Avocat pénaliste pendant plus de 35 ans, et réputé pour le nombre d’acquittements qu’il a obtenus au cours de sa carrière, Éric Dupond-Moretti a aussi été ministre de la Justice pendant quatre ans, de 2020 à 2024, dans le gouvernement d’Emmanuel Macron. Mais il a toujours eu aussi un penchant pour la comédie et le spectacle. Dès 2013, il est apparu au cinéma dans le film Les salauds de Claire Denis. Il est surtout monté sur les planches en 2019 avec son premier seul en scène Éric Dupond-Moretti à la barre, dans lequel il partageait ses années en tant que ténor du barreau. Cette fois-ci, celui qu’on surnommait « acquittator » revient sur son expérience de garde des Sceaux avec J’ai dit oui ! mis en scène par Philippe Lellouche, qu’il présente à Marseille le 23 avril. Il dit d’ailleurs bien connaître la ville pour « y avoir plaidé (il) ne sait combien de fois », s’y être rendu en visite ministérielle à plusieurs reprises et pour y avoir joué son premier spectacle. Trois activités qui le caractérisent.
Vous souvenez-vous de ce moment où vous avez dit oui ?
Oui, je m’en souviens de façon très précise. Et de ce qui m’a fait dire oui aussi. À savoir, l’envie de bouger les lignes dans la justice. De la doter de moyens supplémentaires, en termes de personnel et de budget. Ce que j’ai fait d’ailleurs. Et Marseille en sait quelque chose. Je ne vais pas revenir sur ce que j’ai fait. Mais j’avais cette volonté et j’ai rencontré celle du président de la République qui m’a demandé si j’accepterais d’être garde des Sceaux. J’ai dit oui.
Que raconte votre spectacle ? Quelles sont vos intentions ?
D’abord, faire connaître un monde que les compatriotes ne connaissent pas forcément. Qu’est-ce que c’est quand on débarque de la société civile d’appréhender le Parlement, le Conseil des ministres, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ? Des choses qui relèvent du quotidien du ministre. Et puis, j’essaie de livrer une réflexion sur le pourquoi de la détestation qui s’est installée entre les dirigeants politiques et la population. Cette réflexion n’est d’ailleurs pas franco-française parce que toutes les grandes démocraties sont affectées par ce désamour. Elle nous amène aussi à la relation entre les politiques et les médias. Mais tout ça ponctué de beaucoup d’humour et d’autodérision. Et enfin, évidemment, j’évoque les poursuites scandaleuses dont j’ai fait l’objet. Et là, c’est le volet règlement de comptes du spectacle. J’ai été traîné dans la boue. Et pendant les quatre ans de mon ministère, je n’ai rien dit, je ne voulais pas. Aujourd’hui, je livre ma vérité.
Quel sentiment vous anime par rapport à cette expérience ? Êtes-vous amer ?
Pas du tout. Sinon j’aurais appelé mon spectacle « Ministère A.M.E.R » (il rit). Je suis un type de passion. J’ai aimé passionnément le métier d’avocat. J’ai aimé passionnément être ministre. Et là, j’aime ce que je fais. La démocratie est née d’une certaine façon dans une enceinte théâtrale, à l’Antiquité. Et beaucoup de choses sont dites au théâtre. Il y a en plus un échange direct entre celui qui est sur scène et les gens qui viennent le voir. J’éprouve un peu la même sensation quand je plaidais à la Cour d’assises devant un jury populaire.
Est-ce que vous pensez retourner un jour dans le jeu politique ?
Vous savez, j’ai dit une fois que je ne serai jamais ministre. Et puis j’ai accepté de l’être. Tout le monde m’a reproché cette phrase. Je m’en explique d’ailleurs sur scène. Je m’interdis désormais de dire « plus jamais ». Je préfère « je ne sais pas ».
Et avocat ?
Je redeviendrai sans doute avocat. Mais je ne le peux pas encore en raison de ma fonction de ministre. Si je voulais redevenir avocat maintenant, je ne pourrais pas par exemple plaider pour l’État ou contre l’État. Ce sont les lois en vigueur.
Est-ce que le spectacle est imprégné de ce qui se passe actuellement en politique ?
Non, je ne suis pas venu faire un meeting. Ce n’est pas le sens du spectacle. Je pense que même des gens qui ne partagent pas les mêmes opinions politiques peuvent se retrouver dans ce spectacle.
Est-ce que vous avez le trac ?
Oui, je suis mort de trouille. Parce que j’ai envie de bien faire, d’honorer les gens qui m’honorent de leur présence. J’ai toujours eu le trac. Quand j’étais avocat, quand j’étais ministre, et maintenant sur scène. Certes les enjeux ne sont pas les mêmes mais il s’agit à chaque fois de donner de soi.
Est-ce cependant plus évident de monter à nouveau sur scène ?
Le fait d’être déjà monté sur scène, ça aide un peu. Mais pour autant, c’est un autre texte, un autre spectacle et c’est peut-être plus stressant. Quand j’étais avocat et que j’ai fait du théâtre, je me suis dit : « Bon, si ça ne marche pas, ce n’est pas dramatique ». Mais quand vous sortez d’un poste de ministre et que vous allez au théâtre, des gens peuvent dire que je discrédite la fonction ministérielle. Du style : « C’est bien la preuve qu’on peut passer d’un ministère régalien à de la gaudriole ». Et puis finalement, les choses ne se sont pas passées comme ça.
Le mercredi 23 avril à 20h au Cepac Silo à Marseille. De 49 à 69€. cepacsilo-marseille.fr