Par

Emilie Salabelle

Publié le

3 sept. 2025 à 7h10

« J’ai arrêté de prendre en charge des patients dans ce secteur ». Infirmière libérale depuis six ans, Laurence Trebugais s’est résolue à sortir le 19e arrondissement de Paris de ses tournées quotidiennes. En cause, la circulation routière devenue impossible selon cette soignante de 54 ans, qui a préféré se refaire une patientèle ailleurs. Elle n’est pas la seule. Fruit d’une concertation publique, la refonte de la circulation dans le quartier Manin/Bolivar, mise en place depuis mars 2025, ne fait pas que des heureux. La mise en sens unique de la rue Manin, de l’avenue Simon-Bolivar et du boulevard Sérurier rend « très difficile l’accès aux soins », selon le Dr Mickael Riahi, médecin généraliste et président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Paris 19e, à l’origine d’une pétition ayant recueilli près de 400 signatures.

« Je ne peux pas me permettre de perdre autant de temps »

Laurence Trebugais, elle, a vite fait le calcul. « Avec les changements de circulation, je pouvais perdre plus de 30 minutes pour aller voir mon patient habituel. Je ne peux pas me permettre de perdre autant de temps pour un soin à six euros. Dans notre métier, on doit aller très vite. En une journée, je peux voir jusqu’à 50 patients, j’enchaîne facilement quatre soins par demi-heure. Je suis comme un livreur de pizza, je marche au pas de course dès que j’ai quitté mon scooter, je monte les escaliers quatre à quatre quand l’ascenseur est en panne ».

Sur son deux-roues, l’infirmière a même bravé quelques fois les sens interdits pour tenter de garder la cadence. Des entorses soldées par deux amendes. Alors, elle a fini par décaler son activité plus au nord, vers Belleville, quitte à perdre une partie de sa patientèle, et voir son chiffre d’affaires fondre de près 30 % en six mois, le temps de se faire connaître dans son nouveau périmètre. « J’ai essayé de redonner mes patients du 19e aux collègues qui font leur tournée à pied. Le plus dur, c’est de dire non à un patient qui me téléphone. Beaucoup me disent qu’ils se sentent isolés ».

« Une entrave à tous ceux qui interviennent à domicile »

Ce type de témoignage est revenu à plusieurs reprises aux oreilles du Dr Mickael Riahi. « Beaucoup d’infirmières m’ont fait part de grosses difficultés dans leurs tournées. C’est une vraie entrave à tous ceux qui interviennent à domicile : les auxiliaires de vie, SOS médecins… Certains patients ne trouvent d’ailleurs plus de rendez-vous ».

Autre difficulté rencontrée : la baisse du nombre de places de stationnements, au profit de pistes cyclables ou d’aires de livraison. L’ensemble de ces difficultés pèse aussi sur les déplacements des habitants, en particulier les seniors et ceux dont la mobilité est réduite, estime le médecin. « Ils peinent à honorer leurs rendez-vous. Les médecins spécialistes constatent que leurs patients sont de plus en plus en retard. Certains pensent à délocaliser leur cabinet ».

À l’issue d’une rencontre entre les professionnels de santé et François Dagnaud, maire (PS) du 19e arrondissement, quelques aménagements ont été concédés. Un sens interdit au niveau de la rue Goubet a été repoussé au niveau de la rue de Crimée, permettant de remonter une partie de la rue et de faire une boucle dans le quartier. « Une petite amélioration », salue Mickael Riahi, mais largement insuffisante à ses yeux pour résoudre le fond du problème.

Des voies de bus ouvertes aux soignants ?

Contacté par actu Paris, l’édile d’arrondissement assure prendre ces doléances « très au sérieux », et reconnaît une situation paradoxale : « Toutes les politiques de santé publique nationale visent à développer les soins à domicile. Dans une ville où on a des publics vieillissants, il faut que les professionnels du soin puissent travailler sans complication excessive. »

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Une solution, proposée par la CPTS, pourrait résoudre une grande partie du problème, soutient le maire : l’ouverture des voies de bus aux soignants à domicile, qui pourraient ainsi circuler plus aisément, et à double sens dans le quartier. Mais ce type d’autorisation ne relève pas des compétences d’un maire d’arrondissement. « Cela se décide à l’échelle parisienne ou nationale », précise-t-il. Le cabinet de l’adjoint d’Anne Hidalgo aux mobilités, l’écologiste David Belliard, a d’ailleurs été interrogé sur le sujet, mais pour l’heure « rien n’est prévu » sur ce volet.

« Dissuader la circulation de transit »

Pour le maire d’arrondissement, la politique de réduction de la voiture mise en place par la ville et dans son territoire porte néanmoins ses fruits, notamment en termes de santé publique, au vu de l’amélioration de la qualité de l’air dans la capitale. Les aménagements autour de la rue Manin ont pour but de « dissuader la circulation de transit tout en préservant la desserte locale. Dans le 19e, on a cette particularité d’être une voie d’entrée et de sortie dans Paris. La rue Manin est habitée, commerçante, on ne veut pas que ce soit une autoroute urbaine. »

La refonte du plan de circulation a d’ailleurs été longuement réfléchie en concertation avec les riverains, dans le cadre du programme « Embellir votre quartier », ajoute-t-il. « C’est un travail de 3 ans qu’on a fait à la demande des habitants. Il n’y a pas une volonté de chasser les automobilistes par principe, mais nos concitoyens sont de moins en moins nombreux à avoir une voiture. On ne peut pas mobiliser 100 % de l’espace public pour 20 % des usages ».

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