À la veille d’une réunion clé à Bruxelles sur la norme Euro 7, Michelin appelle l’Union européenne à privilégier des tests d’usure de pneus en conditions réelles. Derrière cette bataille technique, où le groupe français s’oppose notamment à son rival japonais Bridgestone, se joue un enjeu de santé publique, d’environnement… et de compétitivité industrielle.
À quelques heures d’une réunion décisive à Bruxelles, Michelin hausse le ton. Son président, Florent Ménégaux, a appelé la Commission européenne à privilégier des tests d’usure de pneus en conditions réelles de circulation, plutôt que des simulations en laboratoire. Derrière ce débat technique se cache un enjeu industriel et environnemental pour les années à venir.
Des enjeux industriels et stratégiques
La future réglementation Euro 7, en cours d’élaboration, va pour la première fois en Europe imposer des limites aux émissions de particules générées par l’usure des pneus. Ces microparticules, issues à la fois du caoutchouc et de l’asphalte, représentent une source de pollution longtemps négligée. Elles s’infiltrent dans l’air que l’on respire, mais aussi dans les sols et les nappes phréatiques, avec des impacts potentiels sur la santé humaine et l’écosystème.
Pour l’Union européenne, il s’agit d’un nouveau champ de régulation après les gaz d’échappement. À l’horizon 2028, les pneus commercialisés sur le marché européen devront respecter des seuils précis de particules émises.
C’est sur la façon de mesurer cette usure que le désaccord se cristallise. Michelin milite pour des tests sur route, jugés plus représentatifs, quand d’autres acteurs (notamment le japonais Bridgestone) défendent des essais standardisés en laboratoire, sur des dispositifs simulant l’abrasion.
« Une roue de laboratoire recouverte de papier de verre ne peut en aucun cas refléter la complexité de l’usage réel », affirme Florent Ménégaux. Selon lui, ces méthodes permettent de « justifier n’importe quel type de performance », au risque de laisser entrer sur le marché des produits de mauvaise qualité.
Le groupe clermontois assure travailler sur le sujet depuis des décennies, avec plus de 100 millions d’euros investis depuis 2005 et de nombreux brevets à la clé. Mais il dit n’avoir jamais trouvé de corrélation fiable entre les résultats obtenus en laboratoire et l’usure observée sur route.
Une norme encore trop permissive ?
Au-delà de la protection de l’environnement, l’affaire illustre aussi et surtout une lutte d’influence entre géants du pneumatique. La méthode de test choisie par Bruxelles déterminera non seulement quels pneus seront autorisés à la vente, mais aussi quelles technologies seront valorisées.
Pour Michelin, qui s’est engagé dans une stratégie de différenciation sur la durabilité et l’innovation, un protocole trop permissif pourrait gommer les avantages de ses investissements et niveler le marché par le bas.
« Nous sommes à un tournant stratégique pour l’Europe », insiste son dirigeant. « Euro 7 est une bonne réglementation, mais si elle repose sur des méthodes mal calibrées, elle pourrait se transformer en contrainte inutile, sans bénéfice réel pour l’environnement ni pour l’industrie. »