PORTRAIT – La travailliste tendance «Blue Labour» a été choisie par le premier ministre Keir Starmer pour freiner l’immigration.

Une nomination qui en dit long sur le virage idéologique de la gauche britannique en matière migratoire. Après la démission de la vice-première ministre Angela Rayner, le premier ministre travailliste Keir Starmer a remanié son gouvernement. Avec un choix fort à la tête du Home Secretary, le ministère de l’Intérieur britannique, à la tête duquel Starmer a choisi Shabana Mahmood.

Auparavant ministre de la Justice de Starmer, cette élue de Birmingham, de confession musulmane et d’origine pakistanaise, est désormais la figure de proue du «Blue Labour», un courant conservateur allié aux travaillistes. Fondé à la fin des années 2000 par Maurice Glasman, ce mouvement s’appuie sur une critique acerbe d’une gauche britannique considérée comme anti-Brexit, élitiste, pro immigration et déconnectée de sa base ouvrière traditionnelle. Elle est «maintenant clairement la chef de notre mouvement au sein du parti», a réagi Maurice Glasman auprès de Politico après sa nomination.


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Figure du Blue Labour

C’est en reprenant plusieurs de ses thèmes, à commencer par la lutte contre l’immigration, que Keir Starmer et le Parti travailliste ont remporté leur large victoire aux élections générales de 2024. Preuve de l’influence grandissante de ces idées au sein du nouveau gouvernement, le chef de cabinet du premier ministre, Morgan McSweeney, est lui-même acquis au mouvement. Politiquement, la nomination de Shabana Mahmood doit aussi permettre aux travaillistes de contrer la surenchère radicale du parti farouchement antisystème et anti-immigration Reform UK de Nigel Farage, en plein essor dans les sondages.

Dans un entretien accordé en mai au média The Spectator, Shabana Mahmood, élue dans un territoire fortement communautarisé, assumait sa ligne dure en matière migratoire. «Je représente une communauté à 70% non blanche», expliquait-elle. «Si vous interrogez mes électeurs, ils souhaitent un système migratoire équitable. Ils pensent qu’il devrait y avoir des règles. La plupart d’entre eux diront qu’ils sont arrivés dans ce pays sur la base de règles très strictes, qu’ils ont suivies pour y travailler et y faire leur vie. Ils souhaitent ce sentiment d’équité pour tous ceux qui pourraient venir, maintenant ou à l’avenir.» Et la ministre britannique de tancer les hésitations travaillistes en matière migratoire : «Je ne comprends tout simplement pas pourquoi nous nous embrouillons à parler de contrôle migratoire à gauche, car c’est un sujet fondamental pour beaucoup de nos électeurs.»

La feuille de route de Shabana Mahmood est donc claire : livrer une guerre sans merci à l’immigration illégale, au cœur de l’actualité politique britannique de ces derniers mois. Une préoccupation de plus en plus partagée dans l’opinion, alors que le Royaume-Uni a enregistré un nombre record de demandes d’asile, avec 111.000 demandes en douze mois, un chiffre en hausse de 20% sur un an. La nouvelle ministre de l’Intérieur devrait donc accélérer le traitement des demandes et réduire des voies de recours.

Faire barrage à Nigel Farage

Sans oublier l’épineuse question de l’hébergement des demandeurs dans des hôtels, devant lesquels des manifestations anti-immigration ont régulièrement lieu depuis plusieurs semaines. Parmi les alternatives possibles, le parti travailliste a évoqué le placement des migrants dans des bases militaires abandonnées ou des appartements désaffectés, des logements étudiants ou des entrepôts. Pour surenchérir sur les propositions de Nigel Farage, Shabana Mahmood doit également faire en sorte de diminuer l’immigration légale, par la réduction du nombre de visas étudiants et l’introduction de tests d’anglais. Au risque de braquer les entreprises ou les hôpitaux britanniques en demande de main-d’œuvre.

La première flic de Grande-Bretagne devra aussi se positionner sur la sensible question de Palestine Action. Cette organisation d’activistes propalestiniens avait en effet été interdite et classée «terroriste» par son prédécesseur au Home Secretary, Yvette Cooper. En cause, de nombreuses actions de dégradations de matériel militaire ou d’infrastructures liées à des entreprises de défense. La dernière en date, le vandalisme de plusieurs avions d’une base de la Royal Air Force pour un préjudice de 7 millions de livres sterling (environ 8,07 millions d’euros).


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Mais cette interdiction a suscité une vague d’indignation chez de nombreux sympathisants de la cause palestinienne, qui la jugent disproportionnée. Scotland Yard fait valoir que la défense affichée d’une organisation terroriste est désormais un crime passible de 14 ans de prison. Des centaines de personnes ont déjà été interpellées par les forces de l’ordre britanniques lors de manifestations de soutien. Une nouvelle manifestation doit avoir lieu à Westminster ce samedi 6 septembre.

Gaza, dossier sensible pour les travaillistes

Pour Shabana Mahmood et le Parti travailliste, l’enjeu est aussi électoral. Keir Starmer avait en effet soigneusement évité la question de Gaza aux dernières élections générales. Abandonnant le thème de la condamnation du «génocide» à Jeremy Corbyn et à son nouveau parti, il avait tenté de détacher le parti travailliste des accusations d’antisémitisme. Résultat, le Parti travailliste avait perdu des voix dans les bastions musulmans. Shabana Mahmood elle-même, à Birmingham, avait été moins bien élue qu’en 2019, face à un candidat qui l’avait accusée de ne pas se préoccuper du massacre des Palestiniens.

Autant de dossiers que la nouvelle ministre devra affronter en s’appuyant sur sa longue expérience politique. Shabana Mahmood n’a que 30 ans lorsqu’elle est élue pour la première fois à la chambre des représentants. La jeune avocate diplômée du Lincoln College d’Oxford, devient alors l’une des deux premières femmes musulmanes à être élue députée au Royaume-Uni. Par la suite, elle occupe plusieurs postés clés au sein du parti travailliste, notamment comme membre du «cabinet fantôme».

Dans la pratique parlementaire britannique, le parti d’opposition compose un «cabinet fantôme», un gouvernement alternatif, dont les membres formulent des propositions aux membres du gouvernement réel. Shabana Mahmood a été membre plusieurs fois de ce cabinet, comme «ministre fantôme» des finances ou de la Justice par exemple. Elle quitte brièvement la politique en 2015 après l’élection de Corbyn à la tête du parti travailliste. Avant d’être réélue triomphalement en tant que députée en 2017.