Nicolas Barotte, journaliste spécialiste des questions de défense au Figaro, est l’invité du « 10 minutes info » de franceinfo jeudi 4 septembre. Accompagné en plateau par François Beaudonnet, éditorialiste international franceinfo TV, il revient sur les tensions avec la Russie que provoquerait le déploiement de troupes européennes en Ukraine, alors que ce jeudi, les alliés européens se réunissent à Paris avec Volodymyr Zelensky.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l’interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.

Jean-Baptiste Marteau : La Russie a averti ce matin qu’elle refuserait de discuter d’une quelconque intervention étrangère en Ukraine, quelle qu’en soit la forme. Là, on voit que c’est vraiment la ligne rouge pour Moscou, cette aide, présence étrangère sur le sol ukrainien.

Nicolas Barotte (Journaliste spécialiste des questions de défense au Figaro) : Oui, c’est toute la complexité du moment. Poutine refuse les troupes européennes sur le sol ukrainien. On sent bien que ce déploiement, ces garanties, sont suspendues au bon vouloir de Donald Trump, qui est un peu le garant ultime. La plupart des Européens, hormis les Français et les Britanniques, tous les autres demandent, exigent, veulent que Trump leur offre une réassurance et les protège en cas d’escalade. L’idée, aujourd’hui, il s’agit surtout de montrer à Zelensky, aux Ukrainiens, que les Européens sont déterminés à le soutenir dans la durée. Fournir de l’aide à l’Ukraine dans la durée, c’est l’élément clé.

On voit bien que Moscou n’en veut pas pour l’instant, c’est une ligne rouge. Mais l’objectif des Européens aujourd’hui, c’est d’abord de convaincre Donald Trump, c’est lui qu’il faut convaincre en numéro un ?

François Beaudonnet (Éditorialiste international franceinfo TV) : En fait, je crois que c’est un peu le serpent qui se mord la queue. Parce que les Européens n’iront pas tant qu’ils n’ont pas ce qu’on appelle le backstop, c’est-à-dire le filet de sécurité américain. Donald Trump n’est pas très clair là-dessus, il dit que ce qui est sûr, c’est qu’il ne veut pas envoyer de troupes au sol, ça c’est certain. Après, il est peut-être prêt à aider, par exemple, avec une surveillance aérienne, avec des renseignements, etc.

Ce serait du renseignement, du soutien logistique ?

François Beaudonnet : Oui, ça pourrait être ça. Alors, est-ce que ça va suffire aux Européens ? Parce que l’idée du filet de sécurité, c’est que si jamais les forces européennes qui seraient présentes sur le sol ukrainien ne suffisaient pas à faire face, par exemple, à une nouvelle invasion russe, alors à ce moment-là, ça veut dire que les Américains, avec ce filet de sécurité, interviendraient. Donc, est-ce qu’un filet de sécurité, c’est juste du renseignement et un appui ? Est-ce que c’est suffisant ? On ne sait pas. Donc, effectivement, il va y avoir deux parties dans cette journée. D’abord, cette réunion ce matin à l’Élysée qui portera davantage sur les garanties de sécurité en elles-mêmes. Et puis, cet après-midi, cette discussion avec Donald Trump où, là, il sera plutôt question de savoir si Donald Trump va ou non mettre de nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie.

Le problème, c’est qu’il faut d’abord se mettre d’accord entre Européens, entre alliés, ces fameuses coalitions de volontaires. On a certains pays comme la France, le Royaume-Uni, qui n’excluent pas d’envoyer des troupes une fois qu’il y aura cessez-le-feu. D’autres pays comme l’Allemagne n’en ont pas envie.

Nicolas Barotte : On voit bien quel est l’état des armées en Europe. C’est qu’en réalité, hormis la France et le Royaume-Uni, la plupart n’ont pas d’armées prêtes à être déployées. Les Allemands, en l’occurrence, ont beaucoup de contraintes constitutionnelles. C’est très compliqué pour le chancelier Merz de dire : « J’envoie des troupes. »

C’est juste parce qu’ils n’ont pas les troupes ni les moyens ou parce qu’ils ne veulent pas politiquement intervenir militairement sur le terrain ukrainien ?

Nicolas Barotte : Il y a une conscience au niveau du gouvernement fédéral qu’il y a une nécessité. Ils sont très lucides, mais ils ne peuvent pas envoyer leurs troupes dans des zones de combat. Leur coalition n’en veut pas, parce que le SPD, notamment, est extrêmement réticent. Et surtout, ils n’ont pas forcément les matériels qui seraient nécessaires pour un tel déploiement. Il y a un tel retard, en fait, dans les armées européennes en termes de capacité.

François Beaudonnet : Pour répondre à votre question, pour les Allemands en particulier, ils veulent investir énormément dans leur armée, mais pour l’instant, ils ont une armée qui est quand même assez inopérante, il faut bien le dire. Et puis, historiquement et culturellement, on sait que les Allemands n’ont pas envie, et l’opinion allemande n’a pas envie d’envoyer leurs troupes quelque part sur le continent européen.

C’est déjà un vrai tournant que l’Allemagne commence à se réarmer ?

François Beaudonnet : C’est une révolution pour eux. Mais de là à envoyer des troupes dans les semaines ou les mois qui viennent en Ukraine, je crois que ça va trop loin pour l’opinion allemande. Et après, vous avez effectivement différents types de pays. Il y a ceux qui n’ont pas les moyens. On estime qu’il faudrait 100 000 hommes. Ceux qui peuvent envoyer le plus de monde, ce sont les Britanniques et nous, les Français. C’est 1 000 km de front. Il faut 100 000 hommes. On pourrait en mettre aux alentours d’une vingtaine de milliers. Il y a un problème capacitaire et un problème de volonté, parce qu’il y a la peur de cette escalade. Et la réaction du Kremlin est quand même très menaçante, puisqu’ils disent que ce sont des garanties de menaces sur le continent européen.