Au petit matin, elle est là. Quotidiennement ou presque, sur la place de la Poste Libération, entre les avenues Malaussena et Villermont. Marie-Jo y assure une distribution de denrées alimentaires aux personnes sans ressources. Des actions que le maire de Nice veut déplacer, mais qui sont indispensables ici, selon la bénévole. À 80 ans passés, elle a consacré sa vie aux autres. Après une carrière professionnelle dans le social, elle s’est engagée au Secours populaire. Durant le confinement, elle a commencé ces distributions, sans savoir qu’elle les poursuivrait aussi longtemps. « Je sais qu’ils ont besoin de moi. C’est de plus en plus dur pour eux », justifie Marie-Jo.

Pains, sandwichs et cafés

Alors tous les jours vers 7h30, juste à côté du jardin Thiole, elle décharge de sa voiture ses cagettes en plastique contenant des comestibles pour les distribuer aux personnes sans ressources. Pains, pizzas, sandwichs, pissaladières, viennoiseries, yaourt, crêpes: tout est récupéré la veille auprès de commerçants qui font don de leurs invendus. Avec son véhicule personnel, elle transporte le tout, aidée par des personnes elles-mêmes en situation de précarité.

Dès les premières minutes, une trentaine de personnes se pressent en file. Les profils sont très différents: du jeune au plus âgé, des femmes, des hommes. Des passants dont on ne soupçonne parfois pas la nécessité, d’autres plus mal en point. « Ce sont des gens que la famille a jetés, dépassés par les démarches administratives, qui ont perdu leur emploi et n’en retrouvent pas », décrit la bénévole.

Parfois, Marie-Jo est obligée d’élever la voix pour discipliner ceux qui tentent de doubler ou de se servir eux-mêmes. « Ça, c’est sûr, elle se fait respecter », glisse un vieil homme barbu attendant son tour. Certains viennent simplement chercher leur café du matin, d’autres remplir leur sac, à raison de quelques provisions seulement pour en laisser à tout le monde. Lundi 25 août au matin, ils ont été environ 150 à venir chercher de quoi se sustenter.

Compléter le travail d’autres structures

Dans les alentours, il y a d’autres centres de distribution, mais pas toujours accessibles. « Ils ferment le dimanche, ouvrent à 9h ou 9h30. Sauf que ceux qui dorment dehors sont virés assez tôt par les agents qui nettoient les rues. Et qu’est-ce qu’ils font avant l’ouverture? Ils boivent », regrette Marie-Jo, qui préfère leur offrir un café en attendant. Les Restos du Cœur, au 21 rue Dabray (à 600m), assurent des distributions les lundis, mardis et jeudis, sous conditions de ressources, contrairement à Marie-Jo. Il est nécessaire de présenter une pièce d’identité, ainsi que des justificatifs de revenus et de dépenses. Compliqué quand on n’est pas à l’aise avec les démarches administratives.

D’un coup, une dispute éclate entre deux hommes, à coups d’insultes. Ce sera le seul débordement de la matinée. « Ils ne sont pas méchants, ils sont en détresse. Il faut les prendre tels quel », rassure Marie-Jo.

« Heureusement qu’elle est là »

Anouchka, par exemple, a repris des études à 56 ans. Auparavant, elle dormait dans les couloirs de l’aéroport de Nice. Désormais, elle habite dans une chambre de bonne qu’elle réussissait à payer avec ses aides et sa bourse. Mais depuis quelques mois, elle a cessé de verser son loyer et remplit son frigo grâce à ces distributions. « Heureusement que Marie-Jo est là. Sinon, on ne mangerait pas. Je ne veux pas faire la manche. Mendier, je n’y arrive pas », confie-t-elle. À côté, David, bientôt la cinquantaine. Il travaille dans le recyclage. Pas suffisant pour se payer un logement, alors il dort à la rue depuis quatre ans et vient se ravitailler quasi quotidiennement.

Mais dans Nice-Matin le mois dernier, nous annoncions que Christian Estrosi demandait à ce que cessent les distributions alimentaires à Thiole. En cause: les riverains qui se plaignent des nuisances sonores et de l’état des lieux après les distributions. « Une charte de distribution alimentaire, conclue entre la ville, le CCAS et les associations permet de cadrer les distributions alimentaires et précise les zones où sont prévues les maraudes », détaille Jennifer Salles, adjointe au maire de Nice, déléguée aux seniors et aux solidarités. La Ville prévoit l’ouverture à la rentrée d’un nouveau local de distribution rue Dabray.

« Il y a des gens qui ne respectent rien. Et nous, on paye les pots cassés », regrette Philippe. De son côté, Marie-Jo tranche: « Ce serait l’idéal qu’il n’y ait plus personne dehors. Mais tant qu’on aura besoin de moi, je resterai ».