« C’est avec grand regret que nous avons pris la décision d’annuler la troisième édition de notre festival XL’Air. » L’annonce a été publiée sur les réseaux sociaux le 26 avril. C’est loin d’être la seule du genre, ces derniers mois, sur la région rennaise. « Après dix ans d’activité, notre association est en danger », écrivait en mai Texture, dont les soirées sont prisées des fans d’électro. Le festival Quartiers d’été, lui, a carrément baissé le rideau pour de bon cet été. Des signaux qui témoignent d’une réalité : à Rennes, comme ailleurs, le monde de la culture est en crise.
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Inflation, baisse de la fréquentation, déficits… Les problèmes s’accumulaient déjà depuis plusieurs années, suite à la crise sanitaire. La situation s’est aggravée le 4 mars, lorsque le Département d’Ille-et-Vilaine a annoncé à ses quelque 200 structures bénéficiaires une baisse de plus de la moitié de leurs subventions. « On a parlé avec des élus qui nous ont dit que ce n’était même pas la peine de demander des aides », déplore, sous couvert d’anonymat, le responsable d’un événement ayant tenté de s’implanter à Rennes, sans succès.
S’en sortir
Pour survivre à la disette, les associations tentent, tant bien que mal, de s’adapter. Chez Court Métrange, rendez-vous prisé des cinéphiles rennais, l’heure est à la débrouille pour la 21e édition prévue en octobre. Cette année, le petit festival a dû couper ses dépenses de 9 000 €, après une baisse de 2 000 € en 2024. Aujourd’hui, les aides perçues permettent « à peine de payer les charges annuelles », regrette Benoît Chrétien, responsable et dernier salarié, après la suppression d’un poste. Pour tenter de s’en sortir, la durée du festival a été réduite de onze à cinq jours. De quoi renforcer la fragilité de l’événement, déjà plombé par un déficit de 20 000 €, accumulé depuis quatre ans.
« On nous a dit de nous accrocher… La mairie nous prête gratuitement du matériel. Mais ni la Ville ni la Région ne peuvent compenser la perte. » Une situation qui force l’organisateur à s’appuyer sur la vente des billets. « 2025, c’est l’édition de la dernière chance… »
Au conseil départemental, on rejette la responsabilité sur les économies imposées par l’État, accusées d’aggraver une « équation déjà pas facile à gérer ». La collectivité a été sommée de sabrer dans son budget alors que ses recettes ont fondu de 75 millions depuis une dizaine d’années.
Les dépenses sociales augmentent
En parallèle, ses dépenses sociales, et en premier lieu le RSA, versé par les Départements, ne cessent de croître. Résultat : en 2025, les élus bretilliens ont dû opérer un coup de rabot à 32 millions d’euros. Le poste de la culture a diminué de moitié, passant de six à trois millions. « C’était une décision difficile mais on a pris soin de l’expliquer à tous nos partenaires », se défend Denez Marchand, vice-président à la culture. Depuis décembre, il enchaîne les réunions et visioconférences. « Je crois pouvoir dire que la mesure a été comprise, même si cela a été douloureux. »
Du côté des intermittents, le son de cloche est différent. « Ce qui nous heurte, c’est le choix de baisser les subventions de moitié pour tout le monde alors que les conséquences sont plus lourdes pour les petites structures », s’offusque Rodrigue Bernard, ingénieur du son et membre de la Coordination des intermittents et précaires (CIP) de Bretagne. Denez Marchand le concède : « On a dû travailler dans l’urgence. »
Difficile, justifie-t-il, de « faire dans la dentelle quand on doit examiner près de 200 acteurs dans un temps très court ! » Mettre davantage à contribution les gros acteurs, poursuit-il, aurait pu conduire à encore plus de suppressions de postes. Et donc à plus de personnes finissant au RSA. Avec, in fine, des charges supplémentaires pour le Département. Un serpent qui se mord la queue.
Culture en lutte
Des suppressions de postes : c’est bien ce qui se profile, redoutent les intermittents. Au TNB par exemple, qui essuie une perte de 190 000 €, la consigne est claire : « Réduire sans renoncer », selon son directeur Arthur Nauzyciel. Cette saison, les spectacles resteront plus longtemps à l’affiche mais seront moins nombreux. Un crève-cœur pour Rodrigue Bernard : « Il y aura moins de démontages et de remontages, donc moins d’embauche… »
Alors que l’argent public se raréfie, certains cherchent des solutions auprès de fonds privés. Loin des angoisses qui secouent ses homologues, Nadège Courroussé, directrice de production du festival du Roi Arthur, annonce ne pas souffrir des coupes budgétaires. Depuis ses débuts, le plus gros festival d’Ille-et-Vilaine s’appuie sur plus de 350 mécènes qui assurent 18 % de son budget. En comparaison, la contribution du Département ne représente que 1,7 %..
L’argent privé, planche de salut pour les structures ? Pas pour tout le monde selon, Benoît Chrétien, de Court Métrange. « J’ai fait des demandes, mais ça n’a jamais fonctionné. Tout le monde donne déjà. » Pour protester contre les coupes budgétaires, le collectif Culture en lutte 35 a vu le jour au printemps. « Il y a un ras-le-bol général dans le milieu culturel rennais », affirme Sophie Vela, l’une des membres actives du groupe. À ses yeux, le constat est clair : « Petit à petit, l’argent public disparaît de la culture, à Rennes, comme ailleurs. » Se dirige-t-on vers un crash annoncé ? La graphiste veut garder espoir : « Rennes est une ville assez engagée pour que tout ne s’effondre pas tout de suite. »