Luc Julia, souvent présenté comme le « père de Siri », a répondu point par point aux accusations du youtubeur Monsieur Phi, tous deux invités sur le plateau de Tech&Co. Le vulgarisateur scientifique accuse le « pape de l’IA » d’erreurs et remet en cause son parcours.
Luc Julia, souvent présenté comme le « père de Siri », le célèbre assistant vocal d’Apple, ne serait-il qu’un charlatan? C’est en tous cas ce que laissent entendre de nombreux observateurs sur les réseaux sociaux.
Tout a commencé lundi 11 août, lorsque le youtubeur Monsieur Phi, vulgarisateur scientifique suivi par plus de 378.000 abonnés, a publié une vidéo au titre sans équivoque: « Luc Julia au Sénat: autopsie d’un grand n’importe quoi ». Dans cette production de plus d’une heure, il revient sur l’audition du « pape de l’IA » par les sénateurs de la commission des affaires économiques, le 18 juin dernier, et remet en cause aussi bien son CV et son parcours que son rôle dans la création de Siri.
Qui est vraiment le père de Siri?
Invité sur le plateau de Tech&Co ce 1er septembre, Luc Julia est directement entré dans le vif du sujet. Interrogé sur son rôle dans la création de Siri, largement remis en question par Monsieur Phi, l’ingénieur était sans appel.
« Oui. Je suis co-créateur. Il faut faire attention aux mots, les mots ont un sens. Je ne dis jamais co-fondateur« , lance-t-il. « On était deux en 1997 à créer The Assistant, qui est devenu ce que j’appelle souvent le ‘grand-père de Siri’. Les brevets le prouvent. »
De son côté Monsieur Phi, présent par visio sur le plateau de Tech&Co, a tenu à rappeler que le sujet de Siri ne constituait « qu’une petite partie de la vidéo, relativement accessoire. » « Et s’il avait vu ma vidéo, il aurait vu qu’on y trouve un extrait où il se présente comme co-fondateur de Siri », rétorque-t-il, citant une vidéo de Numerama. Un débat sémantique qui semble agiter les deux hommes.
« Tous les créateurs de Siri sont très clairs sur le fait que les brevets sur lesquels Luc Julia est co-auteur n’ont pas servi », insiste Monsieur Phi, tout en rappelant qu’il n’avait trouvé « aucune preuve » que le projet « The Assistant existe lorsqu’on cherche du côté d’Adam Cheyer (co-créateur de Siri, NDLR). Lorsqu’il parle de l’origine de Siri, il parle d’autres projets comme OA ». « The Assitant est référencé dans des papiers des années 1995. Il peut aller sur mon site web pour trouver des papiers », répond simplement Luc Julia. « Mon nom figure sur les brevets, avec celui d’Adam. »
« Vous avez eu un rôle assez flou au niveau des brevets et ensuite, vous êtes arrivés après la bataille, après le développement de Siri de 2007 à 2010 et après le second developpement de Siri, entre avril 2010 et octobre 2011. Vous êtes restés dix mois, un passage relativement éclair », résume Monsieur Phi. « J’avais des relations privilégiées avec Adam Cheyer pendant toute la période où on discutait quand j’étais chez HP avant de rejoindre Apple », insiste Luc Julia.
Les minutes s’écoulent, mais les deux hommes campent sur leurs positions. « Adam Cheyer est prêt à dire que Luc Julia fait partie d’un cercle de co-créateurs qui devait inclure une centaine de personnes », lance Monsieur Phi. « Si c’était écrit, c’est l’un des 100 co-créateur de Siri, je n’aurais aucun problème la-dessus. »
« C’était 15 personnes entre 2007 et 2010. Je reconnais complètement que ces 15 personnes ont contribué. Elles peuvent se targuer d’être les créateurs de Siri, d’avoir créé des morceaux de Siri », lui répond simplement Luc Julia. « Quand je dirigeais Siri, on est passés de 15 personnes à 85 personnes. Donc les 85 personnes qui étaient là à ce moment peuvent dire qu’ils ont contribué. »
« Mais pour moi, la création, c’est la genèse. Et je dis, et je continuerais à dire qu’Adam Cheyer et moi sommes les deux co-créateurs de Siri », ajoute l’ingénieur.
L’IA se trompe-t-elle 36% du temps?
Les deux hommes sont ensuite revenus sur le fameux chiffre de 36%. En effet, lors de ses conférences, Luc Julia assure que les LLM se trompent souvent. Il cite notamment une étude datant de 2023 en affirmant que leur fiabilité ne dépassait pas 64% et qu’elle diminuait de 2% par an.
Un chiffre totalement réfuté par Monsieur Phi. « Je trouve ça assez alarmant que depuis deux ans, il présente exactement la même conférence. Il s’est passé beaucoup de choses », insiste le youtubeur. « Il présente en permanence ce chiffre de 64% de pertinence qui n’a aucun sens. Ça n’a pas de sens de parler d’un tel chiffre sans référence car c’est le résultat d’un benchmark. Et c’est un chiffre extrêmement daté car il porte sur ChatGPT 3.5. »
« Il semble manquer d’éléments de compréhension assez basiques sur le fonctionnement des LLM (…) Quand on prétend parler aux sénateurs pour les informer sur l’état de l’IA, ça me semble irresponsable », conclut Monsieur Phi.
De son côté, Luc Julia ne semble pas rougir de sa présentation devant les sénateurs. « Sur le point de la pertinence, c’est extrêmement difficile à déterminer. C’est clair que je répète à peu près la même chose depuis trente ans sur l’IA en générale. Ce qui est vrai, c’est que ces taux de pertinence sont bons pour les IA spécialisées. C’est pour ça que l’IA est utile lorsqu’elle est spécialisée. Mais en matière générique, ces IA sont mauvaises », précise l’ingénieur. « Et ça se détériore. »
Malgré l’échange, les deux hommes semblent rester sur leur position. « Vous prenez un chiffre qui concerne ChatGPT 3.5, il faudrait que vous montriez que sur ce même benchmark, ChatGPT 5 fasse moins bien. Ça n’existe pas », lui répond Monsieur Phi.