Marine Le Pen et Jordan Bardella photographiés ce mardi 2 septembre à Matignon.

BERTRAND GUAY / AFP

Marine Le Pen et Jordan Bardella photographiés ce mardi 2 septembre à Matignon.

POLITIQUE – Il y a quelque chose de pratique avec le Rassemblement national : sa capacité à dévoiler ses intentions avant même que les événements surviennent. Illustration ce mardi 2 septembre avec cet appel lancé par Marine Le Pen depuis Matignon, après avoir été reçue par François Bayrou en compagnie de Jordan Bardella. Sitôt l’entrevue terminée, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale a demandé une « dissolution ultrarapide » de l’Assemblée nationale, qui interviendrait après la chute annoncée du Premier ministre lundi 8 septembre.

Il en va selon elle de la stabilité financière de la France. « Il faut que la nouvelle majorité issue de ces nouvelles élections puisse construire un budget, pour que notre pays ait un budget », a fait valoir Marine Le Pen. L’argument qu’elle devrait répéter ce dimanche 7 à l’occasion de son discours de rentrée à Hénin-Beaumont peut prêter à sourire, lorsqu’on se souvient que cette même Marine Le Pen avait censuré Michel Barnier au moment même où celui-ci présentait son budget, contraignant donc le gouvernement démissionnaire à agir via une loi spéciale.

Car il s’agit en réalité d’un prétexte. Cette demande est motivée par un premier motif, purement politique. La volonté de prendre une revanche sur les législatives de 2024, avec l’ambition d’une victoire nette qui installerait Jordan Bardella à Matignon. Un sondage Elabe prédisant l’effondrement du « front républicain » nourrit les espoirs au sein du parti lepéniste. Mais la réelle intention concerne Marine Le Pen, et elle seule. Car en cas de dissolution prononcée par Emmanuel Macron, la députée du Pas-de-Calais se porterait (de nouveau) candidate dans sa circonscription.

Faire sauter l’inéligibilité

Problème : il n’a échappé à personne que l’intéressée a été frappée d’une inéligibilité avec exécution provisoire en complément lors de sa condamnation en première instance pour détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants européens. Et c’est précisément sur ce point que le Rassemblement national pense avoir une carte à jouer. Au mois de juillet, le secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée, Renaud Labaye, dévoilait auprès du Point la stratégie en cas de dissolution.

« Ce sera l’occasion de tester l’inéligibilité de Marine Le Pen. La préfecture prendra un arrêté pour invalider sa candidature et nous contesterons cet arrêté devant le Conseil constitutionnel. Sa jurisprudence récente allant dans notre sens, je ne serais pas étonné qu’il casse l’inéligibilité », a-t-il détaillé. Or, ce plan vise un double objectif. Le premier, impérieux, faire sauter l’inéligibilité qui menace plus que sérieusement sa candidature à la présidentielle de 2027.

Voici comment cela pourrait fonctionner. En se présentant malgré son inéligibilité, Marine Le Pen serait dans l’impossibilité de briguer son siège, puisque le préfet a de fait l’interdiction d’enregistrer sa candidature. Comme l’explique Renaud Labaye, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’exécution provisoire de l’inéligibilité serait alors déposée par la cheffe de file du RN. L’élection législative se déroulerait sans elle, mais les Sages seraient contraints de statuer sur son cas.

Or, dans sa dernière décision, le Conseil constitutionnel estime qu’il appartient au juge pénal « d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur » et fait une distinction entre le statut d’élu local et celui d’élu national. Et c’est sur cette distinction que Marine Le Pen espère avoir gain de cause, en mettant un petit coup de pression au Conseil constitutionnel. Une instance qui, rappelons-le, est présidée par Richard Ferrand, élu notamment grâce à l’abstention bienveillante des députés RN.

« À l’aune de mon dépôt de candidature, l’autorité constitutionnelle pourrait enfin analyser la validité de cette exécution provisoire de l’inéligibilité qui m’a été appliquée en première instance », prévenait-elle le 16 juillet dans Le Parisien. Dit autrement, Marine Le Pen profiterait d’une dissolution pour tester le degré de différenciation existant aux yeux des Sages entre le statut d’élu local et d’élu national, ce qui pourrait déboucher sur la levée de son inéligibilité, et solderait les spéculations sur sa capacité à se présenter en 2027.

Tuer le « plan B » dans l’œuf

Un doute subsiste toutefois quant à la viabilité de la manœuvre, puisque, comme le souligne Public Sénat, la candidate putative à la présidentielle ne serait plus élue au moment de cette initiative. Ce qui pourrait faire capoter cette tentative. « Le 10 juillet 2024, le Conseil constitutionnel a jugé irrecevable la saisine des députés insoumis au sujet de la loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, car l’Assemblée nationale avait été dissoute, la veille, le 9 juillet. Ils n’étaient donc plus parlementaires. Ce serait la même chose pour Marine le Pen en cas de nouvelle dissolution », rappelle à la chaîne Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université de Toulouse Capitole.

Reste que l’espoir demeure au RN, d’autant que le scénario aurait un autre avantage : tuer dans l’œuf l’hypothèse du « plan B », envoyant Jordan Bardella à la présidentielle en cas d’empêchement. Alors que le président du RN pourrait se présenter aux élections législatives, et récupérer soit la tête du groupe lepéniste à l’Assemblée pour pallier l’impossibilité de Marine Le Pen de se présenter, soit Matignon en cas de succès du parti d’extrême droite en cas de législatives anticipées, cette dissolution « ultrarapide » pourrait donc s’avérer doublement payante pour la fille de Jean-Marie Le Pen. Laquelle aurait beau jeu de rappeler que dans ce parti, il n’y a qu’une seule candidate possible à la présidentielle.