« On a l’impression que cette direction se prend pour Dieu. » Gérard, ex-opérateur logistique sur la plateforme régionale de Lidl, à Cestas, résume ainsi le sentiment partagé par beaucoup. En CDI depuis quatre ans, il a été licencié en avril 2025. Son cas n’est pas isolé. Entre janvier et juillet de cette année, une dizaine d’opérateurs logistiques en CDI ont été remerciés par l’enseigne de hard discount.

Gérard reprend : il a été victime d’un premier accident du travail en 2023. Une épicondylite, une lésion des tendons de l’avant-bras, due aux gestes répétitifs qu’il accomplit dans l’entrepôt. En avril, « ça lâche de nouveau », explique-t-il. Son médecin lui prescrit un arrêt « en rapport avec un accident du travail », selon le document, jusqu’au 2 juillet. Date à partir de laquelle la médecin préconise un temps partiel pour un mois : « Quatre demi-journées travaillées avec une journée de pause au milieu. »

Licenciés pendant un arrêt maladie

Mais à son retour dans l’entreprise début juillet, Gérard apprend avec surprise qu’il a été licencié le 2 mai. La direction de Lidl avance que sa lettre de licenciement aurait été envoyée à une mauvaise adresse, de même que le courrier de mise en demeure qui lui a été adressé quinze jours plus tard. Quant au motif de son licenciement, la direction lui reproche de s’être absenté un mois de l’entreprise sans justification. Pourtant, l’un des collègues de Gérard atteste par écrit avoir remis les arrêts de travail dans la boîte aux lettres de la direction des ressources humaines d’avril à juin.

Alors qu’en février dernier, une cinquantaine de salariés alertaient sur le risque de multiplication des accidents et des arrêts de travail, deux autres employés de Lidl ont été licenciés au cours d’un arrêt maladie. C’est le cas de Seyna, en arrêt du 26 juin au 31 juillet, dont le contrat est rompu le 22 juillet. C’est par un courrier de France Travail que le quadragénaire apprend qu’il est mis à la porte pour « faute grave ». Comme dans le cas de Gérard, Seyna indique qu’il n’a pas reçu sa lettre de licenciement de la part de Lidl.

Si le licenciement d’un salarié en arrêt de travail par une entreprise peut être considéré comme une discrimination liée à la santé, il n’est pas interdit. Cette situation est néanmoins soumise à des cas exceptionnels, si « son absence perturbe le fonctionnement de l’entreprise, en cas de difficultés économiques, pour motif disciplinaire [ou] pour inaptitude ».

« Comportement négligent »

Des exceptions que la direction de la plateforme logistique invoque régulièrement. Dans le cas de Stéphane, opérateur logistique en CDI, la lettre de licenciement qu’il reçoit le 28 juillet relève son non-respect des horaires de travail et des temps de pause, « démontrant un comportement négligent », selon la direction.

Sur l’enregistrement audio réalisé par Stéphane avec son téléphone portable lors de son entretien préalable au licenciement, le 11 juillet, on entend son responsable lui expliquer pourtant qu’il n’y a « pas de problème sur le nombre de retards ». Avant de lui lister néanmoins les 11 temps de pause qu’il a dépassés de quatre minutes en moyenne, sur deux mois. « Je ne compte même pas les secondes », lui lance son responsable, avant de poursuivre : « Aujourd’hui, tu le sais, on a tous un job d’objectifs de colis portés à rendre. »

Faut-il voir dans cette remarque la cause réelle des déboires de Stéphane et de ses compagnons d’infortune ? L’ex-employé bordelais, comme la quasi-totalité de ses collègues licenciés avant et après lui, a remis en cause ce système d’objectifs à plusieurs reprises.

« Je ne suis pas une machine »

En témoignent deux autres entretiens auxquels il a été convoqué avant son licenciement ; entretiens qu’il a également enregistrés. « C’est normal de ne pas faire l’objectif tout le temps, sinon tu cours comme une bête », insiste-t-il face à un responsable, lors d’une convocation, le 7 janvier. Et d’ajouter : « On parle d’objectifs ou de quotas ? Ça n’a rien à voir. » Un argumentaire qu’il reprend le 24 avril, lors d’une nouvelle convocation : « Arrêtez de jouer avec les mots. L’objectif est-il obligatoire ? Vous ne pensez qu’aux chiffres. Je ne suis pas une machine, il y a des jours où on est bien et des jours où on est moins bien. » Ce à quoi il lui est répondu : « Tu es capable [de tenir les objectifs, NDLR], mais pour moi, tu ne veux pas. Je ne dirai pas pour nous faire chier mais… Ça me rend perplexe. »

Chez Stéphane, comme chez les autres licenciés, le doute subsiste quant au motif réel de leur licenciement. « Ils cherchent la petite bête », estime Mostafa, qui affirme avoir été licencié après avoir demandé à changer d’horaires pendant le ramadan. « Ils n’aiment pas qu’on leur tienne tête. » Laurent (1) et Gérard partagent cette opinion : la direction se séparerait des salariés « qui disent non », « dès que vous parlez un peu trop, que vous haussez le ton ». Désormais salarié d’une autre grande chaîne de magasins, Mostafa, dans le métier depuis dix-sept ans, témoigne : « Ailleurs, on ne nous demande pas d’objectifs par jour. Tant qu’on fait le travail proprement, tout se passe bien. Ce n’est qu’à Lidl que ça s’est mal passé. »

Malgré nos sollicitations, Lidl n’a finalement pas souhaité répondre à nos questions. Au moins un des salariés licenciés va intenter une action aux prud’hommes, tandis qu’un autre réfléchit aux suites à donner à l’affaire.

(1) Le prénom a été changé à sa demande.