On a oublié de respirer pendant 1h50. Dans A House of Dynamite, film aussi percutant que le laisse présager son titre, les personnages font face à une série de choix impossibles, alors qu’une frappe nucléaire s’apprête à toucher le sol américain. En moins de deux heures, ce drame dense et haletant ne gâche pas la moindre seconde. Et Kathryn Bigelow (Démineurs, Zero Dark Thirty) rappelle au passage qu’elle est la reine incontestée du thriller politique.

«Après la Guerre froide, le consensus était qu’il serait préférable de limiter le pouvoir nucléaire. Cette ère est désormais révolue.» C’est avec ces mots, en lettres capitales sur un écran noir, que débute le long-métrage présenté en compétition à la 82e Mostra de Venise. Le pitch est simple: un matin comme un autre, l’armée et le gouvernement américain détectent un missile, d’origine inconnue, qui semble se diriger vers les États-Unis. Impact prévu dans dix-neuf minutes.

Le film adopte alors une multitude de points de vue pour retracer ces quelques minutes anxiogènes, au cours desquelles tous les personnages vont devoir agir dans l’urgence. Peut-on identifier l’origine du missile? Est-il possible de l’intercepter? Faut-il attendre, ou répliquer et prendre le risque de déclencher une apocalypse nucléaire?

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Contrer une «anesthésie générale collective» sur la question des armes nucléaires

La réalisatrice américaine Kathryn Bigelow a grandi à l’époque où la stratégie de protection recommandée contre une attaque nucléaire était de se cacher sous son bureau. Rencontrée à Venise, elle explique pourquoi le sujet lui semble plus que jamais d’actualité. «Plusieurs nations possèdent suffisamment d’armes nucléaires pour anéantir la civilisation en quelques minutes, rappelle-t-elle. Pourtant, il y a une sorte d’anesthésie générale collective à ce sujet. Au cours des dernières décennies, la prolifération nucléaire a été normalisée et personne n’en parle. Je trouve cela abominable. Je pense qu’il est très important que nous restions informés et que nous puissions nous emparer du sujet du mieux que l’on peut.»

Le film déroule une structure redoutable, qui rappelle celle de Dunkerque, de Christopher Nolan: les mêmes événements nous sont montrés à plusieurs reprises à travers différents points de vue. On suit d’abord la situation room de la Maison-Blanche, aux côtés notamment de la capitaine Olivia Walker (Rebecca Ferguson).

Anthony Ramos, dans A House of Dynamite, de Kathryn Bigelow. | Netflix Studios

Anthony Ramos, dans A House of Dynamite, de Kathryn Bigelow. | Netflix Studios

Avant de rejoindre le secrétaire à la Défense (Jared Harris), des soldats basés dans le Pacifique, une responsable de l’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence (FEMA), une experte en géopolitique, ou encore le chef du Stratcom, le Commandement stratégique des États-Unis (Tracy Letts), ainsi que le président américain, incarné par nul autre qu’Idris Elba. Malgré la gravité des enjeux dépeints, on ne peut d’ailleurs s’empêcher de constater que la majorité du commandement américain est incarnée par des acteurs britanniques ou suédois. Faut-il en déduire que les Américains ne sont pas aptes à gouverner?

Fidèle à l’hyperréalisme qui caractérise son œuvre, la cinéaste californienne nous embarque, caméra à l’épaule, au cœur du théâtre des opérations. Après Point Break (1991), Zero Dark Thirty (2012) ou encore Démineurs (2009), qui a fait d’elle la première femme de l’histoire à remporter l’Oscar de la meilleure réalisation, Kathryn Bigelow se montre une nouvelle fois en maîtrise totale de sa narration. À l’aide d’un montage tendu, d’une mise en scène immersive et d’une musique savamment déployée, la cinéaste nous offre une œuvre grand public, aussi divertissante qu’intelligente. Dommage que le film, qui sortira sur Netflix le 24 octobre, ne soit pas disponible sur grand écran en France.

«La réaction émotionnelle» au cœur du récit

A House of Dynamite doit également beaucoup à son scénario, signé Noah Oppenheim. Cet ancien journaliste et scénariste entre autres de Jackie, de Pablo Larraín (2016) a mené un rigoureux travail de recherche et rencontré de nombreuses personnes ayant travaillé à la Maison-Blanche, dans la situation room ou à d’autres postes stratégiques.

«Ces gens s’entraînent presque tous les jours pour ce genre de scénario, chaque cas de figure, chaque étape à suivre, précise Noah Oppenheim. Mais la seule chose que l’on ne peut jamais vraiment simuler lors d’un test, c’est la réaction émotionnelle humaine que l’on aurait face à une telle situation. On voulait montrer le fait que l’on a beau avoir construit tous ces systèmes compliqués, avoir écrit toutes ces procédures, in fine, la décision repose sur une seule personne, en l’occurrence, le président. Peu importe à quel point le système est sophistiqué, peu importe le nombre d’entraînements que l’on fait, on ne pourra jamais vraiment prédire la variable qu’est l’unique personne chargée de faire ce choix.» Ainsi, plus le film avance, plus l’on monte dans la hiérarchie et plus la prise de décision semble insurmontable –et émotionnelle.

«Je pense que chacun d’entre nous pourra se reconnaître dans au moins un de ces personnages, face à cette décision cruciale qu’ils doivent prendre.»

Idris Elba, qui joue le président des États-Unis dans A House of Dynamite

C’est là la plus grande réussite de A House of Dynamite, qui construit une galerie de personnages immédiatement attachants et multidimensionnels, nous laissant entrevoir leur vie de famille, leurs ambitions, leurs complicités ou rivalités professionnelles. «C’était vraiment important pour moi d’humaniser tout ce processus, justifie Kathryn Bigelow. Rappeler qu’au milieu de cette situation impossible, il n’y a pas qu’un protocole, qu’une procédure, mais avant tout des êtres humains.»

Malgré leur formation et leurs responsabilités, tous ces personnages surentraînés vont douter et se retrouver tiraillés entre leur devoir professionnel et leurs enjeux intimes. Idris Elba partage son avis: «Je pense que chacun d’entre nous pourra se reconnaître un petit peu dans au moins un de ces personnages, face à cette décision cruciale qu’ils doivent prendre.»

«Quand on aplatit les gens en 2D, on perd leur humanité»

Qu’ils soient dans une base militaire reculée, dans les rues de Washington ou dans un bunker, tous les personnages sont dépendants de la technologie moderne, qui leur permet de communiquer instantanément, mais crée aussi une distance émotionnelle et complique les prises de décision. «C’est beaucoup plus difficile d’obtenir un consensus sur un écran d’ordinateur que dans la vraie vie, souligne le dramaturge Tracy Letts, qui incarne le général à la tête du Stratcom. Quand on aplatit les gens en 2D, on perd leur humanité. Alors, dans une situation où une bonne dose d’humanité est requise et où l’humanité tout entière est en jeu, pouvoir dialoguer avec les gens de manière réelle est d’autant plus important.»

Le film, qui dans une de ses scènes, dresse un savoureux parallèle avec la barbarie archaïque de la guerre civile américaine, souligne à chaque détour l’absurdité de l’escalade nucléaire. Jusqu’à sa résolution finale, dont on ne vous révélera évidemment rien. Du très grand spectacle, qui attire néanmoins l’attention sur un enjeu on ne peut plus sérieux. Ou comme le formule Noah Oppenheim: «Je pense que la question que l’on devrait tous se poser, c’est: “Est-ce que j’ai envie de vivre dans un monde qui fonctionne comme ça?”»


A House of Dynamite

De Kathryn Bigelow

Avec Idris Elba, Rebecca Ferguson, Gabriel Basso, Jason Clarke, Greta Lee, Jared Harris, Tracy Letts, Anthony Ramos, Moses Ingram, Jonah Hauer-King

Durée: 1h52

Sortie le 24 octobre 2025 sur Netflix