Certains écartent d’un revers de la main la notion de menace russe pesant sur la sécurité européenne et en déduisent que la défaite de l’Ukraine n’entraînerait aucune conséquence pour le reste du continent. Ils appellent donc leurs concitoyens à ne pas s’en inquiéter. Avouons que ce message porte : Kiev est si loin de Paris. Il y a fort à parier que les Français regretteraient ce dénouement, mais s’y résigneraient en espérant que la crise s’arrête là et que la paix soit ainsi rétablie.
S’inscrire en faux face à ce raisonnement est d’autant moins facile que celui qui propose de ne rien faire a toujours l’avantage par rapport à Cassandre, porteuse de mauvaises nouvelles qui appellent à des efforts et à des sacrifices. Ça l’est d’autant moins que les Européens ont oublié la logique qui en justifie la nécessité. En effet, les souvenirs de deux atroces guerres mondiales ont fait de l’Europe une zone qui a voulu à jamais se débarrasser des rivalités géopolitiques. La négociation, le compromis et le droit devaient s’y substituer afin de faire de la guerre un archaïsme condamné à disparaître.
L’invasion de l’Ukraine a clos cette période qui n’était finalement qu’une parenthèse dans l’histoire tragique de notre continent. Il nous faut donc faire l’effort de revenir à des vérités qui ont été celles de nos ancêtres pendant des siècles, puisque l’ordre occidental dont nous avons profité n’est plus. Le monde est une jungle où seuls les rapports de force comptent. Les États doivent toujours se préparer au pire pour l’éviter. « Si tu veux la paix, prépare la guerre », dit le proverbe latin. Or c’est désormais un fait établi qu’une Russie révisionniste veut modifier, au besoin par la force, un statu quo territorial européen qui est, du point de vue de la France, sans doute le plus favorable qu’elle ait jamais connu en éloignant de ses frontières toute menace potentielle.
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Certes, une armée russe saignée à blanc qui aura éprouvé tant de difficultés pour vaincre son ennemi ne lancera pas ses chars sur la Pologne. Néanmoins, elle aura créé une nouvelle réalité aux frontières de l’Europe en remportant une victoire aux dépens d’un Occident qui aura prouvé son impuissance. Elle aura ainsi imposé un nouveau rapport de force à son profit et à nos dépens. De tels bouleversements entraînent toujours des conséquences : elle pourra alors peser de tout son poids sur des voisins dont certains seront vulnérables à ses pressions soit à cause de leur taille, comme les pays Baltes, soit à cause de leur situation intérieure, comme la Moldavie ou la Roumanie.
Elle exercera son prestige auprès d’autres comme la Slovaquie, la Hongrie, la Serbie ou la Bulgarie et jouera ailleurs des partis d’extrême droite qui lui sont proches. Elle pourra alors poursuivre son objectif stratégique, qui est la dislocation de l’Otan et de l’UE pour imposer son hégémonie à une Europe désormais fragmentée et abandonnée par les États-Unis.
Scénario catastrophe
À cet égard, le scénario de la prochaine étape de ce processus s’impose de lui-même : qu’arriverait-il si la Russie prenant l’argument du sort de la minorité russe en Estonie, un pays de 1,5 million d’habitants, saisissait un gage territorial aux dépens de celle-ci ? Pense-t-on sérieusement que les États membres de l’Otan rempliraient alors pleinement leurs engagements, stipulés dans l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, qui, d’ailleurs, n’impose pas de réaction proprement militaire si un allié est victime d’une agression ? Feraient-ils la guerre pour l’Estonie ? Poser la question, c’est, je le crains, y répondre. En tout cas, Donald Trump ne lèverait pas le petit doigt.
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La Russie aurait alors prouvé que la prétendue garantie de sécurité de l’Otan n’est plus qu’une coquille vide. Ce serait alors en Europe le « chacun pour soi » qui lui permettrait de reconstituer une zone d’influence à ses frontières. Elle aurait victorieusement repris sa marche séculaire vers l’ouest, un instant, interrompue par l’effondrement de l’URSS. Or la technologie contemporaine fait que le temps n’est plus de la protection d’ailleurs relative qu’offrait la distance : aujourd’hui, l’indépendance, la liberté et la prospérité de la France sont indissociables de celles de ses partenaires européens. Seraient-ils subjugués si son tour venait rapidement, pas sous la forme de chars sur les Champs-Élysées, mais de manière plus sournoise, comme une vassalisation de fait.
Nous aurions dû nous battre en 1936, dès la réoccupation de la Rhénanie par l’Allemagne, et nous aurions évité ainsi le pire. Je suis aujourd’hui convaincu que, dans des circonstances certes très différentes, nous devrions en faire de même pour défendre Kiev. Il ne serait pas nécessaire d’envoyer nos soldats en Ukraine, mais la défense aérienne du pays et la mobilisation réelle de notre industrie de défense représenteraient certes un effort substantiel, mais pourraient convaincre la Russie qu’elle ne l’emportera pas et qu’elle doit négocier sur des bases réalistes. Sinon, après Kiev viendra Tallinn…. Une crise que nous affronterions dans des circonstances bien pires face à un ennemi qui aurait prouvé sa détermination et sa puissance. Oui, la sécurité de la France repose sur la préservation de l’indépendance de l’Ukraine.
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