Licencié pour une idylle. Lundi, le géant suisse de l’agroalimentaire Nestlé a annoncé le licenciement de son directeur général (DG) pour cause de « relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée directe ». Il s’agit d’une « infraction au code de conduite professionnelle de Nestlé », a justifié l’entreprise dans un communiqué.
Cette affaire n’est pas sans rappeler le licenciement en juillet dernier du PDG d’Astronomer, société américaine dans l’intelligence artificielle, après que sa relation extraconjugale avec la DRH de l’entreprise a été dévoilée par inadvertance lors d’un concert de Coldplay.
Ils ne sont pas les seuls grands patrons à avoir été contraints à la démission pour des raisons similaires. En 2019, le DG de McDonald’s Steve Easterbrook avait été poussé vers la sortie, à la suite d’une liaison avec un ou une salariée, certes « consentie », mais contraire aux règles de l’entreprise.
Bien que ces affaires ne se soient pas déroulées en France, elles interrogent sur les règles qui entourent les idylles au travail dans l’Hexagone. D’autant plus qu’elles sont assez fréquentes. Selon un récent sondage de Zety, spécialiste du CV en ligne, huit employés sur dix affirment avoir déjà eu une relation romantique, des rendez-vous amoureux ou des relations sexuelles avec un collègue.
Respect de la vie privée
En principe, rien n’interdit explicitement ces liaisons, y compris extraconjugales, car la loi dispose que « chaque salarié a droit au respect de la vie privée », explique Tiphaine Vibert, avocate spécialisée en droit social. Selon l’article 1121-1 du Code du travail, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
L’article 9 du Code civil garantit quant à lui le respect de la vie privée que ce soit pendant ou en dehors du temps de travail. Les lois Auroux de 1982, relatives aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, viennent également protéger les relations amoureuses dans le milieu professionnel. Autrement dit, juridiquement, « on ne peut pas interdire les histoires d’amour au travail et on ne peut pas licencier pour ça », insiste Gaïd Perrot, avocate spécialisée en droit du travail.
Il existe toutefois une exception. « Si c’est justifié, l’interdiction de relation entre deux collègues peut être inscrite dans la charte de bonne conduite de l’entreprise ou dans le contrat de travail », précise Tiphaine Vibert. Auquel cas, l’idylle professionnelle relèverait de « la faute » et pourrait justifier un licenciement.
Ces textes, même si la vie privée prime, ne s’appliquent pas non plus en cas de relation sexuelle sur le lieu professionnel, prévient Gaïd Perrot : « Ça relève du disciplinaire. »
Prudence et discrétion
En principe non plus, il n’y a « pas d’obligation légale » à déclarer sa relation sentimentale à son employeur, s’accordent les deux avocates, puisque là encore, « ça relève de la vie privée ». La prudence et la discrétion restent même recommandées, insiste Gaïd Perrot, pour qui « l’expression vivons heureux vivons cachés prend ici tout son sens ».
Une telle déclaration peut néanmoins être requise si la liaison « crée des risques pour l’entreprise, par exemple dans les activités où il y a du secret-défense ou du secret industriel », souligne l’avocate.
De la même manière, les relations intimes au travail « peuvent poser problème quand ça crée un trouble objectif à l’entreprise, c’est-à-dire quand ça vient perturber son fonctionnement », complète-t-elle. « Ça peut être un conflit d’intérêts, un abus d’autorité, un favoritisme qui se met en place sur une promotion, sur des dates de congés, sur toute forme d’avantages qui seraient donnés à l’un à l’une et pas aux autres, tout ça vient perturber le collectif », poursuit-elle.
C’est pourquoi les idylles professionnelles sont « forcément plus sensibles quand il y a un lien de subordination », convient Me Perrot. « Dès qu’il y a un rapport d’autorité, une différence hiérarchique, on est sur un terrain glissant parce que ça pousse à l’existence d’un trouble objectif », abonde sa consœur.
Gaïd Perrot met aussi en garde sur les risques des liaisons au travail quand il y a séparation. « Outre la mauvaise ambiance que ça peut générer, ça peut finir en harcèlement sexuel. Et, bien que pour l’employeur, la vie privée de ses salariés prime, il leur doit aussi protection, ça crée des situations complexes. »
Bien que la vie privée de ses salariés prime, il leur doit aussi protection, ça crée des situations complexes. » Avant de se lancer, que ce soit avec un collègue ou un supérieur hiérarchique, « il faut toujours se demander si ça interfère avec son travail, ses collègues, ses décisions, il faut trouver le bon équilibre », conclut Me Perrot.