Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, les menaces contre la magistrature ont pris de l’ampleur aux États-Unis. Inquiets, des juges montrent du doigt le discours de leurs leaders politiques.
Radicaux, mauvais, corrompus : Donald Trump et des membres de son équipe ont mené des attaques répétées contre les magistrats qui ont bloqué ses décisions.
Une rhétorique qui semble avoir percolé.
Le juge fédéral John C. Coughenour a reçu de nombreuses menaces après avoir bloqué un décret du président sur la citoyenneté. Il a notamment été victime d’un faux signalement, lorsque quelqu’un a communiqué avec le bureau du shérif pour déclarer qu’il avait tué son épouse. Les policiers sont arrivés chez lui, pistolets à la main.
Coughenour a ensuite été l’objet d’une fausse alerte à la bombe à son domicile et a reçu une grande quantité de lettres très laides et menaçantes.
Impliquer la famille, c’est vraiment dégoûtant. Même la mafia dit que la famille, c’est hors limite!
Une citation de John C. Coughenour, juge fédéral américain
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Le juge John C. Coughenour a fait l’objet de menaces après avoir bloqué un décret de Donald Trump sur la citoyenneté.
Photo : Radio-Canada
Je suis juge depuis plus de 40 ans et je n’ai jamais été aussi préoccupé par l’état du système judiciaire de ce pays. J’aimerais que nos dirigeants prennent conscience des dégâts qu’ils causent et du risque d’instabilité considérable que représente cette attaque contre le système judiciaire, fait-il valoir.
Selon lui, les associations de barreaux doivent sonner l’alarme avant qu’il ne soit trop tard. Il fait aussi des parallèles historiques. Si l’on examine l’histoire, on constate que d’autres pays ont connu des érosions similaires de l’État de droit. Je pense à l’Allemagne dans les années 1930, par exemple, au Cambodge dans les années 1970, ou à la Russie avant la Révolution soviétique […], mentionne le juge Coughenour.
Les mots comptentOuvrir en mode plein écran
Une photo de la juge fédérale Esther Salas avec son défunt fils Daniel
Photo : Radio-Canada / Louis Blouin
La juge fédérale Esther Salas a vécu de beaucoup trop près la violence contre la magistrature. En juillet 2020, son fils Daniel a été assassiné à leur domicile par un avocat qui lui en voulait. Ce dernier s’était déguisé en livreur et avait ouvert le feu sur le pas de la porte. Le mari d’Esther Salas a été gravement blessé dans l’attaque.
La scène est gravée à jamais dans sa mémoire. Je me souviens d’avoir couru vers mon fils, de m’être mise à genoux, d’avoir soulevé sa chemise et d’avoir vu un trou de balle. Mon mari est revenu en rampant et là, dans ce hall d’entrée, le 19 juillet 2020 à 17 h, j’ai vu mon unique enfant disparaître, raconte la juge.
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En juillet 2020, un homme a assassiné le fils de la juge Esther Salas à leur résidence.
Photo : AP / Mark Lennihan
Un drame qui est revenu la hanter ces derniers mois.
Esther Salas a appris que des gens instrumentalisent la mort de son fils pour menacer d’autres juges. Ils font livrer des pizzas au nom de Daniel au domicile de ses collègues à travers le pays. Une façon tordue de les intimider.
Le service des Marshals, qui a la responsabilité de protéger les tribunaux fédéraux, a informé la juge Salas qu’au moins une centaine de pizzas avaient été envoyées à des juges de manière anonyme, dont une vingtaine au nom de son fils décédé.
Esther Salas veut lancer un message : Je demanderais à nos leaders politiques de comprendre que les mots comptent. Bien honnêtement, il faut que les gens modèrent leur discours.
Les plus récentes données disponibles montrent un pic de menaces contre les juges survenu au printemps dernier. Ils sont près de 200 à avoir été menacés entre le début du mois de mars et la fin mai.
Ces données ont été fournies à la juge Salas par les autorités fédérales.
Nous risquons gros. Le risque est que le public américain n’ait plus confiance dans le système judiciaire, indique la juge.
Elle aussi a reçu des communications menaçantes dernièrement, qui font l’objet d’une enquête.
L’avertissement du juge en chef
Depuis son retour au bureau ovale, le président américain a mené des attaques publiques et frontales contre des juges qui ont bloqué ses décrets touchant des expulsions, des coupes budgétaires et l’élimination de programmes touchant la diversité et l’inclusion, réclamant même leur destitution.
Inquiet des risques de violence, le juge en chef de la Cour suprême des États-Unis, John Roberts, a lancé un avertissement lors d’une conférence judiciaire qui a eu lieu en juin dernier, rapportait Politico.
Si quelqu’un exprime une forte hostilité envers la Cour, pour quelque raison que ce soit, le danger, bien sûr, est que quelqu’un s’en saisisse. Et nous avons eu, bien sûr, de graves menaces de violence et de meurtre contre des juges simplement parce qu’ils faisaient leur travail, a-t-il déclaré, sans nommer Donald Trump.
La mort du fils d’Esther Salas n’est pas le seul événement tragique à avoir touché la magistrature ces dernières années.
En 2022, un homme a tenté d’assassiner le juge Brett Kavanaugh, de la Cour suprême des États-Unis. Un juge de l’État du Maryland a été tué dans son entrée en 2023 et un autre, en pleine salle d’audience au Kentucky en 2024.