De Thurrugu, défenseur du pays Lestrygon dans des temps homériques, jusqu’à Dana en passant par Salah, Telma, Ottavio, et bien d’autres personnages, François Cucchi nous fait plonger dans son univers. Depuis que le monde est monde, l’homme est face à ses choix. Comment les assumer ? A quel moment se situe le point de bascule où l’on doit prendre une décision ?
Choix parfois délicats où il faut explorer les chemins des possibles. Un recueil de nouvelles qui nous met aussi face à notre propre humanité. Il y a sans doute, dans chacun de ces personnages, un peu de nous même. François Cucchi conjugue, les temps, les espaces, les lieux, la diversité des protagonistes pour livrer un premier ouvrage ciselé dans l’art parfois délicat de la nouvelle.
Sans doute le Mektoub « c’est écrit » prend-il toute sa signification au fil des pages.
– François Cucchi votre livre lie dans un même ouvrage des destins parfois improbables se situant dans des lieux, des époques et des personnages différents, quel est le fil rouge de toutes ces histoires ?
– J’ai d’abord pensé écrire un recueil entièrement centré sur la Corse mais, au cours de son élaboration, nous avons décidé de l’élargir à une partie des thèmes qui nourrissent mon univers et mon imaginaire. Bien sûr notre île tient une place importante et j’ai voulu dévoiler la Corse que j’ai connue, celle qui a fait un enfant qui a grandi dans les années 90, héritier d’une culture et ancré dans un environnement en mutation et à la mixité croissante. Pour répondre à la question, les personnages qui peuplent ces nouvelles sont liés par leur place dans la société, il s’agit de « petits », de gens normaux emportés dans des tourments personnels ou par des choses qui les dépassent totalement. Quelles seront leurs réactions face aux épreuves qui jalonnent leur route ? Voilà l’enjeu de toutes ces histoires.
– C’est aussi le livre du choix et plus précisément de son instant ?
– Tout à fait. L’une des nouvelles fait allusion au tableau d’Annibale Carracci, Hercule à la croisée des chemins, représentant le personnage mythologique à l’heure du choix entre volupté et vertu. Si l’apologue antique dont il s’inspire ne révèle pas la voie empruntée par le héros, nous pouvons le deviner à travers son histoire. Il ne s’agit pas là bien sûr de proposer une opposition manichéenne entre le bien et le mal, l’existence des hommes n’est que nuance et nous évoluons sans cesse sur cette limite fragile, on peut même affirmer que la vertu que l’on peut attribuer à certaines actions est totalement subjective. L’idée était de mettre en évidence cette limite, d’interroger sur la façon dont une décision instantanée peut affecter notre destin de la même manière qu’elle peut découler des épreuves de toute une vie. Quoi qu’il en soit, je reste fermement convaincu que l’on ne sait jamais vraiment ce que nous avons en nous avant de devoir l’affronter.
– N’est-ce pas aussi un peu un miroir qui renvoie l’image de notre société ?
– Je pense que notre société gagnerait à diminuer la recherche du profit immédiat, à ce que chacun se donne un peu de peine pour l’intérêt général. Les expressions de ce point de vue sont multiples au cours du recueil. Je ne sais pas si on peut dire qu’il est un miroir de notre monde, j’ai voulu y exprimer ma vision, ce que mon parcours personnel m’a montré et j’ai bien conscience que le panorama n’est pas complet. Je me suis depuis toujours efforcé de prêter attention à l’autre, d’observer le monde qui m’entoure, pas pour poser un jugement mais pour le comprendre au mieux. J’ai côtoyé le milieu ouvrier de nombreuses années et je considère cela comme une chance, un apprentissage sans pareil et mon souhait était de le mettre en valeur.
C’est pour cela que les nouvelles ayant pour décor la Corse contemporaine sont fortement imprégnées de cette expérience. En ces temps de revendications identitaires parfois douteuses, j’ai voulu décrire la société que j’ai connue, celle qui a fait de moi ce que je suis et que je trouve anormalement absente des représentations culturelles d’aujourd’hui. Les peuples évoluent continuellement, je ne pense pas que mon berger Lestrygon aurait accepté le modèle du XIXème siècle que nous voyons souvent présenté comme le parangon culturel Corse.
– Pour conclure je dirais que ce recueil tente modestement, sans renier nos origines, de mettre en lumière un modèle moderne avec ses mutations et ses diverses composantes.
– La nouvelle n’est pas un exercice aisé pourquoi avoir choisi cela pour votre premier livre?
Je participe depuis plusieurs années maintenant aux ateliers d’écriture animés par Marc Biancarelli. C’est d’ailleurs lui qui m’a porté jusqu’ici et je ne l’en remercierai jamais assez. De ces séances sont nées bon nombre de nouvelles et le choix s’est donc naturellement porté sur un recueil de ces créations. J’aime beaucoup cet exercice, faire passer une émotion, créer des personnages qui interpelleront le lecteur en quelques pages dans un concentré de littérature est un défi passionnant. Je dois aussi avouer que le roman me faisait peur pour une entrée en matière, mais bien sûr il s’agit d’un rêve que j’espère réaliser un jour. J’ai d’ailleurs quelques idées mais je vais d’abord savourer l’expérience présente.