Comme le levain, elle est de ces catalyseurs. De ces gens par qui la magie opère. De ceux qui impulsent un élan. Elle est ainsi, Géraldine Giraud. Il y a cinq ans, la journaliste niçoise remontait le fil du temps dans son film Au nom du pain. Un documentaire retraçant l’exode, dès la fin du XIXe siècle, de plusieurs familles originaires de Niella Tanaro, bourgade piémontaise, qui, fuyant la famine, se sont posées à Nice et un peu plus loin…
Là, leur manière de faire le pain va permettre d’instaurer une tradition italienne de l’ »arte bianca » sur la Côte d’Azur. L’odyssée humaine de ces « mangia polenta » qui dormaient sur des sacs de farine, apprenaient le français dans la chaleur cuisante des fours, Géraldine, descendante de la 4e génération de boulangers niellesi, l’avait condensée en 52 minutes.
« Mon documentaire n’avait pas pu raconter tous ces destins pluriels, ni réunir tous les documents que m’avaient confiés les familles des boulangers. J’ai donc voulu réaliser un objet noble, qui résiste à l’épreuve du temps, que l’on puisse transmettre à travers les générations. Un livre bilingue, un objet que nos deux communautés puissent partager, peu importe le côté de la frontière sur lequel elle se situe », assure celle que l’on surnomme désormais « la madonna del pane ».
Au fil de 320 pages richement documentées, Le Pain du partage, livre présenté dimanche dernier lors de la fête du pain de Niella Tanaro, retrace cette incroyable histoire d’immigration qui se déroule sur près d’un siècle et les destins hors du commun qu’elle embarque. Comme celui de Célestin Camilla, livreur de pain devenu champion cycliste. Ou de Pierre Maia, entrepreneur au flair indéniable, qui créa le concept de franchises avant l’heure… Autant de tranches de vie qui émaillent cette fresque transfrontalière du pain.
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Une fête, une école pour célébrer le pain
Il y a cinq ans, fin août, Géraldine Giraud rassemblait les descendants azuréens à Niella Tanaro. Une célébration qui lui avait permis de tourner les dernières images de son documentaire. En interrogeant la mémoire collective, elle a aussi permis au village italien de redécouvrir son passé. Ainsi, chaque année, depuis 2020, Niella célèbre désormais sous l’impulsion de son maire Gian-Mario Mina, le pain et ses artisans, avec les formes et dans un joyeux esprit binational.
Il y a quelques jours, pour cette fête du pain, Gilles Dutto, président du syndicat des boulangers du 06 – fédération qui sponsorise, avec les moulins Nicot, le livre de Géraldine – et sept boulangers azuréens avaient fait le déplacement pour pétrir « monferrina » (pain italien mis en avant cette année) et « main de Nice » avec leurs homologues piémontais.
Le four communal rouvre désormais régulièrement. Et la cité piémontaise nourrit encore un projet d’ouverture d’une école du pain, avec l’appui de Luc Debove, Niçois de lignée niellesi, meilleur ouvrier de France, champion du monde de Glace et à la tête de la pâtisserie de l’École nationale supérieure Ducasse.
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« Ramener mon grand-père à ses racines »
Dans le coffre de sa voiture, Alain Marrone a emporté son grand-père Luigi! Enfin, la photo de ce dernier, prise dans son fournil du 14e arrondissement, précieusement emballée. « Il est né en 1907 à Niella. Après être passé par Nice, il a immigré à Paris adolescent avec ses parents et sera naturalisé Français en 1940, après s’être battu sous le drapeau français », résume ce descendant. Depuis Paris, Alain a fait le voyage afin d’apporter le cliché dans le Piémont, pour « ramener mon grand-père à Niella ». Un cliché d’autant plus précieux qu’il a été réalisé par Robert Doisneau, qui avait pris en photo en 1955 son voisin, le boulanger Luigi Marrone, dans son fournil.
« Mon grand-père revenait à Niella chaque année. Moi, j’ai découvert son histoire au décès de ma mère, en 2024. J’ai eu besoin de venir ici. En mairie, j’ai rencontré Luciana, ma cousine (avec qui il est en photo). «
Pierino Camilla, le
dernier artisan niellesi
Il fait défiler les souvenirs sépia, n’ayant de cesse de balayer de son regard malicieux la vallée qui entoure la place du château de Niella Tanaro. Son village, dans lequel il est retourné ce dimanche pour célébrer le pain et les boulangers. Niella, où Pierino Camilla a vu le jour en 1930. Le dernier artisan niellesi encore en vie fut aussi un des derniers « partis » du village, en 1946. « C’était après la guerre, les frontières avaient rouvert. Je pouvais aller rejoindre mon frère Giuseppe, installé à Draguignan », retrace Pierino dont la sœur était aussi déjà en France, mariée à un boulanger. Il restera 11 ans dans le fournil varois de son frère, puis fondera avec son épouse Jacqueline, sa boulangerie, à Saint-Paul-de-Vence, en 1956. Ils feront le pain des habitants pendant trente-sept ans avant de prendre leur retraite, bien méritée. Et resteront à jamais les derniers boulangers de Saint-Paul, faute de repreneurs de l’échoppe. « C’est à cause de ces deux artistes! », sourit Pierino, le pro de la « meringue rocher », en désignant ses fils, Jean-Pierre, maire de Saint-Paul-de-Vence et Daniel, qui travaille chez Air France. Si la descendance n’a pas repris la boulange, elle garde un attachement tout particulier au village italien des aïeux.
Pratique
Le livre Le Pain du partage – Il pane dell’esodo (35 euros) sera disponible dans les librairies françaises et italiennes courant septembre. On peut d’ores et déjà le commander en ligne sur ww.baimaronchetti.it/prodotto/le-pain-du-partage-il-pane-dellesodo Dédicace du livre et projection du documentaire Au Nom du Pain prévue le 31 octobre à 19h à l’auditorium de Saint-Paul-de-Vence. Par ailleurs, le groupe Facebook « Le pain de Niella Tanaro » créé par Géraldine Giraud fédère 550 descendants de boulangers.