Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale [LBDSN] publié en 2008 avait insisté sur la nécessité d’acquérir une capacité de détection et d’alerte avancée pour « prendre en compte la menace balistique » étant donné, qu’à l’époque, on pensait que de nouvelles puissances allaient se doter de missiles ayant une portée suffisante pour atteindre l’Europe et la France.
« Cette capacité permettra de suivre l’évolution des menaces balistiques, de déterminer l’origine de tirs afin d’identifier l’auteur de l’attaque et de favoriser l’alerte des populations. Elle reposera tout d’abord sur un démonstrateur radar à très longue portée débouchant sur l’obtention d’une première capacité opérationnelle en 2015. Dans le même temps seront poursuivies les études permettant de lancer, si
possible en coopération, un programme de détection et d’alerte à partir de l’espace », était-il expliqué dans le LBDSN de 2008.
Par la suite, afin de s’affranchir des moyens de détection américains basés sur les satellites DSP-I [Defense Support Program – Improved] puis SBIRS [Space-Based Infrared System], le ministères des Armées lança le programme SPIRALE [Système préparatoire infrarouge pour l’alerte].
Ce dernier visait à mettre deux microsatellites pour constituer une banque d’images infrarouges de la Terre et définir ensuite les spécifications d’un futur satellite de détection et d’alerte avancée dont la conception devait démarrer en 2016. Bien qu’ayant été un succès, SPIRALE n’eut pas de suite, faute de moyens budgétaires. Désormais, le développement de cette capacité spatiale repose sur le programme ODIN’S EYE, financé par le Fonds européen de défense [FEDef] et coordonné par l’allemand OHB System AG.
Quant au radar à très longue portée évoqué par le LBDSN de 2008, des « briques technologiques » avaient déjà été posées dans les années 1990 avec le démonstrateur radar transhorizon « Nostradamus », dont les antennes occupent une surface de 12 hectares dans l’enceinte de l’ancienne base aérienne de Dreux-Louvilliers [Eure-et-Loir].
Conçu par l’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA], ce démonstrateur sera capable de détecter tout objet volant [même furtifs] à une distance comprise entre 500/800 et 2 500/3 000 km, sur 360 degrés.
Selon les explications de l’ONERA, contrairement aux radars classiques, Nostradamus utilise les fréquences de la bande HF, lesquelles permettent aux ondes d’être réfléchies par l’ionosphère [propagation par « onde de ciel »]. Ces dernières rebondissent sur la couche ionosphérique, comme une boule sur une bande de billard.
Ainsi, « ce mécanisme permet à Nostradamus ‘voir’ au-delà de l’horizon, jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres », résume l’ONERA. Et d’ajouter : « Ce principe permet une illumination constante par le haut, échappant aux limites liées à la courbure terrestre, et rendant possible la détection de cibles à toute altitude, y compris très basse. Il comble ainsi les lacunes des radars classiques, dont les performances sont limitées par la ligne d’horizon ».
Curieusement, il a rarement été question de Nostradamus durant ces dernières années. Mais il a finalement été mis sous le feu des projecteurs en juin dernier, quand le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a dévoilé la stratégie pour la Très Haute Altitude [THA], une enveloppe de 2 millions d’euros devant alors être débloquée pour « relancer » son développement.
Près de trois mois plus tard, l’annonce de M. Lecornu s’est concrétisée, avec la signature, le 4 septembre, d’une « convention d’expérimentation » entre l’Agence de l’innovation de défense [AID] et l’ONERA, en partenariat avec TDF.
« Le projet Nostradamus a été sélectionné comme ‘Quick Win’ pour démontrer les capacités de détection du radar transhorizon sur divers objets, tels que des avions, missiles et ballons, notamment dans la THA. Cette démonstration s’appuiera sur les nouvelles capacités digitales récemment implantées par l’ONERA, avec des configurations monostatique et bistatique », a expliqué l’AID, via un communiqué publié ce 5 septembre.
Sur un terrain d’Eure-et-Loir, les antennes du radar transhorizon Nostradamus nous permettent de détecter les menaces jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres.
Plus loin, et plus haut, que ne le permettent les radars classiques. Capable de détecter missiles balistiques et… pic.twitter.com/vHjCyKYy28
— Sébastien Lecornu (@SebLecornu) September 4, 2025
Quant à TDF, son rôle consistera à « mettre à disposition les infrastructures exceptionnelles de son site de diffusion Ondes Courtes », qui est unique en Europe avec ses antennes orientables de très grande taille.
« Le projet Nostradamus est la première brique de l’alerte avancée que nous tentons de mettre en place avec les Européens », a commenté M. Lecornu.
Pour le ministère des Armées, il « constitue une étape cruciale pour renforcer l’autonomie stratégique française et européenne, gage d’une réponse rapide et efficace face aux menaces balistiques et hypersoniques ».
Cette expérimentation, qui coûtera donc 2 millions d’euros, n’est qu’un début. « C’est une première étape d’une remontée en puissance qui prendra la forme d’un investissement de 50 millions d’euros pour moderniser le radar et bâtir une capacité souveraine d’alerte avancée au service de la France et de l’Europe », a précisé l’ONERA.
Photo : Ministère des Armées