À Lille, le « budget climat » n’est pas un label ordinaire, c’est désormais un socle qui oriente la dépense publique, poste par poste, au regard de l’urgence écologique. La Ville a fait le choix d’installer cet outil d’aide à la décision pour apprécier l’impact environnemental de chacune de ses actions budgétaires et se donner un cap clair, celui d’anticiper la neutralité carbone à l’horizon 2050. La démarche, aujourd’hui obligatoire pour les collectivités de plus de 3 500 habitants, est en place à Lille depuis 2020 et s’applique aussi à Hellemmes et Lomme. Elle s’appuie sur la méthodologie nationale de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), complétée par un guide local co-élaboré avec la Métropole Européenne de Lille, afin d’aligner l’analyse budgétaire avec le Plan Climat métropolitain et le Plan lillois pour le climat.

Concrètement, chaque dépense est « colorée » en fonction de trois grands impacts, qui portent sur l’atténuation des gaz à effet de serre, l’adaptation au changement climatique et la qualité de l’air. À cela s’ajoute une graduation qui permet de déterminer si l’effet est très favorable, plutôt favorable, neutre, indéfini ou défavorable. L’analyse est menée deux fois par an, d’abord en décembre lors du budget primitif qui fixe les prévisions, puis en juin lors du compte administratif qui retrace les dépenses réellement engagées. Cette lecture n’est pas un simple constat, elle sert à orienter les propositions des services comme les arbitrages politiques, avec un objectif clair : faire reculer les dépenses défavorables et renforcer celles qui contribuent positivement à la transition.

D’après le Compte administratif 2024, présenté au conseil municipal du 20 juin 2025, les dépenses de fonctionnement atteignent un montant total de 125,7 millions d’euros. Le budget reste en majorité neutre, mais il montre déjà une orientation nette vers la transition. Pour l’atténuation des gaz, un peu plus d’un cinquième des crédits (22 %) sont classés comme favorables, dont 13 % très favorables, tandis que les dépenses défavorables demeurent limitées à 5 %. L’adaptation au changement climatique apparaît plus en retrait, avec 6 % de crédits favorables, ce qui s’explique par la nature des charges courantes. La qualité de l’air, en revanche, affiche une progression plus marquée, avec 26 % de dépenses favorables contre seulement 3 % de défavorables. Dans le détail, l’électricité verte, la part renouvelable du réseau de chaleur ou encore les repas locaux et végétariens tirent le budget vers le haut, tandis que les énergies fossiles, qu’il s’agisse des carburants ou du gaz, concentrent l’essentiel des dépenses défavorables.

Concernant les investissements, qui atteignent 102,3 millions d’euros, l’ambition climatique ressort encore plus nettement. Plus de la moitié des crédits produisent un effet favorable sur l’atténuation (53 %) ainsi que sur la qualité de l’air (51 %), tandis que l’adaptation atteint 45 % de dépenses favorables. Les parts défavorables sont désormais résiduelles, limitées à environ 1 à 2 % selon les axes, et les indéfinis restent marginaux. Ces résultats s’expliquent par la place importante des rénovations énergétiques performantes, des aménagements en faveur des mobilités douces, de la végétalisation et du développement des énergies renouvelables. À l’inverse, l’achat de véhicules thermiques et de certains matériels neufs explique l’essentiel du résiduel défavorable.

L’évolution des statistiques confirme que la dynamique engagée porte ses fruits. Depuis le début du mandat, la part des dépenses favorables et très favorables en fonctionnement est passée de 18 % à 22 %, portée notamment par l’éco-conception d’expositions, les études stratégiques (dont le pacte Lille Bas Carbone) et la montée des approvisionnements locaux et végétariens. En investissement, elle a progressé de 43 % à 53 %, tandis que le défavorable a reculé de 7 % à 2 %. Cette évolution traduit aussi une montée en maturité du dispositif, puisque la quasi-totalité des lignes est désormais qualifiée et que la catégorie « non traité » est devenue marginale. Autrement dit, l’effort se renforce là où il compte et les choix budgétaires s’alignent de plus en plus avec l’objectif de neutralité.

Néanmoins, cette progression ne se mesure pas seulement dans les chiffres, elle se traduit aussi sur le terrain. Les groupes scolaires Brossolette et Salengro font l’objet de rénovations lourdes en démarche Energiesprong (un standard de rénovation énergétique très performante, visant le zéro énergie), la piscine de Lomme bénéficie d’une rénovation énergétique complète et l’éclairage public LED se généralise à Lille, Hellemmes et Lomme. De nouveaux équipements performants voient le jour, à l’image de la salle de sports Saint-Sauveur ou de la future piscine de Fives-Hellemmes, tandis que le paysage urbain évolue avec les bassins du Jardin des Plantes et la débétonisation des cours d’écoles dans le cadre du projet Life Artisan. Même les terrains de sport s’adaptent : à Hellemmes et à Lille, deux sites récemment rénovés en synthétique avec un remplissage en liège affichent une empreinte carbone nettement plus faible qu’une pelouse naturelle.

Au final, le budget climat agit comme un double levier. Il révèle l’empreinte des politiques publiques et accélère les choix qui rapprochent la ville de son horizon climatique. En rendant visible l’effet de chaque euro engagé et en réduisant, année après année, la part défavorable, Lille transforme ce qui pourrait apparaître comme une contrainte en véritable stratégie. La neutralité carbone n’est plus un simple slogan, elle devient un objectif supplémentaire pleinement assumé, inscrit au cœur des comptes municipaux et suivi avec méthode. Chaque décision budgétaire participe ainsi à rendre la ville plus sobre, plus résiliente et plus respirable.