De quel texte s’agit-il ? Premières négociations entamées il y a vingt-cinq ans avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay jusqu’ à cette mouture validée par la Commission, avec semblerait-il des clauses de sauvegarde de nature à rassurer la France.
Une clause de sauvegarde prévoit d’instaurer un contrôle en temps réel dès que l’accord commencera à s’appliquer sur les volumes de marchandises importées du Mercosur ainsi que sur l’évolution de leurs prix. Un contrôle en temps réel qui, en cas de dérapage constaté, permettra de suspendre momentanément les importations dans la filière concernée, d’enquêter sur d’éventuelles distorsions de concurrence et de rééquilibrer la situation. Un mécanisme « robuste » selon  les diplomates qui ont été à la manœuvre cet été pour négocier ce protocole additionnel salué par les États membres, comme l’Italie, qui se félicite de l’inclusion d’un paquet de garanties supplémentaires pour la protection des agriculteurs européens.

Le gouvernement français se réjouit pour sa part que l’Union européenne ait entendu les réticences françaises tout en expliquant avoir besoin de temps pour analyser cette clause de sauvegarde introduite aujourd’hui.
Les premières réactions au Parlement européen sont au contraire très réservées, tous bords politiques confondus, car il reste, selon beaucoup d’eurodéputés, des zones d’ombre sur cette clause de sauvegarde. Quand sera-t-elle activée ? Selon quels critères précis ? Elle vise à répondre aux inquiétudes sur le niveau des volumes d’importations, mais pas à celle sur les écarts de normes de production agricole entre l’Union européenne et le Mercosur. Enfin, il y a aussi le risque que le Mercosur invoque d’autres clauses du traité qui lui permettrait d’obtenir des compensations en cas de restrictions à l’export. Le sujet s’annonce explosif politiquement. Dans les prochaines semaines, l’accord sera soumis à la validation des Etats membres et du Parlement européen d’ici la fin de l’année. Afin d’apaiser les inquiétudes, la Commission européenne souligne pour sa part que l’accord dans sa nouvelle version sera plus protecteur pour les filières européennes, qui pourront par ailleurs exporter plus facilement en direction du Mercosur.

Prenons la mesure des mécontentements des organisations syndicales.  La Coordination rurale dénonce une « trahison » et des mesures de protection fantoches.
Sa présidente, Véronique Le Floch, accuse la Commission d’exposer l’agriculture européenne à la concurrence déloyale des produits sud-américains en échange d’exportations industrielles : « On se sent trahis parce que dès le début, au lieu de dire, on ne veut pas de cet accord en l’état, il fallait dire, on ne veut pas de cet accord tout court. Le rouleau compresseur, il avance et l’agriculture va se faire broyer au nom des intérêts de financiers, de grands groupes. Pour la pharmacie, pour l’automobile, ce n’est pas acceptable. On ne mange pas de tous ces services là ou de ses produits. Et nous, on fera tout pour justement faire en sorte que l’agriculture soit définitivement exclue de tous ces accords de libre-échange. C’est plus possible. »

« Les garanties sur la réciprocité des normes de production ne sont pas apportées » selon Arnaud Rousseau, président de la FNSEA

La FNSEA et les Jeunes agriculteurs dénoncent un accord « toxique ». A leurs yeux, la Commission européenne, en validant ce texte, je cite  » tourne le dos à son agriculture « . Quentin Le Guillou est le secrétaire général des Jeunes Agriculteurs : « Tous ces petits accords qu’on pourrait trouver entre deux sur des clauses de sauvegarde, ou encore des  clauses miroirs ou peu importe les noms qu’on peut donner, on sait que c’est impossible à mettre en place.  Qui pourra aller contrôler? Personne. Ce sera seulement sur la bonne foi des exportateurs. Nous, on appelle aujourd’hui à Emmanuel Macron et à son gouvernement à  rester sur le « non » ferme. Il n’y aura pas de Mercosur, que ce soit en l’état ou plus tard. De toute façon, vu l’état du monde agricole français et européen. Pour l’instant, nous ne demandons plus aucun traité de libre -échange, notamment avec des pays qui aujourd’hui ne respectent pas du tout les normes françaises et encore moins européennes. »

La Confédération Paysanne a choisi Bruxelles pour témoigner de son hostilité à l’encontre de cet accord à la faveur d’un rassemblement devant le Parlement européen. L’un des agriculteurs  présent à ce rassemblement travaille dans une ferme biodynamique, ici en Belgique. 
 : « Le sujet, c’est les normes. Les agriculteurs belges ont des normes, même si elles sont discutables, elles sont toujours meilleures que ce qui va nous tomber dessus quoi. Moi, je pense à l’alimentation de mes petits enfants. Les poulets vont devenir encore plus blancs, plus insipides, si ils sont blindés d’antibiotiques et de trucs. »

Les producteurs français de viande, de sucre, de bio-carburants ou encore de céréales, premiers secteurs menacés par l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur appellent la France à respecter son engagement contre ce traité.
« La France doit rester fidèle à la parole donnée aux filières agricoles  et entraîner ses partenaires européens dans une coalition de blocage capable d’empêcher la ratification et la mise en œuvre » du texte, proposé mercredi par la Commission européenne, réclament-ils dans un communiqué commun.

En réalité, rien n’est encore acquis puisque le texte désormais être approuvé non seulement par le Parlement mais aussi par le Conseil européen c’est-à-dire les différents gouvernements du bloc communautaire, soit à la majorité des 27.

Charlotte Emlinger, économiste spécialiste de politique commerciale au Centre d’études prospectives et d’informations internationales.  Eléments de contexte et précisions sur cet accord :  » C’est un accord qui vise à réduire les droits de douane entre les pays du Mercosur et l’Union européenne. Donc c’est une baisse importante des droits de douane pour les produits manufacturés, mais également pour des produits agricoles, mais pour les produits agricoles sensibles, donc le bœuf, la volaille, l’ail et le sucre. Ce qui a été négocié auparavant, c’est qu’il y ait des quotas. C’est à dire que ces réductions de droits de douane ne s’appliquent que pour un certain montant. Donc il y avait déjà eu une opposition forte. Donc les mesures de sauvegarde, qu’est ce que c’est? C’est le fait que, quand on observe sur le marché européen des perturbations de marché, c’est à dire des fortes importations d’un produit où des variations importantes de prix, dans ce cas là, de manière temporaire, l’Union européenne puisse fermer ses frontières. Enfin, remettre les droits de douane initiaux pour protéger ces producteurs. »

« L’ouverture des marchés, c’est sur une quantité très faible « 

Charlotte Emlinger : « Ce qu’il faut comprendre, c’est que ces mesures de sauvegarde étaient déjà initialement dans l’accord, là, ce qui a été rajouté, c’est le fait que les perturbations de marché  soient observées que sur un pays, c’est à dire,  si en France, il y a un problème, par exemple sur le secteur du bœuf, dans ce cas là, on pourra réduire les importations de bœuf au niveau européen.
Donc ça nécessite effectivement un monitoring important de surveillance du marché européen pour voir ces perturbations. Après, savoir si c’est suffisant, il faut quand même rappeler que l’ouverture des marchés est sur une quantité très faible. Exemple, s’agissant du bœuf, la libéralisation liée à l’Accord avec le Mercosur, c’est 99 000 tonnes de bœuf, donc c’est 1,2 % de la consommation européenne. Donc il y a quand même peu de chances que cet accord perturbe les marchés. Donc si on rajoute en plus des mesures de sauvegarde, c’est quand même des garanties importantes pour ces secteurs sensibles que sont le bœuf, la volaille ou le sucre. »

La difficulté, les normes environnementales et les contrôles aux frontières

Charlotte Emlinger : « Effectivement, une grande partie de l’opposition à l’accord avec le Mercosur est liée à cette concurrence déloyale qui serait liée au fait que les normes de production sont différentes dans les pays du Mercosur et dans l’Union européenne. Il faut quand même rappeler que dans l’accord, il n’y a pas de mesures qui portent sur les normes. C’est à dire qu’effectivement ce qui est interdit dans l’Union européenne est toujours interdit. Le bœuf aux hormones est toujours interdit. Et le vrai enjeu, et vous l’avez dit, le contrôle. Mais pour moi, c’est quelque chose qui dépasse largement la question du Mercosur, à savoir si on contrôle bien aux frontières de l’Union européenne, est indissociable des questions avec qui on signe des accords. Il y a des contrôles sur certains enjeux comme le bœuf aux hormones. On contrôle et ça marche bien. Il y a d’autres secteurs, d’autres sujets, en particulier les normes environnementales au niveau des fermes qui sont plus difficiles à contrôler parce qu’il faudrait contrôler au niveau des fermes en Argentine, comment on produit, est ce qu’on fait attention aux cours d’eau ? Et ça, c’est quelque chose qui est plus difficile à vérifier aux frontières. »

Des eurodéputés ont déjà annoncé leur intention de saisir la cour de justice de l’Union européenne pour essayer de bloquer le processus de ratification, parmi lesquels, Pascal Canfin : « Si on prend l’exemple des néonicotinoïdes, l’Europe s’apprête l’année prochaine à en interdire deux de plus, il se trouve que ces deux néonicotinoïdes sont utilisés au Brésil, on peut donc penser que l’interdiction de ces néonicotinoïdes va faire diminuer les importations en provenance du Brésil » détaille-t-il avant d’ajouter « Si l’accord Mercosur était en place, ça donnerait la possibilité légale au Brésil de demander des compensations financières aux pays européens ».
« La saisine, on va la demander, nous devons obtenir une majorité dès le mois d’octobre, donc dans un mois, nous aurons un vote au Parlement européen pour, je l’espère, soutenir cette saisine. Si elle est soutenue par une majorité au Parlement européen, alors elle sera suspensive, ce qui entraînera l’arrêt du processus de ratification le temps que la Cour de justice statue », ajoute l’eurodéputé. »