A quelques jours d’un vote de confiance décisif, François Bayrou agite son mantra politique favori : le spectre de la dette. « Notre pays est en danger parce que nous sommes au bord du surendettement », a encore martelé le Premier ministre pour cette rentrée. Le centriste a plusieurs fois évoqué un parallèle avec la Grèce, le risque de « devoir plier face aux créanciers » et la peur de devenir, comme Athènes en son temps, « un pays qui ne peut plus faire face à ses fins de mois sans emprunter, et qui ne retrouve plus de prêteurs ». Le Premier ministre a même déclaré « que la vie de la Nation était en jeu ».
A sa décharge, on parle tout de même d’une dette de 3.345,8 milliards d’euros, soit 114 % du PIB. En 2000, elle ne pesait que 60 % du PIB, et encore 97,9 % juste avant le Covid-19. Mais en dépit de ses chiffres vertigineux, Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques, trouve le danger évoqué par François Bayrou un peu exagéré. L’économiste balaie même d’une main les risques d’une mise sous tutelle du FMI ou les comparaisons avec la république hellénique. Explications.
François Bayrou en fait-il trop avec la situation économique de la France ?
La dette, c’est bien sûr quelque chose de sérieux et il faut évidemment qu’on fasse très attention quand on la voit augmenter. Mais il n’y a pas que deux options, soit la faillite, soit tout va bien. Est-ce qu’on est au bord de la faillite ? Est-ce que le FMI est à nos portes ? La dette est-elle un danger mortel pour le pays ? Non. Tout ça, il faut le relativiser. Le Premier ministre tient une position volontairement très exagérée avec de nombreux contresens.
A commencer par sa comparaison avec un ménage surendetté. C’est l’une des bases en économie : on ne compare pas un Etat avec un ménage. L’Etat est « immortel », contrairement à un ménage, et possède donc techniquement l’éternité pour rembourser, pouvant emprunter pendant des siècles. Il peut facilement augmenter ses « revenus », par exemple avec une hausse d’impôts.
Et quitte à faire quand même une comparaison avec les ménages, il devrait aller jusqu’au bout de son exemple. Pour parler du surendettement d’un ménage, on va regarder ses revenus certes, ses dépenses, mais aussi ses actifs. A dette égale, un ménage avec deux appartements et un château ne sera sûrement pas surendetté, contrairement à un ménage sans patrimoine.
Or, l’Insee a montré que les administrations françaises ont plus d’actifs que de passifs. Et on ne parle pas de vendre le château de Versailles ou la Joconde. La France possède juste beaucoup d’immeubles, de terrains, de stock d’or, de participation de l’Etat dans les entreprises privées… On ne peut donc pas être en faillite. Cela va de même avec l’obligation morale de Bayrou, lorsqu’il dit que la seule chose qu’on va laisser à nos enfants, c’est la dette. Non, si on est complet, nos enfants vont aussi hériter des actifs de la France.
Au-delà de la dette pure, François Bayrou évoque la charge de la dette, à savoir l’argent que la France perd en remboursement d’intérêt, sans faire de réelles dépenses publiques…
Oui, payer des intérêts, c’est dommageable, et oui, on a déjà connu mieux comme situation. Mais comparer les milliards entre les époques, cela n’a pas de sens, car un milliard d’aujourd’hui ne vaut pas un milliard d’avant en raison de l’inflation, il vaut mieux comparer entre points de PIB.
Donc les intérêts en 2024 – à peu près 60 milliards – représentent 2,1 points de PIB. Dans l’Histoire, c’est loin d’être un record, on était à 3,6 points de PIB de charge de dette en 1996, sans que l’on soit en faillite. 2,1 points, c’est même sous la moyenne des 30 dernières années, où on est en général de 2,5 points. Selon les projections de l’OCDE, on serait à 2,6 points en 2026, ce qui n’est pas exceptionnel.
C’est mieux quand c’est plus bas, oui, mais à part l’Allemagne avec 1,1 point de PIB, tous les grands pays ont une charge de la dette supérieure. L’Espagne est à 2,4 ; le Royaume-Uni est à 3 points, l’Italie 3,8 points, et les Etats-Unis 4,7 points. Si nous sommes en risque de faillite, alors la plupart des pays le sont aussi.
Une fois encore, ces nuances ne veulent pas dire que la situation économique est bonne. Effectivement, elle se dégrade, mais on n’est pas les seuls. Le vrai problème, c’est la maîtrise des dépenses publiques. Ce n’est pas normal, alors que la France n’est pas en récession, qu’elle possède un déficit de 6 %. Il faut corriger ça.
En quoi cette absence de nuance dans le discours de François Bayrou est-elle problématique ?
Premièrement, à force de hurler à la catastrophe, plus personne n’y croit. Comme quand l’an passé, où le gouvernement annonçait la loi spéciale, les retraites impayées et les cartes vitales ne marchant pas si le budget n’était pas voté. Il y a pourtant bien eu une censure, et, comme tout le monde s’en doutait, rien de tout cela n’est arrivé.
Mais surtout, la peur est contre-productive économiquement. Si on fait croire au ménage que c’est bientôt la fin du monde, que leurs retraites risquent de ne pas être payées, leur réflexe logique est d’épargner. Et la France a aujourd’hui un des pires taux d’épargne (le pourcentage de revenu des ménages placé en épargne). 18,9 points en 2024, alors qu’habituellement, il est de 14,5 points. C’est le reflet de la prudence des consommateurs.
Economiquement, c’est très mauvais. Plus il y a d’épargne, moins il y a de consommation, moins il y a de recette de TVA, moins il y a de carnet de commandes pour les entreprises, moins il y a d’emploi, moins il y a de cotisation… On assèche les recettes publiques avec un discours trop catastrophique.
Le risque encore plus concret, c’est un frein budgétaire trop brutal. François Bayrou propose 44 milliards d’économie, quasiment 1,5 point de PIB retiré soudainement. Un retrait aussi massif et si rapide risque de trop ralentir l’économie française et d’entraîner une récession. Pour être dans les clous européens, la France doit économiser 120 milliards sur cinq ans, soit 24 milliards annuels. Rien n’oblige à une telle hâte.