Son disque Man’s Best Friend, paru vendredi, montre la pop star à genoux, soumise à un homme qui la tient par les cheveux. De quoi susciter des débats et des réactions houleuses sur la toile. Féministe, pas féministe ?

Sabrina Carpenter, c’est Hibernatus en beaucoup plus sexy. Elle se réveille vraisemblablement d’un long sommeil qui l’a maintenue loin des évolutions de la société contemporaine. La preuve avec la pochette de son dernier album. Poser à moitié nue, en 2025, dans une attitude suggestive qui met en scène une soumission érotique ? Taylor Swift, sa grande amie qui dévoilera prochainement un titre enregistré avec elle, n’y aurait pas pensé. Mais le nouveau phénomène de la pop électro n’a peur de rien, et surtout pas de marquer les esprits.

Le nom de ce dernier disque indique sa liberté de ton : Man’s Best Friend. En français, « la meilleure amie de l’homme ». Elle y revisite avec dérision l’amour au temps de Snapchat. Les garçons immatures, les chagrins dilués dans des cocktails, les « coups d’un soir » qui s’éternisent… Les clips de cette chanteuse qui aime emprunter à l’univers des pin-up jouent la carte des seventies ou de l’esthétique du cinéma indépendant américain.


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L’héritage de Madonna

Diffusée dès le mois de juin, la pochette a agité la toile. Certains internautes l’ont qualifiée de « dégradante » pour l’image de la femme. Pour s’éviter une trop grande polémique, la vedette a décidé de proposer un visuel alternatif. « Approuvé par Dieu », précisait-elle, avec un sens de l’humour qui a fait sa réputation. Elle y imite Marilyn Monroe, beauté instable et fatale.

Carpenter s’inscrit dans les pas des pop stars à la sensualité affichée, de Madonna à Kylie Minogue. Plus de quatre décennies après Like a Prayer qui avait défrayé la chronique, elle a fait d’une église le théâtre d’une ode au célibat, dans Feather. Sur une publicité de la marque Skims, l’Américaine est apparue pouponnée, en sous-vêtements et au téléphone. Un cliché qui rappelait la couverture de Rolling Stones, datant de 1999, qui a rendu célèbre Britney Spears.

Si elle ne se cantonne pas à ces sujets, l’artiste devenue célèbre grâce au titre Espresso s’attarde sur les relations sentimentales. Jusqu’à mimer sur scène des positions sexuelles pour accompagner son titre Juno. Elle chantonne : «Tu veux essayer des positions un peu folles ? / As-tu déjà essayé celle-là ? ». En concert, elle s’amuse aussi à menotter des fans présents dans le public. Ils sont « too hot », dit-elle. Quant au vestiaire, les tenues les plus courtes sont les meilleures.

Si vous ne pouvez pas supporter une fille qui est à l’aise avec sa sexualité, ne venez pas à mes concerts

Sabrina Carpenter au tabloïd britannique The Sun

Féministe, pas féministe ? Ses faux airs de Lolita font tiquer de l’autre côté de l’Atlantique, où elle a reçu deux Grammy Awards cette année. Dans le New York Times, Andi Zeisler, spécialiste de l’émancipation féminine vue à travers la pop culture, pose le problème en ces termes : « [Son] ambiguïté devient encore plus troublante lorsqu’elle est mise en regard d’un mouvement conservateur qui valorise les filles et femmes blanches traditionnellement belles, qui encourage à se marier jeunes et à procréer, tout en incitant à la privation des droits de celles qui font d’autres choix. » 

Comprendre: Sabrina Carpenter rendrait trop service aux « tradwives », ces femmes qui s’inscrivent volontairement dans une vision conservatrice du couple. Mais plus loin dans sa tribune, l’essayiste estime finalement que la native de Quakertown, en Pennsylvanie, est une « vaudevillienne chevronnée » qui « privilégie toujours une vision du sexe et de la sexualité où le désir de la femme apparaît au premier plan ». Tout est sauvé.


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«Une humoriste dans l’âme»

L’ancienne actrice de films Disney ne dit pas autre chose en interview. « Mon message a toujours été clair : si vous ne pouvez pas supporter une fille qui est à l’aise avec sa sexualité, ne venez pas à mes concerts », affirmait-elle dans le Sun, en janvier dernier, en réponse aux critiques d’un trio de producteurs britanniques.

« Les artistes féminines ont toujours été humiliées. Dans les années 2000, c’était Rihanna, dans les années 1990, Britney Spears, dans les années 1980, Madonna. Maintenant, c’est moi », insistait Carpenter, qui assimile sa sensualité à une liberté. Et non à une influence délétère du patriarcat ou de la saga Cinquante nuances de Grey .

Si l’on met à part des rappeuses comme Cardi B qui en proposent une version tapageuse, force est de constater que son discours sur le désir féminin la singularise dans l’univers de la pop. Sabrina Carpenter se transforme progressivement en double fougueux de la sage Taylor Swift, cet artiste qui plaît aux ados sans faire peur aux parents.

Elle n’ignore sans doute pas que cette réputation attise sa notoriété. La pochette de Man’s Best Friend a été largement relayée dans les médias et sur les réseaux sociaux. La vingtenaire jouerait ainsi avec son image. En usant, selon Variety, magazine américain spécialisé dans le divertissement, d’un vrai second degré : « Aussi difficile à croire à ce stade, tout le monde ne saisit pas encore que Carpenter mijote quelque chose de bien plus rusé et intelligent que d’être une simple icône glamour. Difficile de ne pas remarquer qu’elle est une humoriste dans l’âme (…) »

En juin dernier, dans le magazine Rolling Stone, l’intéressée se plaisait à renvoyer les fans et les commentateurs à leurs propres responsabilités : « Les gens disent : ‘Tout ce qu’elle fait, c’est chanter là-dessus (la thématique sexuelle, NDLR).’ Mais ce sont les chansons que vous avez rendues populaires. Clairement, vous adorez le sexe. Vous êtes obsédés ! »