La culture comme résistance. C’est ce que nous offre le théâtre strasbourgeois du Maillon, cette saison. Spectacles futuristes, thématiques féministes et écologiques, esthétique punk et récits de soi : il déroule jusqu’en février, douze propositions curieuses, originales, pour se replonger dans le passé, imaginer nos futurs, mais toujours plus parler de « l’ici et maintenant ».

Gardant le format proposé l’an passé, le Maillon découpe et déploie une nouvelle fois sa programmation en deux semestres, commençant ainsi sa saison avec celui qui s’étendra de septembre à décembre, prolongé déjà, de son Focus Premières (du 29 janvier au 7 février).

Au programme ? Douze spectacles – originaires de six pays – dont trois propositions hors-les-murs, et une rentrée toujours aussi engagée.

Maillon + théâtre + BIM + PAM + B!M + bistrot + patio Le Maillon © Laetitia Piccarreta / Document remis

La culture comme résistance

En miroir avec l’actualité qui nous rappelle tous les jours un peu plus les dangers auxquels nos démocraties sont exposées, le Maillon renforce son positionnement.

Celui d’un théâtre qui défend « le pluralisme de la pensée » et la liberté d’expression, qui offre un espace de réflexion, de dialogue, d’expérimentations. Avec pour mission d’y présenter « une culture pour toutes et tous, ouverte à la diversité », comme l’écrit sa directrice Barbara Engelhardt dans son édito.

maillon « La Distance » de Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage / Document remis

Cette dernière y rappelle aussi les obstacles, rencontrés aujourd’hui par la culture – avec la précarisation de son système. Écrivant ainsi que « la culture elle-même se trouve en situation de résistance. Elle peut être inventive et engagée, mais si on lui retire son financement, un espace essentiel de parole et d’écoute dans nos démocraties disparaît ».

Quant à la saison que le théâtre nous réserve, Barbara Engelhardt conclue ainsi : « qu’elles soient percutantes, joyeuses, déroutantes ou émouvantes, toutes les propositions que nous font les artistes au Maillon le rappellent : nous partageons le plaisir de nous laisser emporter dans l’ailleurs, pour mieux nous saisir de l’ici ».

Théâtre du Maillon Sur l’un des murs du Maillon, on y lit d’ailleurs des mots d’Eugène Ionesco : « Le théâtre peut être le lieu où il semble que quelque chose se passe. » © Charly Broyez / Document remis

Une rentrée qui se conjugue au passé, présent, futur

Cette année encore, le Maillon orchestre son début saison au diapason avec Musica (festival strasbourgeois de création musicale créé en 1983, au rayonnement international).

Son premier rendez-vous : Eternal Dawn du « compositeur et créateur de mondes » allemand Alexander Schubert, et du Decoder Ensemble, les vendredi 19 et samedi 20 septembre

Nous parlions plus haut du futur… Ce spectacle – « à la croisée du théâtre musical et de l’installation » – nous y propulsera, à la rencontre de cyborgs « faits de chair, d’acier et de plastique ». Dans un monde pas si lointain, rythmé par le bruit des machines, du métal et du numérique.

Maillon Musica « Eternal Dawn » d’Alexander Schubert © Alexander Schubert / Document remis

Prémices, peut-être, du précédent : Nexus de l’adoration de Joris Lacoste braquera, lui, « un regard sur notre monde hyper-connecté », divisé en profils variés (des éco-féministes, à la Gen Z, en passant par les néo-conservateurs/rices, les eurosceptiques et autres artistes).

Une société patchwork, représentée ici par des « poèmes répétitifs, prières matérialistes, méditations rythmiques, chorégraphies K-pop, dialogues absurdes, discours flamboyants, confidences intimes… », entre théâtre, musique et danse. À découvrir les jeudi 25 et vendredi 26 septembre.

Maillon Musica « Nexus de l’adoration » de Joris Lacoste © Raynaud de Lage / Document remis

Maillon Musica « Nexus de l’adoration » de Joris Lacoste © Raynaud de Lage / Document remis

Si le premier parle du futur, le second du présent… Avec Último helecho de Nina Laisné (du mercredi 1er au vendredi 3 octobre), on retourne aux sources. Celles des cultures autochtones, qui s’incarnent ici « au son des sacqueboutes, wacrapuco ou sachaguitarra », (re)mises en musique et mouvement par le chorégraphe et chanteur François Chaignaud, et la chanteuse, compositrice, autrice et spécialiste des musiques folkloriques contemporaines argentines Nadia Larcher.

De leur collaboration et de recherches de terrain en Amérique du Sud, s’exprime « la culture et la mémoire des peuples opprimés par la colonisation ». Un « spectacle-utopie », nous dit-on, atypique et poétique, qui « renouvelle toute une cosmogonie ».

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« Último Helecho » de Nina Laisné © Nina Laisné / Documents remis

Pour prolonger les thématiques abordées par Musica, le Maillon nous catapulte en 2077, les mercredi 15 et jeudi 16 octobre avec La Distance, de Tiago Rodrigues.

Une dystopie futuriste qui imagine l’humanité scindée en deux : quelques privilégié(e)s sur Mars, et à « des centaines de millions de kilomètres » de là, celles et ceux resté(e)s sur Terre, « dans une précarité toujours croissante ».

Entre les deux : La Distance qui sépare un père et sa fille. En filigrane, aussi, de ce dialogue familial, intime ? La question de notre survie, face à la catastrophe environnementale, et de « l’exploitation à outrance des ressources ». Un spectacle qui a bouleversé le festival d’Avignon, cet été.

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« La Distance » de Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage / Documents remis

La masculinité à l’épreuve

À noter aussi, que le Maillon conviera deux artistes en résidence de création, cette année.

D’une part, la metteuse en scène, chorégraphe, et marionnettiste Gisèle Vienne – grande fidèle du Maillon – qui reviendra au printemps, après avoir présenté depuis 2013 This is how you will disappear, The Pyre, Showroomdummies #3, I Apologize, The Ventriloquists Convention, Crowd, L’Étang ou plus récemment EXTRA LIFE (avec Adèle Haenel).

Maillon « HERKÜL » de Cyril Balny et la Cie La Récidive © Sebastien North / Document remis

Mais dès cet automne, le Maillon accueillera Cyril Balny, connu pour ses projets vidéo et cinématographiques et ses installations, cofondateur de la compagnie strasbourgeoise La Récidive (aux côtés de Fanny Perreau). À la suite de sa résidence, il nous présentera HERKÜL, les mercredi 5 et jeudi 6 novembre.

Une relecture moderne du mythe d’Hercule, figure mythologique autant que de la pop culture. Si ses 12 travaux relayés par celles-ci en ont fait un héros à la « masculinité musclée et triomphante, [droit] dans ses sandales et solide dans ses convictions »… Cyril Balny en explore ici une autre vision, héritée de l’auteur romain Sénèque, plus nuancée, d’un « être en proie au doute, faible, meurtri ».

Maillon « HERKÜL » de Cyril Balny et la Cie La Récidive © Sebastien North / Document remis

Sur scène : un « show spectaculaire » livré par le « rappeur céleste » Alcide (blaze imaginé en hommage au premier nom d’Héraclès – le pendant grec du mythe romain d’Hercule), pour une réinterprétation moderne qui ne manquera ni de flow, ni de force.

Toujours en novembre, le Maillon continuera sa collaboration entamée l’an passée avec Carolina Bianchi.

L’autrice, metteuse en scène et performeuse brésilienne y avait livré le saisissant La Mariée et Bonne nuit Cendrillon. Premier opus de son triptyque Cadela Força consacré aux violences sexuelles et à leur représentation dans les arts (dont les textes sont publiés aux éditions Les Solitaires Intempestifs).

Maillon « Cadela Força Trilogy – Chapter II_ The Brotherhood » de Carolina Bianchi Y Cara di Cavalo © Mayra Azzi / Document remis

Du jeudi 13 au samedi 15 novembre, elle présente son chapitre II, et s’attaque cette fois à la « fraternité » masculine, dans une nouvelle pièce coup-de-poing : The Brotherhood.

Un gros plan de 3h40 sur le masculinisme, la violence des hommes, et plus généralement : le « lien puissant qui [les] innocente […] et cautionne leurs crimes à l’endroit des femmes ». Pour public averti (dès 18 ans).

Maillon « Cadela Força Trilogy – Chapter II_ The Brotherhood » de Carolina Bianchi Y Cara di Cavalo © Mayra Azzi / Document remis

Une fin d’année en famille

Parlons un peu de sentiments, maintenant. Si The Brotherhood n’est pas à mettre en toutes les sensibilités, le Maillon réserve quelques rendez-vous familiaux, pour partager le théâtre en famille.

Parmi eux, celui de Tabea Martin qui revient au Maillon avec « un sujet vieux comme le monde » l’amour – en nous livrant toutefois une proposition aussi originale que pleine d’humour : Love Scenes.

Maillon « Love Scenes » de Tabea Martin © Guillaume Musset / Document remis

Maillon « Love Scenes » de Tabea Martin © Guillaume Musset / Document remis

S’inspirant de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, la chorégraphe imagine avec ses quatre danseurs/euses, des scènes illustrant tout à la fois « notre besoin d’amour, […] nos hésitations et […] nos élans, […] nos espoirs et […] nos déceptions », dans une société qui laisse peu de place à l’émotion, à la vulnérabilité.

À voir en solo, ou avec celles et ceux que l’on aime, en duo, entre ami(e)s ou en famille – puisqu’accessible dès 10 ansdu jeudi 20 au samedi 22 novembre.

Dès 10 ans, aussi : Circus Remarke de Maroussia Diaz Verbèke, du mercredi 17 au samedi 20 décembre.

Un spectacle de cirque, comme l’indique son titre… Mieux : de « Troisième cirque », nom de sa compagnie, et de l’idée d’une nouvelle pratique du cirque qui « dépasserait le clivage entre la tradition et le cirque contemporain ».

Maillon « Circus Remake » de Maroussia Diaz Verbèke / Le Troisième Cirque © Studio Cui Cui Aude Boissaye / Document remis

Dans ce Circus remake ? Des acrobaties, de la jongle et du clown qui s’animent sur une piste au format 45 tours, sur fond de vinyles et d’extraits audio qui convoquent l’humoriste Raymond Devos, le philosophe Jacques Derrida, Annie Fratellini (artiste, multi-instrumentiste, clown et première femme à interpréter l’Auguste) ou de la scénariste Claire Denis.

Maillon « Circus Remake » de Maroussia Diaz Verbèke / Le Troisième Cirque © Studio Cui Cui Aude Boissaye / Document remis

Paysage #5 : François Gremaud, le goût du mot

Dans le cadre de la 5e édition de son Paysage (qui valorise chaque année, le travail d’un(e) artiste), le Maillon consacrera dix jours à François Gremaud que certain(e)s reconnaîtront peut-être pour ses précédents spectacles au Maillon : Giselle… (2022) et Carmen. (2024).

Du 3 au 13 décembre, coup de projecteur sur un metteur en scène – parfois comédien – qui aime à faire « renaître notre étonnement, […] pour réveiller notre intelligence naturelle – et pas artificielle », et à démocratiser le théâtre avec fantaisie et facétie au travers d’un répertoire qui explore l’écriture, le procédé théâtral, avec humour, intelligence et finesse.

À l’affiche ? Aller sans savoir où (du 3 au 6 décembre) où il y évoque ses travaux, ses inspirations « au fil [d’une] pensée faite d’imprévus et de pirouettes logiques ». Phèdre ! (du jeudi 4 au samedi 6 décembre), la lecture passionnée de l’œuvre de Racine, elle-même « récit d’un amour interdit » (de Phèdre pour son beau-fils), mais « toléré, encouragé même, pour la poésie et la langue ».

Mais aussi Pièce sans acteur(s) (mardi 9 et mercredi 10 décembre), où François Gremaud et Victor Lenoble vont plus loin : penser le théâtre, en imaginant une scène vidée de ses comédiens, et habitée seulement par deux enceintes « d’où s’élèvent une voix, puis deux, de la musique ».

Une réflexion sur le pouvoir évocateur des mots, capables à eux seuls de « faire émerger mentalement tout un monde ».

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À gauche : « Aller sans savoir où » de François Gremaud © Marie Clauzade / Document remis ; à droite : « Phèdre ! » de François Gremaud © Loan Nguyen / Document remis

Dans La Magnificité (vendredi 12 et samedi 13 décembre), le collectif Gremaud/Gurtner/Bovay y incarnera tour à tour des « participant(e)s d’un jeu de société, animateurs et animatrices de radio, artistes de stand-up lourdingues, musicien(ne)s dans un groupe de rock » pour explorer avec espièglerie, la thématique du « faire ensemble ».

Et puis, François Gremaud nous emmènera Pondre un 9, au 5e Lieu. Un spectacle hors-les-murs (et gratuit) sur le « comment et le pouquoi » écrire pour le théâtre. Pour aller plus loin : il donnera par ailleurs, le dimanche 7 décembre, un atelier théâtre et écriture pour « donner à voir et mettre en partage ».

Maillon 2. « La Magnificité » du collectif GREMAUD/GURTNER/BOVAY © Dorothée Thébert Filliger / Document remis

Premières : la jeunesse européenne se raconte sur scène

Et enfin, pour démarrer 2026, le Maillon passe la Premières, avec son festival de l’émergence européenne, relancé l’an passé par Barbara Engelhardt, et de retour pour la deuxième année consécutive. (Outre les spectacles : des tables rondes et rencontres, pour aller plus loin).

maillon « It’s the end of the amusement phase » de Chara Kotsali © Pinelopi Gerasimou – Onassis Stegi High / Document remis

Sur deux week-ends – du 29 janvier au 7 février –, Premières nous invitera à découvrir les premières (ou secondes) mises en scènes de jeunes artistes. Et par là même : diverses visions de la création artistique, du monde qui les entoure, et « des thèmes actuels dont [ils et elles] s’empare[nt] avec force ».

Des récits de soi, des parcours de vie marqués par l’exil, la double-culture, la différence. En creux, une question : comment se raconte-t-on ?

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« das Wetter Zuhause. ein Wohnzimmerballett » de Aleksandr Kapeliush © Steven M Schultz / Documents remis

Aleksandr Kapeliush, parti de Russie à l’invasion de l’Ukraine pour Tel Aviv puis l’Allemagne, nous présentera Das Wetter Zuhause. Ein Wohnzimmerballett (La météo à la maison. Un ballet de salon) du jeudi 29 au samedi 31 janvier (à la HEAR).

Une plongée dans ses souvenirs, de son « identité au croisement des cultures » à l’« impossibilité de vivre son homosexualité dans une société sous surveillance », et l’exil. Entre Taylor Swift et Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski : un récit de soi qui démontre toujours plus que oui, l’intime est politique.

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« Language no broblem » de Marah Haj Hussein © Boris Breugel / Documents remis

Chez Marah Haj Hussein, c’est la langue qui est au cœur, porteuse d’une histoire, et du « plurilinguisme comme enjeu de pouvoir ». Palestinienne, diplômée en Belgique où elle vit aujourd’hui, la danseuse et créatrice, aborde dans Language: No broblem (du jeudi 29 au samedi 31 janvier), son parcours et « le rapport à l’arabe parlé en Palestine et à l’hébreu, langue officielle de l’État qui fixe les règles ».

Un spectacle sensible, d’actualité, aussi sonore que visuel, où les mots s’écoutent autant qu’ils s’écrivent, en petit, en grand et partout, pour se faire entendre.

Bidibibodibiboo de Francesco Alberici (du jeudi 29 au samedi 31 janvier) se penchera sur la relation entre deux frères, pour mieux raconter notre monde, et plus particulièrement : celui du travail. Entre management poussif, souffrance, quête de performance et perte de sens (ou peut-être l’inverse) : « le récit d’une aliénation ».

Maillon « Bidibibodibiboo » de Francesco Alberici © Document remis

Davide-Christelle Sanvee (Suisse, Togo) s’attaquera quant à elle, à la question du racisme. Comme point de départ ? Les deux semaines passées par l’auteur James Baldwin dans le village de Loèche-les-Bains, en 1951, où il sera perçu lors de son séjour là-bas comme « l’intrus noir » d’une Suisse blanche – une expérience dont il parlera dans Un étranger au village.

Partant d’images d’archives, elle nous livre dans Qui a peur (vendredi 6 et samedi 7 février), une performance immersive entre « rêve et réalité, croisant humour mordant et visions plus sombres », pour « déployer avec lucidité les manifestations du rejet de l’Autre au motif de sa couleur de peau ».

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« Qui a peur de Davide-Christelle Sanvee » © Eden Leviam / Documents remis

Et quelle meilleure conclusion à ce cycle de Premières, que It’s the end of the amusement phase de Chara Kotsali (Grèce) ? Un spectacle entre la danse et la performance qui s’annonce comme un « récit de soi autant que récit du monde », une « chronologie alternative […] qui nous rappelle que l’Histoire n’est pas linéaire, mais que c’est nous qui en écrivons la logique ».

La Macarena y croise des parades militaires, des « manifestations de masse et aérobic […], danses rituelles et pom-pom girl », sur une bande-son « fait[e] de tous les bruits du monde ». …Un mash-up pour réviser l’Histoire ? Il faudra venir les vendredi 6 et samedi 7 février pour le voir.

maillon « It’s the end of the amusement phase » de Chara Kotsali © Pinelopi Gerasimou – Onassis Stegi High / Document remis

Quant à découvrir la programmation du Maillon en face-à-face, on se note dans l’agenda les présentations de saison : en grand comité, d’une part (les 9 et 12 septembre), ou en version speed-dating, le 18 septembre.

Maillon Saison 2025-26 : 1er semestre

Quoi ?

Spectacles, rencontres, ateliers, etc.

Quand ?

Premier semestre de programmation : de septembre à décembre
Festival PREMIÈRES : du 29 janvier au 7 février

où ?

Au Maillon – théâtre de Strasbourg, scène européenne
1 boulevard de Dresde à Strasbourg

Plus d’infos ?

Programmation complète et billetterie