Un enfant sur 250 meurt avant l’âge de 1 an en France. Tel est le constat du dernier rapport de l’Insee sur la mortalité infantile. En 2024, 2.700 enfants de moins de 1 an sont décédés en France, soit 4,1 décès pour 1.000 enfants (4,1 ‰) nés vivants. Avec les progrès permis par la médecine, la mortalité infantile en France ne devrait pas être aussi forte, constatent les professionnels de santé. Mais elle progresse : depuis 2011, le taux a légèrement augmenté, passant de 3,5 ‰ à 4,1 ‰ en 2024. Depuis 2015, ce taux est même supérieur à la moyenne de l’Union européenne, qui était de 3,3 ‰ en 2023 selon les dernières données de l’Insee, contre 4 ‰ en France cette même année.

Comment expliquer ce déclin en France ? « On ne peut pas fournir d’explications claires parce qu’on a un manque de données à analyser, avance Pr Delphine Mitanchez, présidente de la Société française de médecine périnatale (SFMP) et chef du service de néonatologie à Tours. Chacun y va de ses hypothèses. Il existe probablement plusieurs facteurs mais on ne peut pas, comme le dit très bien la Cour des comptes, formellement les identifier, ni les hiérarchiser. »

L’urgence d’établir un registre de données

Tout comme la Cour des comptes, qui a publié un rapport en mai 2024 sur la politique de périnatalité, le SFMP et tous les professionnels du secteur réclament, d’après Delphine Mitanchez « la création d’un registre de naissances » permettant d’avoir les données (organisation des soins, critères sociaux…) qui pourraient expliquer cette mortalité. Un appel entendu puisque la ministre de la Santé, Christine Vautrin, a annoncé, le 7 avril 2025, avoir demandé à ses services de s’atteler à la création d’un tel registre. « C’est très bien, c’est une première étape, mais il nous faudrait un calendrier précis de son déploiement, et surtout en urgence », relève Pr Delphine Mitanchez.

Car les professionnels de santé alertent depuis longtemps. En 2023, une tribune avait été publiée dans le quotidien Le Monde, initiée par la SFMP et signée par d’autres sociétés savantes médicales. « Mais on est inaudibles, regrette Delphine Mitanchez. On a le sentiment que la santé de l’enfant n’est pas une priorité des politiques gouvernementales. On constate une relative indifférence. On ne voit pas tellement de mesures concrètes à la suite des Assises de la pédiatrie qui ont eu lieu en 2024. On constate aussi l’essoufflement de la politique des mille jours (1) puisqu’on ne voit plus arriver les crédits. »

On a le sentiment que la santé de l’enfant n’est pas une priorité des politiques gouvernementales.

Pr Delphine Mitanchez, présidente de la Société française de médecine périnatale (SFMP) et chef du service de néonatologie à Tours

Dans cette tribune, les auteurs avancent comme explication le manque de professionnels, dû à la dégradation des conditions de travail. Pour Delphine Mitanchez, il ne s’agit pas, à l’inverse, de pointer du doigt la fermeture de petites maternités et l’existence des grandes maternités « qu’on appelle les usines à bébés ». Elle rappelle que « les petites maternités ont fermé parce qu’elles n’assuraient pas la sécurité de la mère et de l’enfant et ces “ usines à bébés ” sont des plateaux techniques avec des professionnels compétents et encadrés. »

Elle prend l’exemple de la Suède et de la Finlande, qui ont mis en place des « politiques de réduction drastique des maternités » et qui ont pourtant un taux de mortalité deux fois moins élevé qu’en France. « Dans les pays du nord de l’Europe, il y a une sage-femme pour une femme qui accouche. En France, on n’a pas ce ratio-là », souligne la présidente de la SFMP. En outre, lorsqu’une maternité ferme, les accouchements vont être reportés dans une structure voisine, « sans que l’on prenne en considération cette augmentation d’activité pour l’établissement qui accueillera les femmes, et sans renfort de personnel. Ce qui pose de nouveau un problème de sécurité », pointe Pr Mitanchez.

Recommandations

Fin 2024, la SFMP a diffusé des recommandations auprès des politiques, notamment celle de « regrouper les plateaux techniques, avec des professionnels assez nombreux pour assurer un suivi 24 h sur 24 h, et qui seraient accessibles aux parents en une heure maximum de leur domicile. À côté, on souhaite maintenir des plateaux de proximité pour le suivi anténatal, mais aussi postnatal des femmes et des enfants » (2), liste Pr Delphine Mitanchez. Parmi les propositions, la SFMP insiste sur la mise en place de moyens de transport efficaces, ou encore d’hôtels maternels.

Pour résumer, d’après Pr Delphine Mitanchez, « ce n’est pas un problème de fermeture de maternités, c’est un problème de l’organisation globale, territoriale, des soins et de l’accès aux soins. » Depuis 1998, date de publication des décrets qui organisent le secteur de la périnatalité en France, « les choses ont changé. On demande aussi leur révision ».

La publication en mars 2025 d’un livre, 4.1, le scandale des accouchements en France, par les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, a permis de mettre un coup de projecteur sur la mortalité infantile. « Bien que l’on ne partage pas toute l’analyse des auteurs, avec qui on s’est entretenu, je suis très contente qu’il ait été publié car il a pu faire le buzz et pourrait faire bouger les lignes, avance Pr Delphine Mitanchez. On a l’impression qu’il n’y a pas de volonté politique et que l’on paye cher la note des changements de gouvernements. » Comme cette volonté de l’ancienne première ministre, Élisabeth Borne, de vouloir faire de l’enfance une priorité de son quinquennat, qui n’a pas été suivie d’effets après les changements de gouvernements.

(1) En 2021, le gouvernement français avait fixé la politique des mille jours, de la grossesse aux 2 ans révolus de l’enfant, afin d’accompagner les parents dans cette période cruciale.

(2) Pour Delphine Mitanchez, la France manque de structures permettant un suivi post-natal, afin de prévenir le suicide maternel, qui est la première cause de mortalité maternelle en période périnatale.

Une proposition de loi pour un moratoire sur la fermeture des maternités

Un rapport de l’Académie nationale de médecine a jugé, en 2023, « illusoire de soutenir » les maternités réalisant moins de 1.000 accouchements par an. « Ce n’est pas la position de la SFMP, pour Pr Delphine Mitanchez. On considère qu’il faut engager une analyse territoriale de chaque établissement, car il existe des maternités qui pratiquent peu d’accouchements mais qui assurent quand même la sécurité de la mère et de l’enfant et qui sont indispensables à leur territoire. » C’est pourquoi la SFMP approuve la proposition de loi déposée par le député Paul-André Colombani (Liot), demandant un moratoire sur les fermetures de maternités. L’idée : donner le temps de mener « une évaluation fine et territorialisée des établissements menacés » et éviter de fermer des établissements encore accessibles dans des territoires reculés et garantissant une sécurité suffisante. Ce que demande, effectivement, la SFMP.