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L’Europe est à ce moment de son histoire où elle doit se confronter aux empires sans en devenir un. Ce moment est peut-être celui où l’éthique est notre arme la plus précieuse si nous croyons, avec Paul Valéry, que « la faiblesse de la force, c’est de ne croire qu’en la force ».

Si notre Union demeure une promesse inachevée, elle est aujourd’hui un de ces lieux au monde où puissance publique et Etat de droit vont de pair, ce lieu – surtout – où s’incarne le mieux le caractère irréductible de la personne humaine. Tout le reste en procède : une certaine idée de la laïcité, le souffle de la solidarité, le goût de la liberté.

Cette promesse a grandi dans le double mouvement de la diversité et de l’unité, celui de nos attachements respectifs et de l’art singulier de la traduction. Elle a grandi avec l’héritage d’une mémoire tragique. L’ethos européen n’a pas empêché la Shoah, il lui a survécu, à jamais différent. Elle est – au-delà de sa propre géographie – l’esquisse fragile d’une coopération en vue du bien commun. L’Europe est un commencement.

Dans les chaos du monde, nous sommes aujourd’hui gardiens d’une extraordinaire espérance. Ce trésor qui ne nous appartient pas, c’est l’universalisme. Une idée si puissante que nous devons l’énoncer avec humilité, sans ambiguïté avec l’idéologie qui justifia notre passé colonial. Son travestissement a nourri l’asservissement, sa vérité en est l’antidote.

L’universalisme est une profession de foi dans l’humanité : l’égale dignité de tous les êtres humains telle que proclamée en 1948 par ceux qui traversèrent la nuit avec honneur et l’aube d’une conscience écologique, celle d’habiter une maison commune.

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Face au triomphe de la force, le moment européen est celui du refus de la servitude. Le temps est venu d’être une puissance économique, militaire, normative, celui de l’affirmation de notre souveraineté. La nôtre ne saurait être solitaire. Notre visée politique doit être celle d’une souveraineté solidaire. Solidaire – sur notre sol comme au bout du monde – de la protection de nos communs environnementaux et de la dignité humaine.

Nous serons européens, si nous avons ensemble des raisons de vivre et de mourir. L’individualisme matérialiste n’en est pas une. C’est la vision partagée de ce qui sépare l’humain de l’inhumain qui, au sens juridique, nous « constitue » européen. Cet humanisme, dont nous sommes, à ce moment de l’histoire, dépositaires singuliers, n’est pas un concept éthéré. Il s’incarne dans une façon de faire la guerre et la paix, de produire et de commercer, de créer et de partager.

Car la puissance tient avant tout de la cohérence. Elle nous guida cette dernière décennie – y compris dans la traversée des épreuves – dans le dessein d’un pacte écologique et social. Cette trajectoire commune est désormais abîmée par le nationalisme, l’appât du gain, la servitude marchande : la somme de nos démissions individuelles et collectives.

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Pour raviver notre courage, il faut parfois prendre le large. Ce kairos européen évoque celui où les Etats-Unis d’Amérique furent à la hauteur de l’histoire en conjurant le risque de sécession par l’appel à une morale universelle. Nous avons soif de la parole d’un Lincoln devant le Congrès en 1862 lors de cette bascule de l’humanité que fut l’abolition de l’esclavage :

« Les dogmes du paisible passé ne sont plus à la hauteur de l’orageux présent. L’occasion offre un amoncellement de difficultés et il faut nous élever à la hauteur de l’occasion. De même que notre position est nouvelle, il nous faut de nouvelles pensées et des actes nouveaux ; il faut nous affranchir nous-mêmes, et alors nous sauverons le pays. […]
Nous disons que nous sommes pour l’Union. Le monde n’oubliera pas que, tandis que nous disons cela, nous savons comment sauver l’Union. Le monde sait, nous savons, comment la sauver. C’est nous qui, ici même, en avons le pouvoir et en supportons la responsabilité.
En donnant la liberté à l’esclave, nous donnons la liberté à l’homme libre et nous nous montrons honorables à la fois dans ce que nous donnons et dans ce que nous conservons.
Nous sauverons noblement ou nous perdrons misérablement la dernière et la plus belle espérance de la terre.
D’autres moyens peuvent réussir, celui-ci ne saurait faillir.
La ligne à suivre est claire, paisible, généreuse, juste. »

Cette quête d’une cohérence éthique est l’urgence européenne. Elle doit devenir la boussole du débat démocratique. Elle seule est susceptible de faire écho, au-delà de nos frontières, à la profonde espérance des sociétés civiles qui ne consentent pas au culte de la force.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.