Les innovations technologiques incessantes ont beau avoir fait évoluer la façon de faire la guerre de manière considérable, certaines stratégies se basant sur une connaissance solide du terrain (et un entretien de celui-ci) ne devraient pas être négligées. C’est ce qu’explique en somme le Financial Times qui s’intéresse de près à l’utilisation des marécages comme un repoussoir contre les potentiels assauts de la Russie de Vladimir Poutine.

Le média américain a notamment interrogé Hans Joosten, biologiste néerlandais dont la théorie est simple: marais et tourbières peuvent être utilisés comme «des frontières cruciales contre deux des plus grandes menaces pesant actuellement sur l’Europe: l’expansionnisme russe et le changement climatique d’origine humaine».

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Blocage immédiat

À titre d’exemple, le scientifique explique qu’une armée d’invasion équipée de véhicules blindés lourds aurait un mal de chien à pénétrer dans la zone marécageuse du nord-est de l’Allemagne connue sous le nom de Kieshofer Moor: «Ils seraient immédiatement bloqués.» Comme lui, de nombreux scientifiques estiment qu’il serait doublement regrettable de négliger l’environnement: déjà parce que la situation de la planète ne le permet pas, ensuite parce que certains éléments naturels sont susceptibles de pouvoir dissuader les envahisseurs potentiels.

«On peut renforcer notre capacité de défense» grâce à «des avantages pour le climat, la biodiversité, le contrôle des cultures et l’approvisionnement en eau», résume Hans Joosten, 70 ans, surnommé «le pape des tourbières» par ses collègues. Le Financial Times en profite pour rappeler qu’il y a deux millénaires, le chef germanique Arminius utilisait la tourbière sombre et collante de la forêt de Teutoburg pour infliger à l’armée romaine l’une des plus grandes défaites de son histoire.

Plus récemment, l’armée ukrainienne a aussi utilisé les marais afin de repousser l’ennemi russe, qui tentait d’avancer sur Kiev. En temporisant de manière à pouvoir renforcer leur défense sur la rive droite de l’Irpin, l’eau et les marais servant de fossé antichar, les Ukrainiens ont réussi à endiguer les avancées ennemies. Depuis lors, l’Ukraine a constamment eu recours aux rivières, aux plaines inondables et aux terrains marécageux, ce dont le reste de l’Europe ferait bien de s’inspirer.

«Nous utilisons tout ce que nous pouvons», a d’ailleurs déclaré la Première ministre estonienne Kristen Michal au Financial Times. «S’il existe des zones d’arrêt naturelles à la frontière, comme des marécages, des tourbières ou des lacs, cela nous aide.» Pour le moment, d’autres pays envisagent ce type de solution avec moins d’enthousiasme, d’autant que des drames ont eu lieu. En mars, quatre soldats américains ont perdu la vie lors d’une mission d’entraînement lorsque leur véhicule blindé s’est embourbé dans un marécage près de la frontière entre la Lituanie et la Biélorussie.

Hans Joosten et ses congénères militent pour l’entretien de ce qu’il nomme des tourbières défensives, ce qui ne représenterait selon lui que 5 à 10% de la réhumidification totale nécessaire en Europe. Il défend également l’aspect «humaniste» de l’utilisation des tourbières comme moyen de dissuasion contre les armes de guerre: «Ce n’est pas agressif. Les tourbières ne ripostent pas.» Reste à faire changer d’avis les autorités européennes, pas forcément convaincues: le ministère allemand de la Défense a par exemple fait savoir qu’il ne s’agissait pas d’une priorité pour le gouvernement actuel.