À l’heure d’écrire ces lignes, Carlos Alcaraz (60 victoires pour 6 défaites, soit 90,9 % de succès) et Jannik Sinner (37v.-4d., 90,2 %) présentent tous les deux un taux de réussite supérieur à 90 % en 2025. La barre des 90 % est placée si haut que même les toutes meilleures versions de Novak Djokovic et de Rafael Nadal n’ont réussi à boucler que deux années au-dessus d’elle (2011 et 2015 pour le premier, 2013 et 2018 pour le second).

Si Roger Federer y est parvenu 4 fois (2004, 2005, 2006 et 17), il n’est jamais arrivé, dans l’histoire du tennis, que deux joueurs y planent conjointement. Bien sûr, à l’issue de cette finale de l’US Open, il n’en restera qu’un, le perdant glissant de justesse sous les 90 % (en attendant de repasser au-dessus au cours des prochaines semaines ?). Néanmoins, cette statistique folle et historique raconte l’ampleur de la mainmise et le poids du duo sur un circuit qui les admire tout en les craignant, à moins que ce soit l’inverse, mais toujours en contreplongée.

Rivalité bienvenue

Pour Julien Cassaigne, qui a vu son joueur Richard Gasquet affronter 2 fois Carlos Alcaraz et 4 fois Jannik Sinner ces dernières années, pas de doute, leur coexistence relève de la bénédiction : « Je trouve ça fantastique. Toutes les grandes ères du tennis ont vécu des rivalités de ce genre, que ce soit Evert-Navratilova, Federer-Nadal, Borg-McEnroe… Toutes les générations ont connu ce genre de mecs. Yannick (Noah) te raconte qu’au retour dans les vestiaires après un match face à (Björn) Borg, si les mecs avaient pris un 6-3 ou un 6-4, ils étaient contents. (Roger) Federer, pendant quand même dix ans, comme Rafa, Djoko, en Grand Chelem, quand tu lui avais pris un set, tu étais content aussi. Ce sont des fous ! Est-ce qu’Alcaraz et Sinner vont arriver à imposer ça chez les autres, avec la peur de prendre une branlée ? Sûrement. Tu as l’impression qu’ils sont faits pour s’affronter au moins 3 fois par an en finale de Grand Chelem, qu’ils vont se jouer autant que ceux du Big 3, 20 fois, 30, 40, 50 fois dans leur carrière. C’est impressionnant. »

« Dans les moments importants, ça ne flanche pas, c’est même encore plus fort, encore plus rapide  »

Confronté d’encore plus près aux phénomènes, puisqu’il s’est coltiné l’Italien à Roland-Garros en mai (défaite 6-4, 6-3, 7-5) et l’Espagnol à l’US Open il y a une semaine (7-6 (3), 6-3, 6-4), Arthur Rinderknech abonde sur les bienfaits de disposer d’un duo qui pousse le curseur si loin : « Je suis passionné de tennis, je ne peux qu’être comblé d’avoir joué le numéro 1 et le numéro 2 sur des courts centraux de Grand Chelem. Je suis admiratif. Plus d’une fois, j’ai eu envie d’applaudir ou de dire bravo à Carlos. Quand il me fait son coup dans le dos en début de match, heureusement qu’il y a 40-0 parce que si c’est balle de break pour moi, je vais aller l’étrangler ! Mais c’est fort. C’est une rigueur absolue, c’est très physique, c’est très technique et en plus c’est très talentueux. »

Qualités exceptionnelles

Et il n’oublie pas Sinner dans l’équation : « Ce sont les meilleurs joueurs de tennis du moment et on a de la chance de les avoir. À l’heure actuelle, Jannik et Carlos ont un petit truc en plus. Dans les moments importants, ça ne flanche pas, c’est même encore plus fort, encore plus rapide. Évidemment que la marche est très, très haute face à eux. Les mecs ne laissent pas beaucoup de place. Contre les autres joueurs, quand tu réussis un bon coup, tu sais que sur le suivant, tu pourras faire ce que tu as envie de faire, entrer dans le terrain par exemple. Contre Carlos et Jannik, ça revient toujours plus vite et avec un meilleur angle. Donc, tu es immédiatement sur les talons. C’est toi qui cours et qui cèdes du terrain. Assez vite, tu ne revois plus la balle. Le plus dur face à eux, c’est qu’ils sont capables de changer de direction plus rapidement et avec une balle plus pénétrante que tous les autres. Ils arrivent à remettre du jus et de la profondeur dans la balle. »

« S’ils peuvent continuer à se jouer sans qu’on sache lequel des deux va gagner, ce sera bon pour le tennis  »

Julien Cassaigne, ex-entraîneur de Richard Gasquet

Des qualités exceptionnelles qui promettent à chaque fois des étincelles quand ils se retrouvent face à face, ce qui sera le cas ce dimanche pour leur troisième finale de suite en Grand Chelem. Du jamais vu sur une même année. À se demander si le couple ne risquerait pas, à terme, de lasser ? « C’est déjà mieux qu’il y en ait deux qu’un seul, pose Cassaigne. Quand il n’y avait que Roger sur trois, quatre saisons, où il perdait trois matches par an, c’était chiant… Là, c’est vrai que les Medvedev, Tsitsipas, Zverev, ou Rune, qui sont des joueurs extraordinaires, semblent distancés. Après, c’est encore mieux quand il y en a un troisième qui arrive (comme Djokovic pour le duo Federer-Nadal, au tournant des années 2010). Si tu pouvais avoir (Joao) Fonseca qui entre dans la danse… On peut penser qu’il a peut-être le potentiel pour un jour aller les titiller, même s’il a encore du chemin à faire, mais ce serait merveilleux de le voir arriver. »

En attendant qu’un trublion s’invite, reste un point essentiel, qui permet au monopole bicéphale de plaire : l’incertitude de l’issue, à chaque fois que le combat des titans s’engage. Cassaigne : « A Roland, on pensait que ça allait être Sinner. À Wimbledon, c’est Alcaraz qui menait un set à rien. S’ils peuvent continuer à se jouer sans qu’on sache lequel des deux va gagner, ce sera bon pour le tennis. »