007, lorsque John Maloof, jeune agent immobilier et historien de Chicago, acheta aux enchères pour 400 dollars, un stock de négatifs anonymes et de rouleaux de pellicule sans savoir de qui ils étaient et ce qu’ils valaient.

Vivian Maier était née à Chicago en 1926 et mourut à New York en 2009. Elle avait mis en vente ce stock pour payer une location. Peu à peu, John Maloof comprit le trésor inconnu qu’il renfermait et, associé au grand collectionneur de la photographie américaine Howard Greenberg, il acquit 100 000, puis 140 000 négatifs, pour l’essentiel noir et blanc mais aussi couleur ainsi que des films.

Vivian Maier : Auto-portrait Floride  1957Vivian Maier : Auto-portrait Floride 1957 ©Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

C’est par hasard en 2009 qu’il découvrit sur une enveloppe le nom de la photographe mystérieuse et, dans la foulée, apprit qu’elle venait de mourir à 83 ans, dans l’anonymat.

Les enfants

Vite, le monde de l’art s’enflamma pour cette inconnue si brillante, au parcours si atypique, née d’une mère française qui était une bâtarde forcée pour cela à partir vivre en Amérique où elle se maria avec un noble allemand émigré et brutal.

Vivian Maier : New York Octobre 1954Vivian Maier : New York Octobre 1954 ©Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

On connaît d’elle une belle série d’autoportraits qui donnèrent lieu en 2022 à une expo à Bozar. Ils résument sa personnalité. « Je suis dehors avec des lanternes à la recherche de moi-même », écrivait Emily Dickinson. On voit comment cette grande femme énergique (1,73 m) multipliait les manières de se représenter tout en se cachant, parfois dans l’ombre comme une passagère clandestine, parfois dans la clarté. À travers sa silhouette projetée, son reflet ou encore l’image dans l’image.

Vivian Maier, nounou durant 40 ans, mais aussi formidable photographe

Toute sa vie, elle fut gouvernante, nourrice s’occupant des enfants des autres, alors qu’elle-même avait grandi dans un foyer sans amour, à New York d’abord, puis à Chicago où elle déménagea en 1956. En parallèle, elle arpentait seule les rues, observant le monde à travers son Rolleiflex, attentive aux laissés pour compte du rêve américain. Même quand elle photographiait si bien les enfants vus en rue (elle connaissait le sujet !), elle voyait aussi leurs chagrins et leurs colères.

« Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? » se demandait Georges Perec, dans L’Infra-ordinaire.

Comment l’interroger, comment le décrire ?

Vivian Maier marchait sans cesse, attentive à la pauvreté, aux travaux harassants, aux sombres destins, mais toujours avec empathie, cherchant à exprimer la tendresse qui s’en dégage : les enfants jouant avec de grandes boîtes en carton, un homme assis sur un journal, le détail d’un fil de fer barbelé. Elle photographiait ceux que l’on ne regarde pas, car relégués en marge de ce monde.

Vivian Maier : Chicago 1978Vivian Maier : Chicago 1978 ©Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY

Avec elle, l’enfance est bien le temps de tous les possibles et de toutes les illusions.

Vivian Maier, au Delta, Namur, jusqu’au 30 novembre