Voilà plusieurs mois que les rumeurs de corruption et détournement de fonds publics au sein de la Chambre régionale des commissaires de justice (CRCJ) de Paris, présidée par Denis Calippe, enflent. Cette structure regroupe les commissaires de justice des départements de Paris, Seine-et-Marne, de l’Yonne, de l’Essonne, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.
Depuis 2022, les professions d’huissiers et de commissaires-priseurs judiciaires ont été fusionnées pour créer celle de commissaire de justice, un officier public et ministériel, nommé par le ministre de la Justice, qui procède à l’exécution des décisions de justice et des titres exécutoires ainsi qu’aux ventes judiciaires.
Face aux rumeurs qui courent, un important office de commissaire de justice, en partie placée sous le contrôle de la CRCJ de Paris, s’est penché sur les livres de comptes de la CRCJ de Paris de 2021 à 2024. Et certaines dépenses n’ont pas manqué de susciter son étonnement. À tel point que, le 20 août dernier, cette étude a déposé plainte auprès du parquet de Paris pour « détournement de biens par une personne chargée d’une mission de service public », « prise illégale d’intérêts », et « recel de ces infractions ».
Une montre à plus de 12 000 euros
Selon la plainte et les extraits de comptes, consultés par Le Parisien, « plusieurs dépenses récréatives et ostentatoires ont été réalisées sous couvert de cadeaux ». C’est le cas le 7 juin 2022, où près de 2 790 euros de cadeaux ont été offerts au nom de la Chambre des huissiers de Paris.
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Pour la seule journée du 24 novembre 2022, une montre Jaeger-LeCoultre a été achetée pour 12 150 euros et un repas de près de 3 244 euros au restaurant gastronomique « Le Grand Véfour » a été financé par la chambre. Le 31 juillet, c’est un cadeau de « départ » de la marque de luxe Hermès, d’un montant de 1 100 euros, qui a été acheté. Le 22 décembre de la même année, à quelques jours de Noël, 7 292 euros ont été dépenses pour du champagne.
En septembre 2024, la Chambre des huissiers de Paris a également dépensé 314 euros pour une session de « ball-trap », une pratique consiste à tirer sur des plateaux d’argile ou des cibles mouvantes à l’aide d’armes de chasse, à Vouzon dans le Loir-et-Cher.
En parallèle de « ces cadeaux et dépenses de complaisance », les comptes révèlent également des « généreuses dépenses disproportionnées dépourvues de lien avec l’intérêt de la CRCJ de Paris », selon la plainte. Elle mentionne un pourboire de 750 euros à des déménageurs le 31 décembre 2022 et 1 000 euros d’étrennes à l’attention de la gardienne le 17 février 2023.
Des dépenses « justifiées et votées collégialement »
Des dépenses « exorbitantes », selon la plainte, d’un montant total de plus de 25 000 euros, qui ne sont pas « nécessaires au fonctionnement de la Chambre ou l’intérêt collectif et la mission de cette dernière » et qui s’apparente à du « détournement de fonds en bande organisée ».
Mais pour le président Denis Calippe, interrogé par Le Parisien, ces dépenses « s’étalent sur cinq ans ». « Elles ont toutes été justifiées et votées collégialement », ajoute-t-il. C’est d’ailleurs le cas de la montre, selon lui, « une tradition qui remonte à plus de 50 ans ». « Quand il partait, la tradition voulait que le président soit remercié (…) pour ça, on lui offrait une montre », explique le président de la CRCJ de Paris.
« Le restaurant Le Grand Véfour, c’était notre locataire dans l’immeuble depuis un siècle », explique Denis Calippe, qui évoque « un dîner d’adieu » offert à une quinzaine de membres de la Chambre « avant la vente du bâtiment ». « Le Grand Véfour a été choisi de manière exceptionnelle et circonstancielle pour ce repas », ajoute-t-il.
Quant aux sommes versées aux déménageurs et à la gardienne, elles correspondent à « des prestations supplémentaires » et à « des services rendus », justifie le président de la CRCJ de Paris. « Ce sont donc des montants liés soit à des usages, soit à des événements précis dont certains exceptionnels », insiste-t-il.
Des « jetons de présence »
L’un des autres volets de la plainte, ce sont « les jetons de présence ». Selon la plainte, la chambre régionale aurait versé à ses membres près de 366 000 euros entre 2022 et 2024, alors même que la loi prévoit « la gratuité de leurs fonctions ».
Car si depuis le 22 novembre 2024, une indemnité peut désormais être versée aux membres du bureau ainsi qu’aux délégués, « sur décision de son assemblée générale », « ces jetons de présence ont été versés avant cette date », explique une source proche du dossier. Ces « dépenses non autorisées (…) constituent un détournement des fonds », estime la plainte.
Interrogé, Denis Calippe martèle que ces indemnités, « légales », ont été « votées en Assemblée générale ». Elles couvrent « les déplacements et les travaux accomplis mensuellement au service de la compagnie », a-t-il justifié auprès du Parisien, évoquant 511 000 euros d’indemnités, dont celle du président, versés entre 2022 à 2024.
La CRCJ dans le viseur de la justice
Si ces dépenses interrogent, c’est que la chambre régionale des huissiers de justice de Paris est déjà dans le viseur de la justice. En juin dernier, une plainte a été déposée par des commissaires de justice de l’Essonne contre la CRCJ de Paris pour escroquerie, abus de confiance, prise illégale d’intérêts et détournements de fonds publics.
Selon nos confrères du Canard Enchaîné, qui ont révélé l’affaire, la justice enquête notamment sur la vente en 2022 de l’ancien siège de la chambre régionale des huissiers de justice de Paris, situé dans le 1er arrondissement à deux pas du jardin du Palais Royal, dont une partie des bénéfices s’est évaporée. Contacté, le parquet de Paris n’a pas répondu à nos sollicitations.
Quant à Denis Calippe, il doit également comparaître, en février 2026, devant le tribunal judiciaire de Paris pour « complicité d’usurpation de titre d’expert-comptable » et « complicité de faux en écriture publique et usage ».