Dans l’air de juin passe un fond de prudence, quand même, et c’était sans doute parce que Yoann Gourcuff était passé par là. Le 13 janvier 2009, au surlendemain de son but fantastique face au Paris-SG (4-0), la une de L’Équipe avait célébré « Le successeur », avec la photo de Yoann Gourcuff en action, et le portrait de Zinédine Zidane en arrière-plan. Bien sûr, à l’intérieur, les nuances étaient présentes dans les différents papiers, ainsi que dans ce mot de notre chroniqueur de l’époque pour la Ligue 1, Christophe Dugarry : « Ce qu’il a réussi en six mois, Zizou l’a fait pendant seize ans. »

Mais lorsque Marvin Martin débute en équipe de France en entrant en jeu en Ukraine (4-1), le 6 juin 2011, dans un match amical à un an de l’Euro, inscrit deux buts et fait une passe décisive en un quart d’heure, il est impossible de ne pas rappeler la première sélection de Zidane à Bordeaux, face à la République tchèque (2-2), et son doublé en entrant en jeu, le 17 août 1994. Le milieu de terrain offensif de Sochaux a 23 ans, et dans cette équipe de France qui se reconstruit sur les ruines de Knysna avec les principes de Laurent Blanc et de Jean-Louis Gasset, tous les nouveaux symboles sont bons à prendre, moins d’un an après qu’une génération a refusé de descendre d’un car pour s’entraîner.

Le lendemain de l’événement, sous le poids de l’expérience ou d’une autre actualité, le journal ne conçoit pas la même une que pour Gourcuff, deux ans et demi plus tôt. Martin y est en photo sous le titre « 4 minutes de soleil en plus » et le titre du « jeu et joueurs » n’est pas forcément à prendre au premier degré, enfin pas complètement (« Martin mieux que Zidane »), même si avec deux buts et une passe décisive, c’est factuel, le Sochalien a ajouté quelque chose au bilan de la première sélection du maître. Le surlendemain, on joue encore sur la filiation, d’autant qu’il est absolument impossible de résister à la double initiale (« MM comme ZZ »), mais la une, un petit titre de haut de page (« Martin réveille les Bleus »), redimensionne les attentes. La fin de l’histoire, déjà : même très atténuées, elles seront beaucoup trop grandes en regard de la suite du parcours chaotique du joueur, qui commencera à perdre son influence et sa confiance à partir de sa signature à Lille, à l’été 2012.

Au fil de 15 sélections, dont 22 minutes à l’Euro 2012, il se situera toujours assez loin de cet éblouissement originel, après avoir été trois fois titulaire lors de ses cinq premières capes, mais seulement une fois lors des dix suivantes, restant définitivement à ces deux buts lors de son premier quart d’heure international.

« Je sais qu’on va faire la comparaison avec Zinédine. Je souhaite donc à Marvin qu’il fasse la même carrière que lui »

Laurent Blanc, sélectionneur des Bleus, après le match contre l’Ukraine

Il pourra dire, quand même, avoir vu arriver Didier Deschamps, puisque sa dernière apparition avec les Bleus remonte à la première de l’actuel sélectionneur contre l’Uruguay (0-0), au Havre, le 15 août 2012. Mais comment faire mieux que le 6 juin 2011, à Donetsk ? Il avait passé 17 minutes sur le terrain, réussi ses neuf passes, marqué deux buts en trois tirs et réussi une passe décisive en tirant un seul corner sur la tête de Younes Kaboul, un autre débutant du jour. Cela avait rappelé Zidane, mais cela aurait pu également rappeler Bafé Gomis, qui avait inscrit un doublé pour ses débuts contre la Colombie à Grenoble (2-0), en préparation de l’Euro 2008, et qui n’avait marqué qu’un but lors de ses onze sélections suivantes.

Ce jour-là, en rentrant dans le vestiaire de Donetsk, Martin avait été applaudi par les autres, et Laurent Blanc, c’était son boulot et son expérience, avait à la fois atténué et encouragé le bonheur d’un joueur discret : « Je sais qu’on va faire la comparaison avec Zinédine. Je souhaite donc à Marvin qu’il fasse la même carrière que lui. Avant le match, je lui avais dit, à lui et à Younes (Kaboul), qu’on se rappelle toujours sa première et de sa dernière sélection. Ils n’ont pas manqué la première. Ils s’en souviendront toute leur vie. »

Axelle Red, « petit Xavi » et 2 080 jours sans marquer

Il avait reçu le fanion du match, après coup, au Donbass Hotel tout près du stade, où il partageait la chambre d’un autre produit du centre de formation de Sochaux, Jérémy Ménez, il avait chanté du Axelle Red pour son intronisation, en adaptant les paroles à sa découverte de l’équipe de France, et avait prononcé des mots rafraîchissants et sages à la fois : « Je ne me suis pas vraiment rendu compte de tout ce que je vivais. J’étais sur mon petit nuage, comme dans un rêve. C’est le plus beau moment de ma jeune carrière et cette sensation restera éternelle. Il faut savourer, mais ne pas s’enflammer. J’ai marqué, c’est bien, mais je ne suis qu’au début du chemin. »

Il était difficile d’imaginer qu’il n’était pas si loin du bout, non plus. Les médias n’avaient pas été les seuls à s’emballer, il y avait eu Karim Benzema, aussi : « C’est facile d’évoluer avec lui, car il sent le jeu. Dans sa disponibilité, son sens de la passe, Marvin me fait penser à Iniesta ». Il était déjà surnommé « le petit Xavi » à Sochaux, mais sortait, il est vrai, d’une saison à 17 passes décisives qui avait fait de lui le meilleur passeur de la Ligue 1.

Il resterait un an de plus à Sochaux, peut-être un an de trop, avant de filer à Lille, de tripler son salaire, et de souffrir à rester un joueur de très haut niveau, malgré quelques éclairs, victime des attentes, notamment, d’une discrétion qui le poussait à ne même pas tirer les coups de pied arrêtés pour lesquels il était désigné, pour les laisser à plus gourmand que lui, et de quelque chose d’un malentendu : après son doublé à Donetsk, il ne marquerait plus jamais en Ligue 1, en 83 matches, et attendrait 2 080 jours pour redevenir buteur, avec Reims, en novembre 2017 contre Auxerre en Ligue 2 (2-0). Mais longtemps après, et alors qu’il aimait assez le foot pour finir à Hyères, en National 2, à 35 ans, il faut, aussi, définir la déception : un jour de gloire et quinze sélections en bleu, beaucoup ne sont pas montés si haut.