W9 capture d’écran
« C’est très bien de parler de ce sujet à une heure de grande écoute, mais il ne faut pas oublier que l’addiction n’arrive pas par hasard », explique Christophe Cutarella.
ADDICTIONS – Deux ans que l’on ne l’avait plus vu à la télévision. C’est dans Tout beau, tout n9uf, la nouvelle émission de Cyril Hanouna sur W9, que l’ancien chroniqueur et producteur Matthieu Delormeau a décidé de faire son grand retour.
Non pas pour jouer à nouveau les trublions ou les souffre-douleurs face à l’ex-animateur de TPMP, mais pour évoquer sans détour le long passage à vide qu’il a enduré depuis son départ de l’émission, marqué par ses déboires judiciaires et sa dépendance à la cocaïne.
Si aujourd’hui, il assure être « en forme » et « ne plus se droguer », le quinquagénaire reconnaît que les mois qui ont suivi son départ de TPMP ont été « très durs ». « Quand j’ai quitté l’émission il y a deux ans, personne n’a voulu travailler avec moi », raconte celui qui évoque, pêle-mêle, les difficultés financières de sa boîte de production, la maladie de son associé, une rupture amoureuse pour expliquer l’origine de son addiction.
« Très malheureux », en proie à des crises d’anxiété, Matthieu Delormeau explique avoir « goûté à un produit », la cocaïne, lors d’un dîner entre amis. « Je me suis rendu compte que lorsque j’en prenais, j’allais très bien, l’anxiété s’arrêtait. »
Accro en quelques semaines à la cocaïne, qui lui permet d’abord de « travailler en deux heures ce que tu faisais en quatre avant », Matthieu Delormeau revient ensuite sur sa longue descente aux enfers, émaillée de gardes à vue et de tentatives de sevrage seul ou en clinique. Son objectif, assure-t-il, est de faire de la prévention. « J’aimerais dire aux jeunes que c’est une catastrophe, que ça ruine des vies. J’aimerais aussi m’adresser aux mères de famille : faites attention à ce que prennent vos mômes », lâche-t-il sous les applaudissements du public.
Aussi sincère la démarche de Matthieu Delormeau soit-elle, que penser de ce type de prise de parole, sur un plateau de télévision, sans intervention de spécialiste ? Peut-elle contribuer à sensibiliser le public aux conséquences de l’addiction à la drogue ou, au contraire, la banaliser ? Éclairage du docteur Christophe Cutarella, psychiatre addictologue à Marseille.
Le HuffPost. Évoquer son addiction à la cocaïne sur le plateau d’une émission comme celle de Cyril Hanouna peut-il permettre de sensibiliser le public ?
Christophe Cutarella. Prendre la parole pour évoquer son expérience pour lever le tabou sur l’addiction est toujours une bonne chose. Ce qu’il manque ici, c’est la présence un médecin addictologue qui viendrait modérer ce qui est dit avec son expertise scientifique. Mais est-ce qu’un addictologue accepterait d’aller dans ce genre d’émission ? Je ne sais pas.
Par ailleurs, cette prise de parole a quand même été très longue. Il y a sans doute des choses à garder, et d’autres plus maladroites qui ont été exprimées. Il existe des patients experts, qui possèdent une vraie expertise dans leur maladie, sont formés et diplômés pour parler de leur expérience, personnelle et scientifique. Là, Matthieu Delormeau est un patient tout court. Qui a une notoriété, certes, mais par pour son expertise sur la consommation de cocaïne.
Sensibiliser, c’est toujours bien, mais pour que ce soit efficace, il faut bien le faire. Mais, lever le tabou, rappeler qu’il existe des structures de cure qui permettent une prise en charge efficace des addictions, quelles qu’elles soient, et qu’il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, c’est déjà positif.
Matthieu Delormeau évoque justement son passage en cure dans une clinique, qu’il compare à une « prison »…
C’est certain que ce genre de propos n’incite pas à demander de l’aide. Typiquement, avoir à ce moment-là un professionnel en plateau pour rappeler que tous les établissements ne se valent pas, et qu’il y a toujours des personnes sur place pour aider, aurait été judicieux. Venir modérer les propos, c’est toujours mieux.
Encore une fois, il ne faut pas refuser de considérer les témoignages d’anciens consommateurs, car ils sont importants. Le discours des pairs résonne différemment de celui des professionnels. Il faut simplement que ce discours de patients soit bien cadré. C’est le cas lorsqu’il s’agit d’un patient expert ou du témoignage émanant d’une association d’anciens consommateurs, par exemple. Il ne faut pas oublier que l’addictologie est une discipline médicale et que les discours maladroits ne sont pas efficaces.
Matthieu Delormeau raconte avoir eu beaucoup de difficultés à arrêter. Est-ce courant chez les consommateurs de cocaïne ?
C’est l’essence même de la dépendance psychique, très marquée dans la consommation de cocaïne. C’est ce qu’on appelle le « craving » : une compulsion à consommer et une perte de contrôle, qu’évoque Matthieu Delormeau. Après, là où je modérerais ses propos, c’est que ce n’est pas un procédé qui va s’appliquer à tout le monde. 15 % des personnes qui vont tester la cocaïne vont devenir addicts, ce qui est déjà énorme, d’autant qu’il y a de plus en plus d’expérimentateurs. Mais ce n’est pas le cas de toutes les personnes qui vont en consommer.
Ce chiffre sous-tend une question : pourquoi certaines personnes deviennent plus addicts que d’autres ? Il existe des facteurs génétiques, mais aussi des facteurs environnementaux, personnels, etc., qu’il faut aussi prendre en compte.
Qu’auriez-vous pu ajouter si vous aviez été sur le plateau de l’émission ?
J’aurais pu modérer les propos qui sont tenus. C’est très bien de parler de ce sujet à une heure de grande écoute, mais il ne faut pas oublier que l’addiction n’arrive pas par hasard. Être addict, ce n’est pas que consommer : c’est plus que ça. C’est une pathologie, prise en charge par des équipes pluridisciplinaires, et qui cache souvent des problèmes beaucoup plus profonds qu’il faut aussi prendre en charge.