«En interdisant au président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et à 80 de ses cadres l’entrée aux Etats-Unis pour prendre part à l’Assemblée générale de l’ONU consacrée à la reconnaissance de l’Etat palestinien, l’administration Trump risque non seulement d’être poursuivie par l’ONU devant la Cour internationale de justice, mais aussi d’apparaître devant le monde entier comme complice, pour ne pas dire actrice, dans le génocide à Ghaza et de l’annexion des territoires palestiniens.
La mesure d’interdiction d’entrée aux Etats-Unis infligée par l’administration Trump à Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, et à 80 de ses représentants, qui devaient participer à la 80e Assemblée générale de l’ONU (du 9 au 23 septembre), à New York, durant laquelle la France et l’Arabie saoudite plaideront pour une plus large reconnaissance de l’Etat palestinien, démontre l’adhésion totale de Washington à la politique israélienne visant à enlever toute légitimité à l’Autorité palestinienne, mais aussi le mépris vis-à-vis des Nations unies et à l’égard d’un de ses puissants alliés, l’Arabie saoudite.
Il ne s’agit pas d’un acte isolé, puisque les administrations précédentes ont utilisé les visas d’entrée aux Etats-Unis pour prendre part aux activités de l’ONU comme moyen de pression contre les Etats qui ne sont pas dans leur giron, comme le Venezuela, l’Iran et encore la Russie, dont le chef de sa diplomatie a subi la même sanction, alors qu’il devait présider l’Assemblée générale de l’ONU. Il aura fallu l’intervention du secrétaire général des Nations unies pour que le ministre et sa délégation obtiennent les visas. Les spécialistes du droit international expliquent que les dispositions de l’accord de 1947 liant l’ONU aux USA, relatif au fonctionnement du siège des Nations unies, à New York, est très clair.
Elles stipulent que l’administration américaine ne peut imposer des restrictions à l’entrée des représentants des Etats membres, des fonctionnaires de l’ONU et d’une liste de personnel, y compris les personnes invitées par l’ONU pour des missions officielles, et ce, quelles que soient les relations entre les gouvernements auxquels appartiennent et le gouvernement américain. Cependant, cet accord fait état d’une exception liée au droit des Etats à protéger leur sécurité nationale et à interdire aux individus d’entrer dans n’importe quelle partie du pays, à l’exception du siège de l’ONU et des routes nécessaires pour y accéder.
Or, dans son post sur X, le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio n’a cité aucune référence à des accusations liées à la sécurité nationale des USA contre les représentants de l’Autorité palestinienne et les membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Dans la déclaration du Département d’Etat, publiée sur son site, on peut lire : «Conformément à la législation américaine, le secrétaire d’Etat Marco Rubio refuse et révoque les visas des membres de l’Organisation de libération de la Palestine et de l’Autorité palestinienne (AP) à l’approche de la prochaine Assemblée générale des Nations unies.»
Une sanction pour empêcher le recours aux mécanismes de l’ONU
L’administration Trump a été claire : «Il est dans notre intérêt de sécurité nationale de tenir l’OLP et l’AP responsables du non-respect de leurs engagements et de leur atteinte aux perspectives de paix. Avant que l’OLP et l’AP puissent être considérées comme des partenaires pour la paix, elles doivent systématiquement rejeter le terrorisme (…) et mettre fin à l’incitation au terrorisme dans l’éducation, comme l’exige la législation américaine et comme l’a promis l’OLP.»
Le mot «terrorisme» n’a été utilisé que dans ce contexte, avant de préciser que «l’AP doit également cesser ses tentatives de contourner les négociations par des campagnes juridiques internationales, notamment des recours devant la CPI et la CIJ, et ses efforts pour obtenir la reconnaissance unilatérale d’un Etat palestinien hypothétique. Ces deux mesures ont contribué concrètement au refus du Hamas de libérer ses otages et à l’échec des négociations de cessez-le-feu à Ghaza».
Le communiqué a souligné en outre que «la mission de l’AP auprès de l’ONU bénéficiera de dérogations conformément à l’accord de siège de l’ONU. Les Etats-Unis restent ouverts à un réengagement conforme à nos lois, si l’AP et l’OLP remplissent leurs obligations et prennent des mesures concrètes pour revenir à une voie constructive de compromis et de coexistence pacifique avec l’Etat d’Israël».
Cela démontre que la sanction a été infligée non pas pour des raisons de sécurité nationale, mais plutôt pour empêcher les représentants palestiniens de prendre part à l’Assemblée générale de l’ONU, parce que tout simplement, ils ont eu l’audace d’utiliser les mécanismes onusiens, notamment la Charte des Nations unies, qui leur donnent le droit de lutter, par tous les moyens, pour arracher leur indépendance. En réalité, par sa décision, Trump veut torpiller la décision de nombreux pays occidentaux qui ont décidé de reconnaître l’Etat de Palestine lors de cette Assemblée générale à laquelle il prendra part et surtout devant laquelle il prononcera un discours. L’ONU est restée très timide sur cette violation.
Le porte-parole du secrétaire général s’est contenté d’affirmer qu’il s’engagerait avec les Etats-Unis «conformément à l’accord de siège entre l’ONU et les Etats-Unis», tout en exprimant son «espoir» que «cette question soit résolue» en ajoutant : «Il est essentiel que tous les Etats membres et observateurs permanents, y compris la Palestine, puissent être représentés, en particulier dans ce cas, car il y aura une session consacrée à la solution à deux Etats, organisée par la France et l’Arabie saoudite.»
Pourtant, l’ONU a les moyens juridiques de poursuivre les Etats-Unis devant la Cour internationale de justice et les obliger à revenir sur leur décision ou alors, comme le préconisent de nombreux Etats membres de l’Organisation, de déplacer la réunion de l’Assemblée générale vers le siège de l’ONU à Genève, comme cela a été fait en 1988, lorsque Washington a refusé le visa à certains dirigeants de l’OLP (qui n’avait aucun statut officiel à l’ONU) et au défunt Yasser Arafat qui voulait s’adresser à l’Assemblée générale des Nations unies.
La délocalisation a été votée par 151 voix pour et contre deux (Israël et Etats-Unis) et l’abstention de la Grande-Bretagne, et Yasser Arafat a pu prononcer son discours, laissant les USA dans une mauvaise posture devant le monde entier. Mais le contexte de l’époque n’est plus le même que celui d’aujourd’hui, où les moyens de communication à distance ont connu une percée considérable et peuvent permettre aux dirigeants de l’Autorité palestinienne de prendre part aux travaux de l’Assemblée générale par visioconférence.
Une gifle pour l’Arabie Saoudite…L’autre levier qui pourrait être utilisé pour faire revenir l’administration Trump sur sa décision est détenu par l’Arabie saoudite, l’un des alliés les plus puissants des USA et le plus influent. Le prince Mohamed Ben Selman, qui conditionne la normalisation de ses relations avec Israël, dans le cadre des accords d’Abraham, par la proclamation de l’Etat Palestinien, pourrait mal digérer le fait que l’administration Trump empêche la participation des dirigeants palestiniens à un tel événement historique.
Du côté de la France, c’est la colère contre Trump. «Le siège des Nations unies est un lieu de neutralité, un sanctuaire au service de la paix (…)
Une Assemblée générale des Nations unies ne saurait souffrir aucune restriction d’accès», a déclaré Jean-Noël Barrot quelque temps avant une réunion de l’UE qui devait aboutir, en vain, à des sanctions contre Israël, faute de consensus, en raison du génocide qu’il mène contre Ghaza. «Nous demandons tous instamment que cette décision soit reconsidérée, compte tenu du droit international», a déclaré la cheffe de la diplomatie de l’organisation continentale, Kaja Kallas, qui s’exprimait après la réunion. De son côté, l’Autorité palestinienne a exprimé «son profond regret et son étonnement» face à cette décision qui est «en contradiction avec le droit international».
Appelant au passage Washington à revoir sa décision. «Nous verrons ce que cela implique exactement et comment cela s’applique à nos délégations, puis nous répondrons en conséquence», a évoqué Riyad Mansour, ambassadeur palestinien auprès des Nations unies. Ce qui est certain, c’est que la décision de Donald Trump ne fait que confirmer le soutien inconditionnel de son administration au gouvernement extrémiste de Benyamin Netanyahu, qui rejette totalement et publiquement l’idée d’un Etat palestinien et considère l’Autorité palestinienne et le mouvement de résistance Hamas comme des «terroristes».
Elle intervient dans un contexte particulier où Ghaza subit depuis plus de 22 mois une guerre génocidaire menée par l’armée israélienne qui s’apprête à envahir militairement le centre-ville urbain de la ville, en déportant plus d’un million de Palestiniens livrés à la famine vers le sud de l’enclave, en attendant d’être expulsés vers d’autres pays. Un plan visiblement entériné par Donald Trump qui voit toujours Ghaza, comme un immense marché immobilier, qui fera de cette ville, dont il aura le contrôle, «une riviera du Moyen-Orient», sur les corps de ses habitants qui refusent toujours de quitter leurs terres. S. T.