Trois championnats en un : le Top 14 ne se résume pas seulement à la course au Brennus. Entre Toulouse et Bordeaux en quête de gloire, douze clubs sont lancés dans la mêlée pour les phases finales et la survie haletante des « petits », le rugby français offre chaque semaine un condensé de drame, de rêve et d’angoisse…
Il n’est pas certain qu’il existe un championnat plus contradictoire et plus complet que le Top 14. Il est à la fois une scène immense pour les ogres du rugby européen, un champ de bataille où chaque point compte pour la survie, et une arène ouverte où les rêves de phases finales se disputent dans un tumulte permanent. Trois championnats en un seul, c’est la promesse tenue chaque année par le rugby français. Et c’est ce qui le rend si passionnant, au point que la Ligue nationale de rugby et Canal +, son grand argentier et narrateur officiel, n’ont même plus besoin d’en exagérer les contours pour le vendre : il suffit de regarder.
Le premier championnat, celui qui mène au titre, est l’évidence. Toulouse, triple champion en titre, reste le favori naturel. Mais derrière le champion, l’UBB n’est plus ce challenger un peu tendre que l’on tolérait naguère aux grandes tables. Vainqueur de la Champions Cup, finaliste héroïque de la dernière finale de Top 14, Bordeaux-Bègles arrive avec une ambition claire : briser le monopole rouge et noir et s’installer sur le trône. Toulon aussi, avec son armada impressionnante, se place dans la lumière, même si le RCT a perdu l’une de ses plus belles armes offensives, le All Black Leicester Fainga’anuku. Quant au Stade rochelais, il n’a pas oublié l’humiliation d’une saison galère, loin des standards fixés par Ronan O’Gara et Vincent Merling. Son recrutement (Le Garrec et Niniashvili) lui offre aujourd’hui le droit d’espérer un retour au sommet.
Attissogbe : « C’est très excitant »
Le deuxième championnat est sans doute le plus captivant : celui de la qualification. Treize équipes, oui treize, peuvent légitimement rêver des six billets menant aux phases finales. Ce n’est plus une lutte, c’est un entonnoir, où l’étincelle d’un soir, une série de victoires ou un faux pas en février peut redessiner toute une saison. Bayonne en sait quelque chose. Demi-finaliste la saison dernière, pour la première fois de son histoire, l’Aviron a touché du doigt la démesure. Joris Segonds, son ouvreur, ne s’en cache pas : « L’an passé, ce fut une saison incroyable. Désormais, il faudra faire attention à la redescente. Treize autres concurrents veulent aussi participer aux phases finales. Et puis, tout le monde voudra venir gagner à Jean-Dauger, où nous étions invaincus ces dix derniers mois. » La vérité, c’est que chaque semaine resserre la course, et que chaque victoire prend la dimension d’un miracle. Théo Attissogbe, grand bonhomme de la tournée des Bleus en Nouvelle-Zélande, en a déjà la conviction : « On a l’impression de jouer dans le championnat le plus exigeant du monde. Chaque saison, la course à la qualif’ comme celle au maintien se resserre. »
L’excitation n’est pas un mot galvaudé, elle est presque le carburant de ce deuxième championnat. Mais il y en a un troisième, plus cruel : celui du maintien. C’est ici que Montauban entre en scène, en petit Poucet condamné à l’exploit permanent. Son capitaine, Fred Quercy, le dit avec une sincérité désarmante : « On a vécu les phases finales de Pro D2 plus intensément que des clubs qui étaient prêts pour ça. Rien qu’à revoir les images, j’en ai des frissons. Maintenant, on arrive sur la pointe des pieds et on verra ce qu’on est capable de faire : à nous d’être plus performants, plus précis et plus rapides que nous l’étions. » La survie n’a jamais eu de règle simple, et Montauban le sait. Mais l’USM pourrait bien, à sa manière, devenir l’arbitre de la zone rouge, forçant Paris, Pau, Perpignan, Lyon ou même le Racing 92 à jeter un œil inquiet vers l’access match et le bas du classement. C’est ce mélange-là, d’ambitions flamboyantes et de luttes pour respirer, qui donne une telle dimension au Top 14, lequel concentre aujourd’hui tout ce que le sport peut offrir : le triomphe, l’espérance, et la peur. Et à chaque journée, ces trois championnats n’en font qu’un.