Sélectionnée pour le Showroom d’Art-o-rama 2025 par Yasmine d’O. et Saâdane Afif, commissaires de cette édition, Juliette George a logiquement remporté le Prix Région Sud Art 2025, décerné par un jury composé des galeristes et éditeurs présents au salon.

Quelques jours avant l’ouverture, Juliette George résumait ainsi sa proposition sur les réseaux sociaux :
« Avoir la foire. Avoir peur.
Alors que je réfléchissais au contexte de ce prix, j’ai lu ça dans un dictionnaire d’étymologie.
Flux de ventre. Avoir la foire. Avoir peur.
J’arrêtais pas de me le répéter.
Avoir la foire c’est aussi avoir peur, je me disais. Peur d’échouer.
Ça résonnait avec ce contexte et avec un autre, bien plus vaste ».

Juliette George - Feria & Foria pour le Showroom Art-o-rama 2025

Juliette George avec Catherine Bastide et une petite lectrice – Feria & Foria pour le Showroom Art-o-rama 2025

Feria & Foria, écrit-elle, « une bibliothèque de l’échec, sur un podium inversé, une assise douce, constituée grâce à l’aide de quelques personnes que je remercie chaleureusement de m’avoir fait lire cet été ».

Juliette George - Feria & Foria pour le Showroom Art-o-rama 2025. Photo Art-o-ramaJuliette George – Feria & Foria pour le Showroom Art-o-rama 2025. Photo Art-o-rama Margot Montigny

« Trois niveaux de sol, renvoyant aux trois degrés d’un podium de victoire, courent sur toute la largeur du stand de quatre mètres par quatre que lui a attribué Art-o-rama. Couverts d’une moquette brune, ils forment une sorte d’assise. Une bibliographie, inscrite au crayon de la main même de l’artiste sur une simple feuille de papier A4 bleutée, est punaisée au mur.

Juliette George - Feria & Foria pour le Showroom Art-o-rama 2025Juliette George – Feria & Foria pour le Showroom Art-o-rama 2025

À peu près à l’aplomb, une pile de livres est posée sur la moquette. Dans un coin, la présence d’un gratte-dos au sens indéfini rappelle qu’une forme littéraire est peut-être possible “par-delà l’encre et le papier” et invite le visiteur dubitatif à prendre place sur ce vaisseau pour méditer sur ses propres échecs, mais également sur ceux, collectifs et bien plus inquiétants, qui semblent mener notre monde à la catastrophe – car “avoir la foire, c’est aussi avoir peur” ».. Comme l’écrivait son côté Yasmine d’o. dans un texte qui accompagnait l’installation de Juliette George et que l’on reproduit ci-dessous.

Juliette George - Feria & Foria pour le Showroom Art-o-rama 2025Juliette George – Feria & Foria pour le Showroom Art-o-rama 2025. Photo : Margot Montigny

Installation d’une rare intelligence, Feria & Foria s’est imposée comme l’une des propositions les plus marquantes de cette 19ᵉ édition d’Art-o-rama. Un projet qui renouait avec l’esprit d’Art Dealers, et constituait sans doute le plus bel hommage à la mémoire de Roger Pailhas.

Avec cette installation et ce prix, Juliette George s’impose encore un peu plus comme une des artistes majeures de la jeune scène artistique. On avait découvert son travail avec Soixante-deux vœux français présentés dans « La Relève 4, Veiller » au Château de Servières en 2022, avant de la retrouver parmi les « Career Girls » réunies par Margaux Bonopera et Elsa Vettier chez les Mécènes du Sud Montpellier-Sète.

On se souvient aussi de l’exposition de fausses œuvres d’artistes célèbres par cinq résidentes d’un EHPAD rebaptisé avec malice Establishment for High Post-Art Donation pour « Rouvrir le monde – La restitution » au Château de Servières en 2023, ou encore de « Sympathies n° 1 » à la suite de sa résidence de création au 3bisF en 2023/2024. Elle a par ailleurs présenté ses Poèmes du capital à l’espace Niemeyer, collaboré avec Julia Marchand pour le Pavillon géorgien lors de la dernière Biennale de Venise, et multiplié les projets où humour, critique sociale et poésie se croisent.

On attend avec curiosité l’exposition qu’elle présentera en tant qu’artiste invitée lors de la prochaine édition d’Art-o-rama, ainsi que la publication annoncée à cette occasion. En attendant, son actualité dans le Midi et ailleurs restera à suivre de près.

En savoir plus :
Consulter le dossier de Juliette George sur documentsdartistes.org
Suivre son actualité sur Instagram
Lire sa conversation avec l’équipe du 3BisF lors de sa résidence de création

Feria & Foria de Juliette George par Yasmine d’o.

« There is a possibility of a literature that is beyond print and paper, and pro-bably this is where I hope to be ». Dominique Gonzalez-Foerster « TH 2058 »
« Là ou ça sent la merde ça sent l’être. » Antonin Artaud La recherche de la fécalité (1948)
« bide, raté, fiasco, flop ou four, achopper, avorter, capoter, craquer, crouler, s’écrouler, s’effondrer, faire long feu, tomber à plat. Familier : faire chou blanc, faire fiasco, faire un flop, finir en eau de boudin, louper, rater, tomber à l’eau, tomber dans le lac. Populaire : finir en couille, merder, partir en couille ». Dictionnaire des synonymes.

Foire, foirade, foiré, échouer. Avec Feria & Foria, Juliette George nous invite à la suivre dans une dérive littéraire menée dans les méandres de la notion d’échec.
Un sujet inspiré par une suite d’associations de mots et quelques coïncidences que n’aurait pas boudées Raymond Hains et ses Macintoshages. Aux aguets, attentive aux signes, Juliette George a d’abord puisé avec méthode dans son expérience immédiate de jeune artiste, invitée pour la première fois à présenter son travail dans le cadre d’une « foire (feria) », pour naviguer, de rocher en écueil, vers la peur de « foirer (foria) » et finir par s’échouer – Eureka ! – sur la vaste et insondable question de « l échec ».
Ainsi, de « foire » – manifestation commerciale périodique – à « échec » – résultat négatif d’une tentative, d’une entreprise » – en passant par « foirer » – évacuer des excréments liquides ; mal fonctionner, rater, échouer lamentablement – la messe était dite son « show-room » serait foireux.
Dès lors, c’est avec l’enthousiasme de celle qui a une bonne nouvelle à annoncer que Juliette George s’est mise en quête de son sujet, demandant aux membres d’un réseau informel et complice de lui donner la référence d’un livre qui, selon eux, traite de l’échec. Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain, Moby Dick, Bréviaire des vaincus, L’Œuvre au noir, Les Météores. Une première poignée d’ouvrages émerge de cette recherche, autant de balises précieuses dans cette cartographie de l’incertain, qui deviendront le socle d’une installation in situ, rigoureuse et minimale.
Trois niveaux de sol, renvoyant aux trois degrés d’un podium de victoire, courent sur toute la largeur du stand de quatre mètre par quatre que lui a attribué Art-o-rama. Couverts d’une moquette brune, ils forment une sorte d’assise. Une bibliographie, inscrite au crayon de la main même de l’artiste sur une simple feuille de papier A4 bleutée, est punaisée au mur. À peu près à l’aplomb, une pile de livres est posée sur la moquette. Dans un coin, la présence d’un gratte-dos au sens indéfini rappelle qu’une forme littéraire est peut-être possible « par-delà l’encre et le papier » et invite le visiteur dubitatif à prendre place sur ce vaisseau pour méditer sur ses propres échecs, mais également sur ceux, collectifs et bien plus inquiétants, qui semblent mener notre monde à la catastrophe – car « avoir la foire, c’est aussi avoir peur ».

Yasmine d’o., Berlin, August 2025