La Marseillaise : Vous avez démarré l’aventure Terrenoire en 2017. Depuis, un EP, deux albums et une Victoire de la Musique de la révélation masculine de l’année en 2022. Comment expliquez-vous ce succès ?
Terrenoire : Le fait qu’on travaille entre frères, permet d’avancer avec plus de sérénité. Le déplacement de Saint-Étienne vers Paris nous a aussi permis de nous professionnaliser, de nouer des accroches avec l’industrie musicale. Et puis on voulait que ça marche, vivre de notre métier. On a gravi les échelons petit à petit, pris du plaisir à travers ce travail, en se disant que la musique est un métier d’artisanat, et qu’il fallait travailler le geste, la structuration, l’entourage, tout ce qu’il y a autour, au même titre que la musique elle-même.
Votre musique, à la croisée des chemins entre la pop, l’électro, la variété et la musique urbaine, est assez inclassable. Comment la définiriez-vous ?
Terrenoire : En 7 ans c’est une question à laquelle on n’a pas encore répondu ! Ce qui est sûr, c’est qu’on fait des chansons, puisqu’on a du texte et de la mélodie. Il y a plein de références aux musiques de film, instrumentales, des musiques très impressionnistes que Théo [qui s’occupe de la production, Raphaël du chant, Ndlr] va apporter avec sa sensibilité. On a des influences variées, parmi lesquelles Frank Ocean, Blood Orange… On a des textes un peu bizarres mais on aime que ce soit assez percutant, concret, que ça s’adresse directement à l’oreille. Il y a un lien entre cet aspect très concret, immédiat, et à la fois une sophistication artistique qui fait qu’on passe beaucoup de temps en studio. On essaye d’être accessible en gardant du mystère.
Après l’EP « Terrenoire » en 2018, l’album « Les Forces contraires » en 2020, vous avez sorti votre troisième album, « Protégé.e », en 2025. Qu’avez-vous voulu évoquer avec cet album ?
Terrenoire : C’est un album qui se veut préoccupé par l’état du monde. C’est un peu un sismographe : prendre le pouls de l’époque, sentir ce qui était là quand on l’a écrit, ce qui allait advenir politiquement, sociétalement et intimement. De nouvelles choses changent l’état du monde tous les trois mois. L’idée était d’avoir un album qui ait des sortes d’antennes pour sentir cela. Le titre évoque l’idée de protéger, que la musique protège. Et à la fois, sentir qu’il y a un autre type de protection, comme si les nations se refermaient sur elles-mêmes. Il y a un jeu d’ambivalence dans ce titre. On a essayé d’y mettre plein de choses différentes : de la joie, de la légèreté, du souci… C’est à travers cette tension qu’on fabrique nos chansons.
Il y a des morceaux à la tonalité politique assumée, tels que « Le fou dans la voiture », qui parle des dérives droitières du président Macron. Vous avez aussi entonné des chants antifascistes lors de plusieurs concerts. Cet engagement a-t-il toujours fait partie de votre œuvre ?
Terrenoire : Les chants, ce sont les gens qui les font naturellement. C’est la magie des réseaux sociaux, sur lesquels ils ont vu que ces chants avaient été entonnés lors d’un de nos concerts à Paris. Ils deviennent des moyens de se donner de la force, de rester concernés par ces choses qui nous inquiètent. Sur notre premier EP, il y avait un titre qui s’appelait Allons là-bas, qui traitait d’une sorte d’impuissance masculine, et qui se dirigeait vers Bachar Al-Assad. C’était plus à distance par rapport au Fou dans la voiture. On a pris ce tournant par rapport au sentiment d’urgence. L’accélération des idées xénophobes s’observe à travers le monde. On revient à des temps qu’on pensait derrière nous. Dire clairement les choses, c’est une manière de se relier aux gens, de leur dire qu’ils ne sont pas seuls à penser ça. Qu’on ne va pas avoir peur. La scène a ce pouvoir-là, c’est une tribune super puissante. Ça nous permet de sortir de cette neutralité dans laquelle on met les artistes, qu’on trouve très étrange, et de se rapprocher d’autres artistes, car on a besoin de ces réseaux de solidarité.
Pour la tournée de ce dernier album, vous réalisez des médiations culturelles avec les populations locales. En quoi cela consiste ?
Terrenoire : L’idée était de casser le sens de la tournée qui s’est industrialisée et fait partie d’un business. On le fait car c’était difficile de se connecter au public, de profiter de la richesse immense que peut être le voyage. Cette idée de médiation culturelle vient d’ici : rencontrer les gens, mettre en valeur la singularité d’un territoire. On le fait à travers des exercices d’écriture, de la chorale… On arrive en début de semaine, on travaille avec les écoles, les centres sociaux, les seniors, pour créer des choses ensemble. Et le jour du concert, on fait une restitution sur scène avec les participants. On ne pourra pas reproduire l’expérience à Marseille cette année, mais c’est ici, au festival « Avec le Temps », que l’artiste Fred Nevché nous y a initiés l’année dernière. On avait monté un spectacle avec des enfants d’une école primaire du quartier de la Busserine.
Justement, que représente pour vous cette ville de Marseille ?
Terrenoire : C’est assez similaire à Saint-Étienne. Le foot y est la religion. Ce sont des villes populaires avec beaucoup d’immigration, un sens commun de l’hospitalité. On y a passé beaucoup de temps, on la connaît bien, on y a beaucoup d’amis et on s’y sent bien. C’est une ville singulière, véritable, ce n’est pas Paris ! Ça fait du bien d’y aller, ça va être un super concert.