Flanqué de ses amis des Deschiens, Olivier Broche et Olivier Saladin, François Morel s’empare avec gourmandise et réussite d’ « Art » de Yasmina Reza, une des pièces les plus attendues de cette rentrée sur les planches parisiennes. Un classique dont le canevas n’a plus de secret : Serge (Broche) s’est payé pour une petite fortune « un tableau d’environ 1,60 m sur 1,20 m peint en blanc, avec de fins liserés blancs transversaux », ce que ne comprend pas Marc (Morel) qui qualifie la toile de « merde », définitif et dédaigneux.
« Qu’est-ce que tu entends par cette merde ? Par rapport à quoi ? », cingle Serge mû d’une colère froide. Si Marc vit comme une infidélité cet achat fou, Serge est profondément heurté que son ami ne conçoive pas son goût pour cette peinture… Entre les deux, Ivan (Saladin) qui évite de se mouiller va se faire violemment éclabousser par une situation qui s’envenime vite, un tremblement de terre qui fragilise les fondations mêmes de leur amitié. Mais le sont-ils toujours, amis ?
Dans cette pièce, il est question d’art, un peu, et d’amitié, beaucoup, sous la direction de François Morel qui s’entoure de vrais copains de longue date. Entre eux trois, une amitié sincère et palpable qu’expriment les corps, les regards et les contacts.
Une comédie auscultant l’amitié
Il y a dans l’air une tendresse certaine qui amortit, un peu, la violence des répliques assénées, mais non les blessures qu’elles infligent. Peut-être, même, heurtent-elles davantage… Parce qu’on sait, on sent, qu’ils s’aiment, les voir se déchirer ainsi fend le cœur. Les savoir réconciliés rassérène d’autant.
Dans un intérieur sobre, trois parois, trois portes et un canapé au centre, le trio s’empare de cette histoire avec une simplicité qui leur sied bien. Dans le rôle de Marc, François Morel ne se défait pas de ses mimiques et de ses airs naïfs, habillant de sa bonhomie naturelle l’intransigeance de son personnage, le plus féroce de tous, le plus perdu aussi. Saladin, lui, s’offre un sacré numéro, amusé et amusant, donnant à son personnage normal et accablé sa dégaine pataude quand Broche est tout en nerfs, snob et pressé, incongru et drôle.
Les trois font l’affaire, et au-delà, dans un spectacle féroce et drôle, truculent par moments, touchant aussi, s’achevant sur un beau tableau – blanc mais pas uniquement – dont la douceur favorise l’émotion. Comédie auscultant l’amitié, cette pièce rappelle qu’il n’est jamais anodin que le terme « affection » désigne l’attachement tout autant que la maladie… Mais quels symptômes ? Quel remède ? Le rire, pardi, qui nous est si bien servi ici.
La note de la rédaction :« Art »,
pièce de Yasmina Reza, avec François Morel, Olivier Broche et Olivier Saladin. En ce moment au théâtre du Montparnasse (Paris XIVe), du mardi au samedi à 19 heures, supplémentaire le samedi à 16h30. De 10 à 59 euros.